Né le 6 août 1926 L'étoile de Kateb Yacine scintillera toujours

Publié le 04.08.2024 dans le Quotidien l’Expression

Posez la question à Rachid Boudjedra, l'un des meilleurs écrivains algériens de tous les temps: quel est le meilleur roman écrit par un auteur algérien?

Il vous donnera, inlassablement et sans aucune hésitation, la même réponse: Nedjma de Kateb Yacine. La même question peut être posée à d'autres plumes de haute voltige, la réponse ne peut être que Nedjma du même Kateb Yacine. C'est dire que cet écrivain, né le 6 août 1926, est la locomotive de la littérature algérienne. «J´aurais tant voulu écrire un roman comme Nedjma de Kateb Yacine mais je ne peux pas», a souhaité plus d'une fois Rachid Boudjedra pour confirmer la suprématie du talent littéraire de Kateb Yacine. Amin Zaoui, auteur d'un nombre considérable de romans aussi bien en français qu'en arabe a loué plus d'une fois le talent exceptionnel d'écrivain de Kateb Yacine.
Pour Amin Zaoui, Nedjma est un roman problématique, emblématique et parabolique. Un texte qui jouit d'une complexité structurale et d'une philosophie contextuelle. De son côté, Salim Bachi, considéré comme le meilleur écrivain de sa génération, estime que Nedjma de Kateb Yacine est un roman unique. Salim Bachi, auteur de l'incomparable roman Le chien d'Ulysse, primé plusieurs fois, a lu Nedjma plusieurs fois. La première fois, à l'âge de 15 ans. Quand le père d'un de ses amis lui avait demandé le métier qu'il voudrait exercer une fois adulte, Salim Bachi lui avait répondu «Ecrire». Son hôte lui tendit alors Nedjma de Kateb Yacine en l'avertissant qu'il s'agit d'un grand livre. Salim Bachi avoue qu'en dépit de la force poétique que dégage ce roman, il n'y a pas saisi grand-chose après cette première lecture. Il n'en sera pas de même les plusieurs prochaines fois.
D'ailleurs, c'est Kateb Yacine et plus particulièrement Nedjma qui a permis à Salim Bachi de comprendre que l'on pouvait innover en littérature. Comme on peut le constater à travers ces quelques exemples édifiants, l'influence de Nedjma de Kateb Yacine sur les écrivains algériens a été immense. Il a laissé une empreinte indélébile sur la majorité des grands écrivains venus après lui. Même ceux qui n'en ont pas été influencés directement, ont suivi son chemin. C'est-à-dire qu'ils ont fait en sorte à sortir des sentiers battus de l'écriture traditionnelle en tentant de forger leur propre style d'écriture. Certains l'ont fait avec succès et ont pu marquer les lecteurs et les critiques à travers leurs romans. Kateb Yacine a écrit Nedjma comme un volcan qui explose après avoir effleuré l'implosion pendant très longtemps. Une force poétique phénoménale se dégage dans son écriture. Mais pas que. Il y a aussi cette rupture franche et brutale avec l'écriture linéaire et narrative traditionnelle qui a été pratiquée jusqu'à la naissance de Nedjma. Et comme dirait encore Salim Bachi, Nedjma de Kateb Yacine est à la fois l'histoire d'une dispersion et d'une obsession.
L'influence du gigantesque écrivain américain William Falkner sur l'écriture de Nedjma de Kateb Yacine ne souffre d'aucune équivoque.
Kateb Yacine l'a dit et confirmé plusieurs fois. Mais l'exploit de l'auteur du Polygone étoilé, réside dans le fait que tout en s'inspirant profondément de Faulkner, il a réussi à produire sa propre oeuvre plantée et ancrée dans son propre espace sociologique, culturel et historique, voire identitaire. C'est en s'inspirant de Nedjma que Rachid Mimouni a réussi à écrire son très beau et fort roman Le fleuve détourné. Il est en est de même de quelques romans de Mohammed Dib venus après la parution de Nedjma. La littérature algérienne doit donc beaucoup à Kateb Yacine. Et surtout à Nedjma.
Aomar MOHELLEBI