Algérie

Niger : un coup d’état qui bouleverse l’ordre postcolonial établi ?



Publié le 24.08.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie
Par Mourad Benachenhou

Il y a une expression qui revient, de manière quasi-instinctive, sous la plume des analystes comme dans les déclarations des leaders et divers responsables, expression aussi trompeuse qu’éloignée des réalités du monde actuel, tel qu’il fonctionne, non tel que veut le laisser croire la «Communauté internationale», c’est-à-dire ce groupe de pays qui se présentent comme «la conscience de l’humanité» et poussent le cynisme jusqu’à faire croire qu’ils seraient animés, dans leurs relations avec le reste du monde , exclusivement par des principes si nobles que nul ne saurait les violer, s’y opposer ou les combattre, sans mériter l’opprobre universelle.

Une expression aussi troublante qu’ambiguë
Cette expression est fondée sur une observation, que tout un chacun peut faire sans avoir eu le bénéfice ou le privilège d’être passé par un «institut des sciences politiques» prestigieux ou d’avoir «usé le fond de ses culottes» dans une université internationalement reconnue : c’est que cette «communauté internationale» semble employer une grille d’analyse des évènements de ce monde et des bouleversements qui s’y déroulent, grille qui change de manière arbitraire au fil de l’actualité et de la localisation étatique de son déroulement.
Il est fait référence, ici, — et tous ceux qui suivent de près cette actualité ont certainement deviné quelle expression il s’agit de «déconstruire» depuis le début de ce développement, — à l’expression : «deux poids, deux mesures».
Cette expression est tout simplement trompeuse, car d’abord elle fait croire que «la communauté internationale» respecterait un certain nombre de principes dans son comportement vis-à-vis du reste du monde, ensuite, qu’elle les modulerait de manière rationnelle en fonction des spécificités circonstancielles propres à chaque situation où elle doit prendre position.
On prête aux grands de ce monde une certaine constance dans le fil directeur de leurs actions et réactions, ce qui, visiblement, ne reflète nullement la réalité. On entretient l’idée qu’ils auraient deux grilles d’analyse, toutes deux comportant des critères établis une fois pour toutes, qu’ils utiliseraient pour faire avancer les «principes sacro-saints» dont ils se réclament, principes n’ayant, selon eux, pour seul objectif que de créer un monde plus juste et plus humain.

Il n’y a d’autres principes que la loi du plus fort et les intérêts des plus puissants
Ceux qui emploient cette expression veulent, évidemment, critiquer les prises de position et les décisions de cette «communauté internationale».
Mais, en fait, ils lui rendent hommage, car ils reconnaissent, explicitement et implicitement, qu’elle serait animée par de nobles intentions, qu’elle ne pourrait concrétiser qu’en ajustant son comportement aux circonstances du moment, sans perdre de vue ses «nobles objectifs finaux» qui iraient dans le sens de l’émergence d’un meilleur monde.
A bien observer leurs déclarations, comme leurs actions, diplomatiques ou agressives, que ce soit sous la forme de «sanctions unilatérales, ou «de conflits armés» directs ou par procuration, sans oublier la manipulation, en leur faveur, des institutions internationales, y compris judiciaires, (cf. la Cour pénale internationale et ses décisions dignes du roi Ubu) on constate qu’en fait, elles n’utilisent qu’un poids et ne se réfèrent qu’à une mesure : le poids est celui des armes, et la mesure est leurs intérêts économiques et sécuritaires.
Les principes qu’ils énoncent ne sont que l’écran de fumée qu’elles utilisent pour camoufler ce poids et cette mesure. Et ils font de ce poids et de cette mesure les seuls critères de leurs actions, tout en refusant aux autres membres de la planète Terre d’utiliser leur propre poids et leur propre mesure de même nature. Ils rendent illégitime toute tentative d’utiliser ces mêmes critères par d’autres pays pour modifier ou améliorer en leur faveur les résultats de ce poids et de cette mesure.

La démocratie électorale n’est pas une fin en soi
Le cas du Niger, où, tout récemment, s’est produit un changement de leadership, représente une vérification patente de ce poids et de cette mesure.
Là, il est reproché une rectification institutionnelle qui n’a pas suivi la forme voulue, telle qu’établie par la Constitution du pays, et qui a amené l’armée du pays à prendre ses responsabilités en tant que rempart ultime pour la survie de l’État.
La démocratie libérale n’est pas une fin en soi et l’émergence d’une représentation populaire tout comme la désignation du chef suprême du pays par la voie des urnes ne garantit nullement que les problèmes du pays trouvent une solution satisfaisant toutes les couches de la population.
De même, la légitimité et la légalité de l’accès au pouvoir de la classe dirigeante ne constituent nullement, et quasi-automatiquement, l’assurance qu’elle sera capable de défendre les intérêts de la Nation dont elle a gagné la confiance et le mandat par les urnes.

Que périsse la Nation pour préserver un ordre constitutionnel qui ne règle aucun problème national ?
Si les citoyennes et citoyens du pays en cause constatent que leurs dirigeants ont failli à leur mandat et à leurs promesses, et qu’ils n’ont même pas été capables de négocier avec leur principal partenaire étranger, qui se trouve être leur ancien colonisateur, les termes de l’exploitation de leurs richesses minières, en conformité avec leurs intérêts économiques et sociaux légitimes, doivent-ils se résigner à accepter cette duperie qu’est la démocratie formelle ?
La survie du pays et de son peuple doit-elle être empêchée par la nécessité de respecter un texte dont la seule valeur vient de ce qu’il promet non seulement la sécurité et la stabilité, mais également l’amélioration des conditions de vie ? Ceux auxquels il est fait appel en cas de danger de désintégration de la Nation, et qui ont pour devoir de constituer le dernier rempart, l’ultime recours si la «démocratie» formelle ne permet pas au peuple de sortir de sa misère et de son désespoir, vont-ils rester figés et passifs dans leur respect de formes qui ne servent qu’à perpétuer un ordre factice et périlleux au profit exclusif de l’exploitant étranger ?

Le reproche fait au coup d’état : il n’a pas été commandité de l’extérieur !
Que l’on ne se fasse aucune illusion ! L’indignation, essentiellement animée par la puissance qui profite des richesses minières du Niger, n’a rien à voir avec la violation de l’ordre constitutionnel dans le pays, mais plus avec le risque de perdre les bénéfices qu’elle tire du système politique constitutionnel et de la passivité des dirigeants face au pillage de ses richesses.
Ce qui est reproché aux auteurs du coup d’État, ce n’est pas d’avoir porté atteinte au principe sacro-saint de la démocratie, c’est-à-dire l’accession au pouvoir par mandat électoral, mais seulement d’avoir effectué cette «rectification institutionnelle» indispensable, sans la complicité de l’ex-puissance coloniale, et sans la garantie de la laisser librement jouir, gratuitement, des richesses naturelles du pays. L’appel aux armes qu’a suscité ce coup d’État n’est que l’application du poids militaire et la mesure n’est autre que l’ampleur des intérêts économiques qu’il met en danger.
L’ex-puissance aurait fait montre d’une extrême indulgence envers les «putschistes» s’ils avaient, conjointement avec elle, coordonné la mise à l’écart du président déchu et, en même temps, lui avaient expressément garanti le maintien du système d’exploitation des ressources naturelles du pays, en assurant le maintien de son accès totalement gratuit.

L’enjeu, non la légalité constitutionnelle, mais la mainmise extérieure gratuite sur une ressource stratégique du Niger
Car une analyse du mode de gestion de la grande société qui exploite une ressource stratégique tant pour la production d’énergie que pour la production d’armes de destruction massive, prouverait facilement qu’en fait, la population nigérienne ne bénéficie ni financièrement, ni économiquement, ni, évidemment, socialement de l’exploitation de cette ressource, et que la puissance qui en profite l’obtient à un coût nul, si l’on prend en considération le fait que les recettes de cette exploitation sont versées au trésor du pays exploitant, et qu’il ne partage pas avec le gouvernement et le peuple nigérien les bénéfices qu’il tire, en aval, de cette matière première indispensable à sa prospérité et à sa défense.
En creusant un peu plus, on pourrait s’apercevoir que le Niger n’a même pas pu se constituer une force technologique lui permettant de procéder lui-même à la gestion totale de cette richesse.
Sans aucun doute, le personnel nigérien employé dans cette exploitation se recruterait essentiellement parmi les activités de services ancillaires. De plus, l’exploitation s’effectue sous la forme d’entités, totalement isolées de l’économie locale, qui importent, en exonération de taxes, tous les biens alimentaires et autres dont le personnel expatrié aurait besoin. Il va sans dire que les salaires versés à ce personnel, sans aucun doute exempté d’impôts locaux, sont immédiatement crédités à ses comptes en «métropole».

En conclusion
Il est regrettable qu’au lieu d’aller au fond du problème et de se demander si cette «rectification institutionnelle» constitue, en fait, la seule réponse à une situation bloquée, où l’ex-puissance refuse d’apporter toute modification à son mode d’exploitation de la richesse minière stratégique nigérienne, et de partager avec le Niger les bénéfices énormes — tout comme la technologie y attachée, — les pays limitrophes brandissent l’usage de la force armée pour rétablir un ordre constitutionnel incapable de donner l’espoir d’une vie meilleure à un peuple accablé par une misère quasi-générale, et se font complices de la puissance exploitante extérieure, qui n’a qu’un seul objectif : continuer à piller le pays.
On ne peut que trouver également incompréhensible la décision de l’Union africaine de suspendre le Niger et d’appeler à son isolement diplomatique, tout en encourageant à la tragédie de l’intervention extérieure, dont seule profiterait l’ex-puissance coloniale.
On pensait, sans doute, à tort, que cette union avait pour seul objectif de sauvegarder les intérêts des États membres et de leurs peuples, non de contribuer à la pérennisation du pillage de leurs ressources naturelles, et à la perpétuation de l’instabilité politique, que la misère sociale généralisée ne peut que rendre encore plus grave.
Le terrorisme ne trouve-t-il pas terrain plus favorable pour prendre racine et étendre ses ramifications au détriment même des pays du continent qui appellent à la guerre contre le peuple nigérien ?
Et une question ultime se pose en liaison avec l’extension du terrorisme : les interventions musclées étrangères ont eu comme résultat paradoxal d’aboutir à la généralisation du phénomène : y a-t-il comme une sorte de complicité tacite entre ces puissances extérieures au continent, qui trouveraient que c’est dans leur intérêt d’entretenir la menace terroriste pour préserver leurs intérêts économiques et maintenir leur influence sur les Etats de la région, et que la misère et l’instabilité politique sont plus rentables pour eux que le retour à la paix sur ce continent ?
M. B.



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