Algérie

Nicolas Beau



Nicolas Beau
-Vos enquêtes sur les biens acquis par des dirigeants algériens en France n'ont pas été suivies d'effet, ni par la justice ni par la presse française d'ailleurs. Pourquoi tant d'autocensure 'Parce que, pour le moment, on n'a trouvé qu'un seul appartement, propriété de la famille Saadani. Et que cet appartement est situé dans un très beau quartier. Il est relativement luxueux mais il n'est pas immense, il fait 600 m2. Mais ce n'est pas tout le monde qui peut s'offrir ça. Pour revenir à la question, au stade de nos découvertes, nous ne sommes pas à la même échelle que les biens mal acquis par les dirigeants du Gabon ou de la Guinée équatoriale.Deuxièmement, le dossier Algérie est très peu suivi par l'opinion nationale française. Parce qu'il est très difficile à suivre, ne serait ce que parce qu'il faut des visas pour travailler en Algérie. Je sais que si je demande un visa aujourd'hui, on ne me l'accordera pas.D'ailleurs, la campagne électorale algérienne était très peu suivie en France avec peu de journalistes assurant les couvertures. Que Saadani ait une carte de résidence en France, les gens n'arrivent pas à saisir l'incongruité de la situation. Posséder une carte de résidence alors qu'il a le passeport diplomatique, qu'il n'a pas de problème de visa, cela voudrait dire qu'il cherche à se préserver au cas où les choses tourneraient mal en Algérie. C'est perçu à peine comme une bizarrerie. Mais la raison principale est qu'un dirigeant d'un pays étranger possédant un bien d'un million d'euros en France est vu tout juste comme un péché véniel.-Qu'est-ce qui serait de l'ordre du scandale ' Pourquoi les dirigeants nord-africains et leurs biens ne font pas scandale 'Quand on voit ce que possèdent les Omar Bongo, Sassou, Obiang à Paris, c'est multiplié par plusieurs fois 100. Et puis ces dirigeants ont leurs relais dans l'appareil d'Etat français. Saadani en a. Ses papiers, il les a eus en 2011 à l'époque de Claude Guéant, ministre de l'Intérieur. J'ai une idée assez précise de qui était l'intermédiaire entre Saadani et Guéant. En revanche dans les médias français, je ne pense pas qu'il bénéficie d'une indulgence particulière. Car si on découvrait que Saadani possédait une dizaine d'appartements à Paris, l'affaire ferait scandale. Mais c'est vrai, on ne peut pas imaginer une chose pareille.-Ne pensez-vous pas qu'il puisse bénéficier d'un parachute miraculeux 'Non, je ne crois pas. Le goût pour l'immobilier parisien est partagé par nombre d'Algériens. Effectivement, c'était très dur de trouver des gens qui parlent. On nous a accusés d'ailleurs d'être à la solde du DRS. Or, certains gradés du DRS possèdent également des biens. On en a cité un d'ailleurs et il s'agissait de l'ancien numéro 2 des services, le général Smaïn Lamari, et il y en a beaucoup d'autres.Personne n'a intérêt à ouvrir la boîte de Pandore. Nous, nous gérons les fuites. Pas toujours. Car souvent, quand on sort une affaire, c'est un camps qui dénonce un autre. J'ai d'ailleurs été contacté par des gens intéressés de dénoncer l'achat de biens, ça reste délicat de pointer X ou Y, cela reste tout de même un phénomène scandaleux. Je m'interroge d'ailleurs sur la manière avec laquelle ils acheminent les fonds. Moi, j'ai évoqué comment Sarkozy a vendu son appartement à Neuilly, dans l'île de la Jatte, à celui qui règne sur le segment de l'importation des voitures de luxe à Alger, qui possède une agence immobilière à Neuilly ? quand même ? alors qu'il réalise l'essentiel de son chiffre d'affaires à Alger.-Comment la transaction s'est-elle déroulée 'La vente s'est faite de particulier à particulier. Ils sont passés par le Crédit agricole de Genève. Une banque connue pour avoir joué un rôle dans des dossiers sensibles, comme celui des frégates Sawari II (vendues à l'Arabie Saoudite, ndlr). Dans le dossier de l'instruction, le nom de la banque a été cité pour avoir recueilli quelques fonds suspects, mais après? Il y a quand même quelques Franco-Algériens susceptibles de recevoir ici des fonds et je pense que là l'organisme antiblanchiment Tracfin souvent ferme les yeux, parce que c'est un organisme qui dépend de Bercy (ministère des Finances), donc du gouvernement. On peut imaginer qu'avant de dénoncer le transfert de fonds suspects, cet organisme demande d'abord des autorisations.Or, comme c'est le cas aujourd'hui, un ministre comme Montebourg a beaucoup d'amitiés algériennes. Ça reste donc très verrouillé, comme à l'époque de Sarkozy. L'enquête est donc très difficile à mener pour démonter tout le système qui par son ampleur est largement à la mesure (de l'envergure) des autres dossiers des biens mal acquis.-Un scandale impliquant un haut responsable politique algérien aurait-il énormément gêné le gouvernement français 'Ce qui aurait pu être gênant dans les informations livrées? aurait été celle relative à la carte de résidence de dix ans. C'est quelque chose qui parle aux Français. Pour un gouvernement qui prône une politique répressive en termes d'immigration et qui donne des cartes de résidence à ses amis uniquement pour qu'ils puissent échapper un jour éventuellement à la justice de leur pays, si l'affaire avait pris de l'ampleur, elle aurait sans doute eu des implications sérieuses. Malheureusement, cet aspect-là, qui aurait dû avoir un écho, n'en a pas eu-L'industrie de la Société civile immobilière (SCI)...C'est une bonne question. Si vous consultez les services fiscaux et du cadastre, ils vous diront que c'est un moyen très répandu pour tromper le fisc et ne pas payer d'impôt. Vous avez des modes de domiciliation qui permettent de vivre caché. Pour Saadani, sa société immobilière-L'Olivier est domiciliée dans une espèce de coquille vide, rue de la Bienfaisance, quand on appelle le numéro, on tombe sur une caisse de retraite.Quand on y va, on n'a rien, même pas une plaque. Et tout ça est étrange. Et évidemment, il faut avoir des contacts aux Impôts pour savoir si Saadani paie des impôts sur sa SCI. Ce sont des enquêtes difficiles, puisqu'en France, il y a une grosse tradition de devoir de réserve chez les fonctionnaires. Et c'est pour le meilleur aussi. Comme contribuable, on n'a pas envie de voir sa fiche d'impôt étalée sur la place publique.




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