Algérie

Neuf jours chez les Pygmées du Congo (2/9)



Neuf jours chez les Pygmées du Congo (2/9)
Jour 2. Samedi 14 mai. La remontée de l'Oubangui jusqu'à Bétou.

En fin de matinée, nous quittons Imfondo pour embarquer à bord de la 'canonnière' du préfet. Installés sur le toit, deux militaires armés chacun d'un fusil-mitrailleur veillent au grain. Ils cuiront toute la matinée sans se plaindre. Durant plus de trois heures, nous remontons l'énorme Oubangui, la Seine à côté ressemble à un ruisselet.

Rien ne bouge sous le soleil assassin, sinon quelques pêcheurs jetant leurs filets, debout dans leur pirogue. 'Quand j'étais enfant, il y avait de nombreux hippopotames par ici, mais ils ont tous disparu', lâche le préfet, qui s'est déchaussé pour être plus à l'aise.

* Esclaves des Bantous, chassés de la forêt, les derniers chasseurs-cueilleurs de la planète sont au bord de l'extinction.

Le canot ne cesse de zigzaguer au ralenti entre les bancs de sable. Les pluies sont en retard cette année ! Le préfet s'impatiente.

De loin en loin, un village rompt la monotonie du paysage. Enfin Bétou ! Le caméraman de la télévision nationale est le premier à descendre du bateau pour filmer le débarquement du préfet, sous la clameur de centaines de villageois. Chants, danses, bousculades, cris, sueur... De jeunes femmes très excitées brandissent des bouteilles de bière.

Nous apercevons alors nos premiers Pygmées. Regroupés à part des Bantous, ils manifestent la même joie avec des chants et des danses. Première surprise : ils ne sont pas aussi minuscules que nous l'imaginions. Peut-être une tête de moins que les grands Noirs. Sur les vieilles photos du XIXe siècle, leurs ancêtres paraissent nettement plus petits. La raison en est-elle un léger métissage avec les Bantous ? Deuxième surprise (et regret), ils ne sont pas à moitié nus recouverts de feuilles comme dans les vieux films de Tarzan. Ils portent tee-shirts, pantalons et boubous fatigués.

Il faut que nous parvenions à les convaincre de nous accueillir dans leur village. Sorel, qui parle un peu leur langue, part en chasse. En fin de journée, un jeune autochtone de 20 ans, bien habillé, parlant français, vient nous trouver. Il se présente avec douceur : 'Mon nom est Brice Kaya, je suis l'instituteur des Pygmées de Bétou.' Il enseigne le français, le calcul et la culture à une trentaine d'élèves entre 6 et 12 ans. Il a surtout entendu parler de notre quête et se propose de nous emmener, le lendemain, au campement de ses parents, situé à une dizaine de kilomètres en forêt.

Kaya parti, Sorel tente de m'éclairer sur ce fameux esclavage des Pygmées par les Grands Noirs. Il lève les yeux au ciel : 'dès le XIXe siècle, les Pygmées ont commencé à s'installer à proximité des villages bantous pour profiter de leur protection. Pour autant, cela ne les empêche pas de continuer à parcourir la forêt pour se procurer leur nourriture et les objets dont ils ont besoin pour vivre. Peu à peu, il s'est créé des liens de soumission au profit des Grands Noirs. Ceux-ci leur ont fait défricher la forêt, cultiver leurs champs ou encore accomplir d'autres tâches pour rien ou contre quelques objets en fer, des vêtements, de l'alcool. Chaque famille bantoue possède ainsi ses Pygmées transmis de père en fils, mais contrairement aux vrais esclaves, ils ne peuvent pas être vendus.'

Aujourd'hui, il existe encore, perdus dans la forêt, loin des villages, quelques groupes de Pygmées vivant traditionnellement, chassant encore l'éléphant à la sagaie, mais ils ne représentent plus que quelques milliers d'individus. Quand les forestiers tombent sur eux, ils les traitent d'animaux afin de les inciter à déguerpir des lieux et à rejoindre les villages. 'Le gros problème avec les autochtones, c'est qu'ils ont un grand complexe d'infériorité', conclut Sorel. Là-dessus, nous allons nous coucher.

* Esclaves des Bantous, chassés de la forêt, les derniers chasseurs-cueilleurs de la planète sont au bord de l'extinction.


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