Algérie

«Noor» le feuilleton turc qui fait perdre le Nord aux Algériens



Pas la peine de déranger les jeunes filles vers 20h, à l?heure du passage du film turc «Noor» sur la chaîne MBC. Elles sont ailleurs, totalement prises par les enchevêtrements de ce feuilleton qui est presque à sa centaine d?épisodes.

Diffusé par MBC one en prime time, il est retransmis par d?autres chaînes de ce même groupe de télévision à minuit et le lendemain vers quatorze heures. En l?espace de trois mois, ce feuilleton, annonçant avec « sanouat eddayaa » (les années de perdition) l?arrivée en force du cinéma turc sur nos écrans à travers les chaînes arabes, constitue un véritable phénomène de société. Tout le monde en parle. Laissons de côté, pour un moment, le grand public des téléspectateurs. La presse jaune, avide de moralisme et flairant le créneau juteux, lui consacre pratiquement chaque semaine un espace rédactionnel. « Depuis plusieurs mois, le nom du film et la photo de l?acteur principal figurent obligatoirement sur la une de ces titres » pour reprendre un constat d?un jeune lecteur de ce genre de publications. Les titres de cette presse rapportent (en se référant à quelle source ?) les drames familiaux dont ce feuilleton est la cause première. La toile est, elle aussi, un indicateur sérieux sur l?audience de ce feuilleton. Demandez à n?importe quelle jeune fille, elle vous répondra que sur le moteur de recherche Google, il est facile de télécharger des photos « piquées » de ce feuilleton. Apparemment, le phénomène n?est pas particulier à l?Algérie. Un journaliste égyptien, rencontré récemment, nous parlera de l?audience de ce film en Egypte, pays de l?industrie cinématographique et du théâtre. Mieux encore, dans certaines de nos rues, des jeunes étalent les photos de Mohaned, la vedette de ce film. Elles se vendent comme des petits pains, mieux en tout cas que celles des vedettes de la dernière coupe d?Europe, nous affirme-t-on. Tout récemment, un titre de la presse arabophone a publié une information concernant Mohaned qui a fini par s?introduire dans tous les foyers algériens. Pas moins de vingt-deux mille personnes ont consulté cette information si on se réfère au compteur de la page web de ce journal. Ceux qui ont pris la peine de la commenter se comptent par centaines.

Mais en l?absence de données fournies par l?audimat, technique de mesure encore étrangère chez nous, il est aisé de procéder à des sondages improvisés. Toutes les filles interrogées regardent avec intérêt ce feuilleton, déjà reprogrammé une seconde fois pour le mois d?août sur la chaîne MBC. La petite Imane, à peine dix ans passés de quelques mois, a carrément déserté le foyer de ses parents pour s?installer chez ses cousines plus âgées qu?elle avec qui elle suit dans de bonnes conditions son film préféré. Farida, encore écolière, n?a raté aucun épisode de ce feuilleton, nous confie un confrère. Omar, un jeune étudiant, reconnaît qu?il regarde, quoiqu?avec détachement, ce feuilleton avec ses soeurs et le reste des membres de sa famille. Un chef de foyer nous signale que sa femme est, elle aussi, une mordue de ce produit turc. On peut continuer les exemples à l?infini. Sur les lieux de travail, dans les bus et autres lieux de rencontre, notamment de la gent féminine, « Noor » s?est imposé comme sujet de discussion. On s?informe et on commente le dernier épisode.

Mais qu?est-ce qui fait le succès de ce film ? Difficile à avancer une réponse tranchée. Le phénomène est à la fois déjà vécu et nouveau à la fois. Depuis plus d?une vingtaine d?années, des films brésiliens, mexicains et latino-américains ont connu du succès. C?est eux qui ont instauré le modèle : feuilleton en centaines d?épisodes. Mais, ils ne sont pas arrivés à se départir de l?étiquette de film « étranger », à cause des noms des actrices et acteurs. « Noor » est turque, grâce au doublage, s?exprimant dans le dialecte syrien. Les noms de la brochette d?acteurs s?y déployant sont en arabe. Déjà Mohaned signifie épée, ce qui a permis des interprétations tirées par les cheveux qu?on peut lire dans la presse jaune. Des inscriptions arabes et religieuses sont montrées dans ce film pour rappeler l?appartenance de la Turquie à l?aire musulmane. Mais l?engouement du grand public des téléspectateurs est à dénicher ailleurs. « Noor » use et abuse du soft. Tout est clean dans ce film. Les scènes se déroulent dans des intérieurs de rêve, telles que les villas somptueuses où la famille, regroupement de plusieurs générations, se réunit pour prendre son petit déjeuner au bord de la piscine. Les personnages exercent des métiers à envier; Noor, l?actrice principale qui a donné son prénom au feuilleton, est modéliste et conceptrice de mode. Tous les acteurs, hommes et femmes, sont sortis tout droit d?une agence de mannequins. Bref, ce film réunit tous les ingrédients qui permettent d?échapper, l?espace de sa diffusion, à l?emprise de la réalité. Du rêve à bon marché. Qui pourra proposer mieux ?

Mais au-delà, ce feuilleton vient confirmer deux vérités que certains ont tendance à oublier. Les chaînes arabes, genre MBC, arrivent à concurrencer les autres chaînes étrangères. La langue utilisée ne serait pas totalement étrangère à ce solide ancrage. La majorité des citoyens, arabophones, optent tout naturellement pour ces chaînes qui, il faut le dire, ne lésinent pas sur les moyens pour paraître au même niveau sinon mieux que les autres chaînes étrangères. D?autre part, la Turquie, dont le pouvoir d?obédience islamiste est diabolisé par certains médias étrangers, offre une autre image d?elle-même. Ce film montre une société tolérante, avec ses propres complications, mais sachant respecter les limites. Dans cette société, à travers ce feuilleton, on parle en famille d?amour, de couple, sans pour autant froisser les sensibilités des téléspectateurs. On est très loin de l?intégrisme enclin à censurer la moindre évocation du corps féminin. Dans une famille oranaise, le film est suivi ensemble par la grand-mère, sa fille et ses petites-filles. Ainsi, un espace de complicité est offert aux représentantes de trois générations. Mais comme toute entreprise, ce feuilleton fonctionne aussi à l?exclusion. Amine, fervent supporter du MCO et de Barcelone, consent à libérer le séjour du foyer familial où le poste téléviseur trône, au moment de la diffusion de « Noor ». Pour libérer l?espace à sa mère et ses jeunes soeurs. Voilà que ce film impose même une gestion temporelle de nos foyers. A méditer...






Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)