Algérie

«No» ancêtres et les Gaulois



Ce n?est pas pour jeter de l?huile sur le feu mais reconnaissons que la génération, née avant l?indépendance et ayant fréquenté l?école laïque coloniale, a vraiment de quoi s?énerver et trouver que non seulement la colonisation n?était pas positive, mais qu?elle était douteuse.Franchement, dire même en plaisantant à un petit métropolitain indigène et indigent en tout point de vue, qui vient de découvrir l?école et la cantine, que ses ancêtres étaient des Gaulois au point d?y croire dur comme fer, pour découvrir à l?indépendance que le miroir était embué, relève d?un stratagème entaché d?irrégularités génétiques, culturelles et surtout politiques. Ce qu?y a perdu la France, elle le mérite. Ce qu?y a perdu ou gagné l?indigène et le pied-noir demeure discutable au cas par cas. Heureusement que l?école coranique était là pour effacer, le soir, ce qui était appris le jour. Elle mettait sans le dire en garde contre les égarements et l?attirance des bonnes odeurs de pâte à modeler et des institutrices parfumées à l?eau de Cologne, un sourire rougeoyant dessinant leurs lèvres minces comme un piège, leurs tabliers roses ou blancs, éternellement lessivés et journellement repassés. Des institutrices qui obligeaient leurs élèves à montrer leurs ongles nettoyés des impuretés de la veille et prouver, matériellement, qu?ils étaient porteurs d?un mouchoir de poche, dont on se demande pourquoi la langue française insiste pour le faire appeler ainsi, du fait que c?est toujours dans la poche que l?on met son mouchoir. Du temps où chacun avait un mouchoir pour ressembler à ce qui devait être ses ancêtres et pour se moucher sans le salir. Le plus risible, c?est que, paradoxalement, les images, qui illustraient les livres d?Histoire de l?époque, montraient Clovis, sa moustache pendante, un casque couvrant son chef, et portant sur son dos une peau d?animal en noir et blanc, aussi sauvage que le personnage; pendant que les pages suivantes montraient Sainte-Blondine attachée à un mât, offerte aux lions pour la punir de sa croyance chrétienne. Clovis n?avait pas de mouchoir et le situer dans le temps paraissait difficile pour le regard d?un enfant. On pouvait en déduire qu?en Algérie les gens étaient plus civilisés. On aurait pu. Entre temps, l?éducation religieuse de l?époque se limitait à faire apprendre le Coran par coeur, dans une langue aussi étrangère que le français, mais beaucoup plus proche de la maternité; faite pour l?érudition, ce qui fut fait, assis en tailleur sur une paillasse qui démange sans cesse l?arrière-train et à l?aide d?un balancement rapide du tronc d?avant en arrière, puis d?arrière en avant et à voix haute. Tout le monde en même temps, chacun récitant son chapitre sous l?oeil averti d?un maître enturbanné, un bâton à la main et éternellement somnolent. Il fallait apprendre d?abord et comprendre plus tard. Il ne faut surtout pas croire que les choses étaient faciles pour les enfants de l?époque. D?où un déséquilibre mental qui peut être pardonné pour une génération balancée entre un espace de récupération où l?école n?était qu?un prétexte et un espace social et familial qui résistait à la naturalisation d?une manière innée. Pour la majorité, celle qui n?avait pas droit à la scolarisation par éloignement des centres urbains ou par refus de s?intégrer aux mécanismes du marché colonial, porteur de valeurs contradictoires avec les principes religieux, les choses étaient différemment perçues. D?abord, point de scolarisation pour les filles en dehors de celles issues de familles « aisées » dont la colonisation voulait faire des modèles de réussite sociale, en leur suggérant un apprivoisement visible dans les tenues vestimentaires. En les intégrant par une initiation aux raffinements culinaires, aux soins obstétriques, à la couture, puis plus tard pour les plus assidues, aux langues, aux sciences et autres mathématiques. Cela a donné d?excellentes mères de familles, cultivées dans quelques lectures à l?eau de rose et adoucies par l?usage d?une langue, il est vrai, agréable à prononcer. Pour la majorité donc, l?apprentissage ne pouvait être accompagné que par les membres de la famille, le voisinage et par extension la tribu. La tribu constituait l?unité de référence par excellence reliée aux autres tribus par le fait religieux où la confrérie jouait un rôle régulateur loin des normes administratives coloniales, mais acceptées par elles. Le pouvoir était presque divin entre les mains d?un chef reconnu pour sa sagesse, son érudition incontrôlable, et qui décidait selon son bon sens. Une organisation du pouvoir comme une autre avec une particularité, celle où le chef pouvait se tromper sans pour cela que ses décisions puissent être remises en cause. Tout le monde était considéré comme appartenant à tout le monde en gardant les limites incestueuses sous bonne garde. Quand cela était possible. Puis la guerre et le choix du camp dont il faudra, un jour, faire l?autopsie en toute sérénité, loin de la passion et de la manipulation génératrice du vainqueur et du vaincu. La guerre tue l?espoir et laisse les traces de la haine se glisser dans les inconscients les plus résistants. C?est le prix de l?Histoire. Mais aujourd?hui que les années coloniales connaissent leur dernier souffle et que de nouvelles générations sont venues écrire leurs propres pages, avec une encre d?indépendance; aujourd?hui donc, les changements revendiqués devraient apporter une amélioration, ne serait-ce que dans l?image de ces Gaulois qui ont faussé les couleurs de notre société et perturbé la mémoire des anciens. Les Gaulois ne sont plus là et l?école coranique a intégré le système scolaire. Nos enfants comprennent mieux que nous le Saint Texte et les institutrices ont troqué le tablier rose ou blanc contre la djellaba et le hidjab. L?eau de Cologne, devenue trop chère, a cédé la place aux parfums orientaux offerts par les revenants du grand pèlerinage, ou achetés dans un nouveau commerce qui est en train de prendre racine dans nos rues principales. Nos enfants ont droit à des héros nationaux et Clovis n?a de sens qu?en tant que fruit de mer. Cette même mer engloutissant nos enfants qui s?y jettent pour rejoindre le pays de Clovis. La Tribu a officieusement, officiellement disparu, la scolarité est obligatoire y compris pour les filles, et l?art culinaire n?est qu?une transmission de cuisine entre deux émissions télévisées. Il reste, cependant, une petite nostalgie de l?ancienne époque ou la contradiction vient de la description d?un colonialisme connu par l?exclusion que son système provoquait, et l?indépendance pourrait être décrite par la même exclusion. Et c?est là ou le bât blesse. Car en fait, pour la majorité en dehors de l?ancestralité des Gaulois, qu?est-ce qui a changé en dehors des infrastructures et sur le terrain du comportement social ? Les bousculades pour l?acquisition de la nationalité française ou dans une moindre mesure le visa Schengen touche toute la société à l?exception de quelques résistants. La naturalisation est devenue à la mode si bien que celui ou celle qui n?y accède, pas est considéré comme un « sans-papiers » sans avoir à en réclamer le statut en France. Le discours sur la double nationalité, où la Mauritanie était prise en exemple, s?est tu pour moins déranger certains gouvernants et leurs familles. La France est devenue une terre promise pour de nombreux jeunes et moins jeunes à la recherche d?une appartenance. Et l?ancienne génération se demande encore si nos ancêtres, en fin de compte, n?étaient pas réellement Gaulois malgré ses énervements et la guerre d?indépendance.


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