Algérie

Nesrine... le soleil s'est couché


Nesrine... le soleil s'est couché
Une brise parfumée, une rosée matinale et un soleil pâle. L'éveil d'un jour nouveau, un sentiment de lucidité absolue et la certitude de marcher d'un pas plus décidé. Il est six heures moins le quart du samedi et je suis heureuse, juchée sur mes talons en pyjama et cheveux en bataille. Cela fait, aujourd'hui, trois automnes que je célèbre, du haut de notre terrasse, en portant un Lipton caramel à Dame Nature à peine fut-elle éveillée de sa torpeur estivale. Je suis heureuse. Bien sûr, mon coin de verdure tant affectionné recule un peu plus au profit de cubes de béton grisâtres et d'acier flamboyant et mon regard se heurte indubitablement à des embryons de villas en suspens, plus abondants que les demeures au luxe tapageur. Bien sûr le soleil, en cette dernière semaine de septembre se fait terne et des nuages menacent de le voiler. Cependant, une vague de satisfaction m'inonde. Rien de particulier ne rythmera ma journée. Pas de nouvelles réjouissantes en perspective dans la semaine. Pas même la promesse d'un amour imminent, ni l'ivresse d'une passion. Le bonheur ne s'explique pas. Il n'a aucune argumentation à faire. Le bonheur se vit, furtif et insaisissable.Dans cette brèche enchanteresse, plus aucun mal ne m'est injuste ni aucun problème dépourvu de solution. Pleinement consciente de chaque fibre qui me constitue, il me semble vivre plus à l'aise. Je prends une gorgée de thé tiède, fais quelques pas et me décide à rentrer.Je m'étends sur mon lit quelques minutes avant de ramasser mon ordinateur portable abandonné par terre la gueule ouverte et le pose sur mon ventre. Il est encore chaud. Une phrase est suspendue au détour d'un adjectif. Je pianote sur le clavier quelques mots avant de me lasser. Difficile de qualifier un sentiment lorsqu'il est fortuit et qu'on le sait évanescent.Je maudis mon serveur internet au bout de la sixième tentative pour accéder à une page quelconque et délaisse les nouvelles du jour dans leur version électronique avant que cette contrariété n'entame ma bonne humeur. Sur ma table de chevet, s'amoncellent quelques DVD maintes fois visionnés, un manuel dont je rechigne à poursuivre la lecture, un ancien journal et un roman qui m'aura tenu en haleine les trois quarts de la nuit.Lorsque mes paupières s'alourdissent, que mon corps réclame son sommeil légitime et que ma tête tourbillonne, j'éteins la télévision, compagne de mes insomnies, et me dirige vers la salle de bains en ramassant un jeans et un haut sur mon passage. Une douche est vite expédiée.Mes cheveux, une fois peignés, prennent une forme loufoque. Perplexe face à mon miroir, je finis par les attacher, faute de mieux. Tant pis pour mon ego de jeune femme, le boulanger n'est pas beau garçon.Il est six heures et demie. Me voilà éveillée depuis près de vingt heures. Une grande gorgée de Cola pour faire passer pilules et cachets, une veste et me voilà sur le point de sortir. Malgré mes précautions, ma mère apparaît dans l'embrasure de la porte de sa chambre à coucher, ronchonne et bouffie. Elle ne dit rien aujourd'hui et se contente de me regarder. Je lui dis que je vais acheter un journal et des croissants, mais elle sait que je vais me balader.Ces courts instants, quelques dizaines de minutes avant les bousculades des jours de la semaine et leurs lots de course contre la montre et d'embouteillage sont mes instants favoris pour flâner dans les dédales d'Alger. Quelques rares personnes m'emboîtent le pas, attirées par l'odeur sucrée qui émane de chez les boulangers, des noctambules regagnent leur domicile et deux voitures descendent la rue principale à toute allure.En cette heure matinale, Alger m'appartient ciel et bitume. Aucun regard ne se pose, agaçant, sur moi ni aucune parole ne parvient, vexante, jusqu'à mes oreilles. Les magasins sont clos et des sans-abri sont assoupis au pied des immeubles, mais l'air est frais et le bonheur exige peu : respirer bien fort et porter le regard bien haut.* Extrait du recueil inédit Une escapade amoureuse de Nesrine Sellal, à paraître bientôt chez Lazhari Labter, collection Passe Poche. Tous droits réservés. Reproduction interdite sans l'autorisation écrite de l'éditeur.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)