C’est la première fois qu’un historien ose s’engouffrer dans l’étroite ouverture de la grotte où reposent, dans un indécent désordre, les restes d’hommes, de femmes et d’enfants, enchevêtrés les uns dans les autres pour l’éternité.
Depuis le passage du géographe Felix Gautier, à la fin du 19ème siècle, c’est la première fois depuis les enfumades ordonnées par Bugeaud et exécutées par Pelissier – entre le 19 et le 21 juin 1845, que la grotte de Ghar El Frachih - lieu du terrible drame -, reçoit un citoyen français.
C’est également la première fois qu’un historien ose s’engouffrer dans l’étroite ouverture de la grotte où reposent, dans un indécent désordre, les restes d’hommes, de femmes et d’enfants, enchevêtrés les uns dans les autres pour l’éternité.
Après avoir parcouru le sentier à chèvres qui mène au fond de l’oued El Frachih, le groupe parmi lesquels il y avait le vieux Hammoudi, ancien travailleur émigré revenu au pays, son fils Mohammed, Ahmed le gardien du patrimoine immatériel de la région, ainsi que l’agronome Farid Ouali qui a tenu à faire ce pèlerinage sur ce lieu symbolique et douloureux de la résistance d’un peuple et de l’acharnement d’un autre. La descente à travers les bosquets de chênes Kermès rabougris par la nature du sol, n’aura pas été aisée, en raison des fortes pluies qui avaient rendu le sol glissant. Nous sommes parvenus au niveau du lit de l’oued sans aucun dégât, ce qui est une gageure. Sur les berges, accrochées aux branches de Pistachia lentiscus, les débris végétaux ramenés par le flot sont la preuve d’une crue importante.
Par moments, il était aisé d’évaluer la hauteur de l’eau à plus de 80 cm de hauteur. Pour ce petit ruisseau de moins d’un kilomètre, ne disposant que d’un insignifiant bassin versant, la prouesse paraît absolument invraisemblable. Au fond de l’oued, de rares sédiments encore en dépôt dénotent de l’extrême pauvreté des terres en amont. Les gros affleurements de gypse, typiques de cette région, lavés par les fortes pluies de la semaine dernière, font impression sur les visiteurs. Très vite, s’ouvre devant nous l’énorme trou creusé par l’oued dans la montagne, donnant ainsi naissance au fameux plateau d’El Kantara sous lequel la rivière, dans sa folie, rejoint, de l’autre coté de la montagne, l’oued Zerrifa.
Un manuel calqué sur le modèle franco-allemand
Selon les témoignages rapportés lors des enfumades de juin 1845, c’est sur ce plateau que le colonel Pelissier aurait dressé son camp. Ceci paraît peu probable du fait que ses tentes se seraient trouvées sous la menace du feu allumé par la troupe aux ouvertures nord de la grotte. Quelqu’un fait remarquer que la position étant située sous les vents dominants du Nord Est, - le fameux «chergui» très actif durant l’été - ce que les marins et les fellah connaissent très bien, les premiers pour s’abstenir d’aller en mer et les autres l’utilisant pour séparer le blé de la paille durant les battages -, Pelissier et ses aides de camp ne pouvaient installer leur PC sur le plateau d’El Kantara. Par contre, le mamelon se trouvant plus haut, exposé à la brise marine, offre encore de nos jours un panorama imprenable et surtout parfaitement éloigné de la fournaise que les soldats auront entretenue, deux nuits de suite, trois cents mètres plus bas.
Gilbert Meynier, qui venait de faire connaissance avec le terrain des opérations, demande à combien se montaient les effectifs composant la troupe à Pelissier. «Deux milles cinq cents hommes dont 700 auxiliaires relevant du Makhzen», assène un de nos accompagnateurs, ce qui prouve que, dès les premières années de la colonisation, la France, partout où elle passait, veillait à s’attacher le soutien et les services de certaines tribus indigènes. Une pratique qui atteindra son apogée lors de la Guerre de libération, puisque le nombre de supplétifs de l’armée française aurait dépassé les 200.000 harkis et autre goumiers. Manifestement très ému par la visite de la grotte, Gilbert Meynier n’a pas cessé de poser des questions sur les souffrances endurées par la région du Dahra en particulier et par l’ensemble de l’Algérie en général.
Lorsque nous lui demandons ce qu’il serait possible de faire à l’occasion de la célébration du 50ème anniversaire de l’Indépendance, l’historien et grand ami de l’Algérie parlera de l’incontournable reconnaissance par l’Etat français de ses crimes en Algérie du fait de l’acte colonial.
Ajoutant que la création d’une association d’historiens des deux pays devrait s’atteler à écrire une nouvelle page de cette histoire commune à l’image du manuel d’histoire franco-allemand. Un ouvrage à la fois dépassionné et objectif qui rendrait justice au peuple algérien et à son histoire. Dans toute sa diversité et dans toutes ses vicissitudes.
Yacine Alim
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Posté Le : 07/12/2011
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Yacine Alim
Source : El Watan.com du mardi 6 décembre 2011