Le retard abyssal
de l'Algérie dans le paiement électronique ne tiendrait finalement qu'à un vide
juridique. Mme Nawel Benkritly,
DG de la Société
d'Automatisation des Transactions Interbancaires et de Monétique (SATIM) fait,
dans cet entretien exclusif, le tour de la monétique en Algérie, et explique
ses bugs. La banque d'Algérie, le ministère des Finances, et l'ARPT, pour la certification de la signature électronique,
sont interpellés. Mais pas seulement eux. Document.
L'Algérie a mis en
place une plate-forme interbancaire dès 2005 mais elle n'a pas été encore été
totalement déployée. Où en est-on avec la monétique aujourd'hui ?
Je vous rappelle
que la SATIM est
une filiale des huit banques publiques, mais elle a pour clients l'ensemble des
banques de la place (financière), les banques privées, et Algérie Poste. Le but
de la SATIM est
de permettre l'interbancarité ; c'est-à-dire de
permettre pour un porteur d'une carte de paiement ou de retrait d'une banque ou
d'Algérie Poste de faire un retrait sur tous les distributeurs automatiques de
billets (DAB) sans aucune contraintes ou d'effectuer un paiement sur un
terminal de paiement électronique (TPE) chez n'importe quel commerçant.
Pour revenir à
votre question, l'interbancarité est opérationnelle,
mais le nombre de TPE reste marginal. A l'échelle nationale, seulement 3500
commerçants, dont la plus grande partie à Alger, ont accepté le paiement par
carte. Le plus souvent ce sont les pharmacies et les grands centres
commerciaux. La plate-forme de paiement par carte a été lancée en 2007. Quant
aux DAB, il en existe 800 au niveau des banques et près de 450 au niveau des
bureaux d'Algérie Poste. Et chaque année il y a un nouveau programme
d'installation de nouveaux DAB. Installée depuis 1997 la plate-forme de retrait
(DAB) totalise aujourd'hui 25.000 retraits par jour, toutes banques confondues
y compris Algérie Poste.
L'Algérien se
contente de retirer son argent liquide des DAB pour ensuite le dépenser en
cash. Vous ne trouvez pas que cela expurge la monétique de son essence qui est
de réduire l'utilisation du cash dans les transactions courantes ?
Oui tout à fait,
mais c'était un passage obligé pour amener les gens à accepter la carte. On ne
peut pas du jour au lendemain imposer la carte de paiement comme seul moyen de
règlement des transactions. On devait passer par plusieurs étapes. La première
c'était d'amener les clients à sortir un peu des agences bancaires et d'utiliser
les cartes de retrait. Mais le retrait n'est plus notre objectif, notre
priorité maintenant c'est la généralisation du paiement par carte.
Pourquoi alors
peine-t-on toujours à généraliser le paiement par carte ?
Actuellement il y
a 850.000 cartes en circulation. Ce n'est pas des millions mais ce n'est tout
de même pas négligeable. Mais il faut bien admettre qu'on observe une certaine
réticence des consommateurs et des commerçants. Il y a plusieurs raisons à
cela. La première c'est qu'ils ne connaissent pas le produit ou il n'y a pas eu
réellement de communications dans ce sens. Donc les commerçants ne voient pas
l'intérêt d'utiliser le terminal de paiement dans un premier temps. La deuxième
chose c'est que l'Algérien a une peur instinctive de la fiscalité : il craint
la traçabilité.
Que fait la SATIM pour inciter à l'usage
de la carte bancaire dans les transactions quotidiennes qui réduirait à coup
sûr le poids de l'économie parallèle ainsi que le trafic de billets de banque ?
Notre objectif
principal, est de déployer le paiement de masse. Au début, on s'est adressé aux
commerces de proximité qu'on a trouvé réticents. Pour les amener à faire
confiance, il faut que les services publics donnent l'exemple. Donc à présent
on implique les grands facturiers tels que Sonelgaz,
les sociétés de gestion de l'eau, Algérie Télécoms…etc. Nous sommes en voie
d'élaboration d'un programme de travail pour que ces entreprises publiques et
même privées, comme les opérateurs de téléphonie mobile, puissent offrir ce
moyen de paiement à leurs clients. Des TPE seront installés auprès des agences
paiement de ces facturiers pour proposer le paiement des factures en espèces et
avec la carte. C'est opérationnel dans les agences ACTEL. L'étape suivante
c'est de permettre le paiement des factures courantes à n'importe quelle heure
de la journée sur les DAB comme il se fait en Europe et notamment au Portugal.
C'est notre programme pour 2012.
Il faut aussi
ajouter le projet de migration progressive de 5 millions de cartes de retrait
Algérie Poste vers des cartes de paiement, ce qui implique la démultiplication
et la diversification des point de paiement par cartes dans tout les lieux les
plus fréquentés, notamment les stations de métro et de tramway.
Les
stations-service sont-elles concernées par ce programme ?
Naftal est impliquée
dans l'opération. Le privé, quant à lui, est toujours réticent surtout que le
prix est administré. Donc, ils ne voulaient pas payer la commission qu'on
imposait pour les commerçants (1,5 % de la transaction). Aujourd'hui la place
bancaire a réfléchi et se dit que si cette commission est un frein on la revoit
à la baisse. A présent, les tarifs ont baissé. Pour toutes les transactions
inférieures à 2000 DA c'est 2DA/transaction, et au-delà c'est 5 DA. Par ailleurs
toutes les stations Naftal sont équipées de terminaux
pour accepter déjà la carte Naftal en plus de la
carte de paiement bancaire. Naftal envisage même
d'installer dans les nouvelles stations des distributeurs automatiques de
carburants (DAC) avec paiement par la carte. Il faut noter également qu'il y a
des projets en cours pour la gestion des autoroutes. Il est prévu des stations
de péage disposant de terminaux pour paiement par carte.
La SATIM prévoyait le lancement du paiement en
ligne courant 2011. On est pratiquement à la fin de l'année, où en est-on ?
La partie
technique est prête avec des essais concluants réalisés lors de l'opération
pilote lancée avec Air Algérie. Maintenant on cible les cas de litige qui
peuvent apparaitre lors du lancement officiel du e-paiement. On travaille spécifiquement sur les conventions
de place ; c'est-à-dire les accords entre les différents acteurs (SATIM-banques-commerçants) pour que toutes les parties
soient protégées notamment le consommateur pour aller ensuite éventuellement
vers l'amendement des différentes lois (code de commerce, code pénal et code
civil) pour accompagner l'introduction d'aspects non abordés par l'ancienne
législation.
Qui détient la
décision de lancer le e-paiement ?
La décision se
fait à deux niveaux : la Banque
d'Algérie, parce que c'est à elle qu'il revient de valider une opération
financière, et le ministère des Finances, qui se charge, si besoin est, de
préparer l'amendement des lois précitées. Mais c'est à nous banques et SATIM de
faire un travail de préparation et de réflexion pour le soumettre au centre de
décision. Et ce travail est en cours. Mais cela ne doit pas nous empêcher de
démarrer dans un premier temps avec les conventions de place en attendant les
éventuels amendements des lois. Ces conventions vont être soumises
prochainement à la Banque
centrale qui va donner son accord pour peu qu'elle s'aperçoit que toutes les
parties sont protégées.
Mais on a annoncé
pour début 2011 la possibilité de payer le billet Air Algérie sur Internet ?
C'est le pilote
qui été testé avec succès. Le service n'est pas encore ouvert à la clientèle
justement pour des problèmes liés à la réglementation.
Les sites web
proposant le service e-commerce en Algérie ne sont que de simples vitrines où
sont proposés des articles commerce. L'absence du paiement en ligne semble
entraver une dynamique qui s'amorce sur le Net.
Le retard dans le
lancement officiel du e-commerce est justifié par l'absence d'un cadre
réglementaire spécifique qui viendrait finaliser le projet. Il y a un vide
juridique : on peut assimiler le paiement sur le net au paiement classique
mais, simplement il y a des cas de fraudes qui n'existent pas sur le physique
qu'on devra définir.
On annonce la
migration vers la troisième génération de la téléphonie mobile. Y a-t-il un
projet pour faire du téléphone portable un outil de développement de la
monétique en Algérie ?
Il faut une
clarification sur le cadre réglementaire encore une fois. Ce n'est pas le moyen
en lui-même parce que le portable peut représenter un canal comme tout les
autres pour l'émission de transactions. Il faut déterminer le rôle de
l'opérateur GSM qui n'est pas une banque, et l'opération doit rester financière
initiée par la banque. Je dois vous avouer que la partie technique n'est pas difficile,
mais malheureusement rien n'a été fait dans ce sens. Cette idée n'a même pas
atteint le stade de réflexion.
Plusieurs banques
algériennes ont lancé des plateformes e-banking mais
aucune ne peut fonctionner à 100%...
Si la plate-forme
ne fonctionne pas à 100 %, c'est parce que les banques n'ont pas ouvert à leurs
clients toutes les possibilités, c'est-à-dire le client peut faire la
consultation mais pas ordonner des virements. Je crois que c'est pour des
raisons de sécurité qu'elles ont limité les services. Et ce n'est pas nous qui
gérons ces plates-formes.
Mais si on avait
lancé le e-paiement cela aurait-il été différent ?
Ça ne répond pas
tout à fait à la même logique, le e-paiement
nécessite une carte de paiement avec toutes les données qu'elle contient en
plus de la présence du porteur. Sur la plate-forme du e-banking
vous aurez un identifiant plus un code pour lancer une opération de
consultation ou de virement via le canal Internet. Les plateformes d'e-banking sont plus perméables que le e-paiement,
mais il y a des moyens pour sécuriser les opérations de virements.
Qu'en est-il de la
signature électronique ?
La signature
digitale qui est le remplacement de la signature manuelle par un code chiffré
existe depuis le lancement de la carte de paiement. Tandis que la certification
électronique, celle-ci est un projet de l'ARPT. La SATIM est un utilisateur
comme toutes les banques. Dans la transaction financière on a besoin d'un
certificat d'authentification pour transmettre via un canal (souvent Internet),
une information chiffrée. Nous ne sommes pas partie prenante dans ce projet.
Les voisins
marocains et tunisiens ont bien avancé dans le domaine de la monétique.
Pourquoi selon vous ?
Nous avons démarré
en retard. Et on n'avait pas les mêmes priorités. Ce qui a poussé les pays
voisins à aller vite dans ce domaine c'est le tourisme. Il fallait bien
accompagner les touristes occidentaux habitués au paiement électroniques dans
leurs pays. Et au fur et à mesure nos voisins ont pu combler les lacunes.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 14/12/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Yazid Ferhat
Source : www.lequotidien-oran.com