Naturalisation et double nationalité en question

Alors qu'il y a peu personne n'en parlait, aujourd'hui on s'interroge sur la double appartenance, et la binationalité semble poser des problèmes ! Je pense que ce n'est pas tant le nombre des binationaux, ou leur loyauté ou encore la qualité de leur attachement à  la France ou à  l'Algérie qui sont en question. Je crois que ce qui pose problème aujourd'hui, ­ ceci est mon hypothèse forte, ­ c'est que la double nationalité n'est plus le privilège d'une certaine élite. Il convient également et surtout de rappeler que la binationalité est un fait qui résulte des logiques et des intérêts contradictoires des Etats, ce sont les Etats qui décident souverainement de naturaliser des citoyens d'autres Etats, et ce sont aussi des Etats qui revendiquent une allégeance perpétuelle sur des personnes qui ont cessé de vivre sur leur territoire depuis des générations.
Il ne sert donc à  rien de condamner ou d'incriminer des populations qui, pour certaines, se serviraient du droit en essayant de se créer des opportunités alors que d'autres sont, au contraire, prisonnières de dispositifs juridiques qui les dépassent. Il existe deux manières contradictoires d'envisager la double appartenance des binationaux. L'une, optimiste, consiste à  dire «en ayant deux ou plusieurs nationalités, on est plus libre, notamment de ses mouvements, on ne met pas tous ses œufs dans le même panier, etc.». Dans cette perspective, la bi-nationalité serait aussi la condition de l'homme libre ou moderne. L'autre vision peut àªtre incarnée par le sociologue algérien Abdelmalek Sayad, qui estimait, quant à  lui, qu'avoir deux nationalités partagées c'est avoir de fait deux moitiés de nationalité, qui n'en font pas une pleine. La binationalité, faut-il ici le rappeler avec lui, n'a pas nécessairement et toujours que des avantages ! Pour autant, comme sociologue, l'intérêt de la question ne réside pas tant dans les appartenances, qu'elles soient nationales, religieuses ou culturelles, mais dans les usages qui en sont faits. Autrement dit, la question n'est pas de savoir si l'on peut àªtre Français et Algérien en même temps, des milliers de gens le sont, mais comment on peut l'être et dans quels cadres des identités multiples peuvent s'exprimer.
- Mustapha Belbah. Consultant et co-auteur avec Zoubir Chattou de La Double nationalité en question : enjeux et motivations de la double appartenance, Kartala, Paris 2002.