Un scientifique chinois, chercheur à l'université de Shenzhen, a annoncé, le 26 novembre dernier, la naissance des premiers bébés génétiquement modifiés, à l'aide de la technologie d'édition génétique CRISPR.Deux jumelles dotées d'une mutation qui les protègerait du VIH. Le chercheur a fait son annonce à la veille de l'ouverture du sommet international de l'édition du génome humain, à Hong Kong, le 27 novembre, «He Jankui a mis en ligne une vidéo dans laquelle il annonce que les deux jumelles, Lulu et Nana (des pseudonymes), sont déjà rentrées chez elles et qu'elles se portent bien.
Si ??l'heureux événement'' était avéré, il constituerait un bouleversement sans commune mesure, autant pour le monde de la génétique que pour celui de la bioéthique», ont rapporté les agences de presse internationales. He Jankui annonce ainsi que son équipe a utilisé la désormais fameuse technique d'édition génétique CRISPR-Cas 9, facile et peu coûteuse à déployer, afin d'introduire dans les embryons une modification du génome à même de protéger ces deux jumelles contre le virus de l'immuno-déficience humaine (VIH).
Pour cela, les chercheurs s'appuient sur la seule et unique personne à avoir été déclarée guérie du VIH : le patient de Berlin, Timothy Brown de son vrai nom. Traité pour une leucémie, celui-ci avait bénéficié d'une greffe de moelle osseuse provenant d'un donneur doté d'une mutation génétique rare empêchant le virus de pénétrer dans les cellules. Depuis 2007, «le patient de Berlin» ne présente plus aucune trace du virus dans l'organisme.
C'est cette mutation du gène CCR5 (CCR5 delta 32) qui concerne 0,3% de la population mondiale que les chercheurs auraient ainsi insérée dans le génome de Lulu et Nana. «Lorsque Lulu et Nana n'étaient encore qu'une seule cellule, l'intervention génétique a supprimé l'accès par lequel le VIH entre dans les cellules pour infecter l'hôte», explique He Jankui dans la vidéo.
Avant de réimplanter l'embryon, l'équipe a vérifié que la modification avait bien eu lieu en séquençant l'ensemble du génome. «Les résultats indiquaient que l'intervention s'était bien déroulée, comme nous l'espérions». Selon le chercheur, la grossesse a été suivie de près et s'est bien déroulée.
«Après la naissance, nous avons à nouveau séquencé l'ensemble du génome de Lulu et Nana. Cela nous a permis de vérifier que la chirurgie du gène s'était bien passée : aucun gène n'a été altéré, à l'exception de celui permettant de prévenir l'infection par le VIH». He Jankui assure ainsi qu'aucune modification «off-target» n'a été détectée. Cette annonce inattendue a donné lieu à de nombreuses condamnations de la part de scientifiques, mais aussi d'instances politiques. Le gouvernement chinois a ainsi demandé à He Jiankui de suspendre ses recherches.
La co-inventrice de la technique Crispr-Cas 9, Jennifer Doudna (biochimiste à l'université de Californie à Berkeley), s'est dite quant à elle «vraiment déçue» et «un peu horrifiée» par l'annonce, mais aussi «dégoûtée» que les recommandations internationales aient été ignorées. La réaction de l'université et de la communauté scientifique ne s'est pas fait attendre. L'université de Shenzhen a annoncé ne pas être au courant des travaux de He Jankui, précisant que le chercheur était en congé sans solde depuis le mois de février 2018. Dans un communiqué, l'université se dit «profondément choquée» par ce travail qu'elle considère comme «une sérieuse violation des normes et de l'éthique académiques».
L'institution annonce ainsi avoir constitué une commission en charge d'enquêter sur cet incident. Dans le même temps, David Baltimore, de l'Institut des technologies de Californie (CalTech), président du comité d'organisation du sommet international Human Genome Editing, explique ne pas connaître les détails des annonces à venir lors de ce congrès : «Nous ne savons pas ce que He Jankui va dire lors de son intervention».
De son côté, le pionnier de la génétique de l'université Harvard, George Church, dit que les déclarations de He Jankui étaient «probablement précises. J'ai été en contact avec l'équipe de l'université de Shenzhen et j'ai vu leurs données», rapporte STATnews. Un communiqué, signé jeudi dernier par les experts présents au sommet international sur l'édition génomique humaine, condamne cette démarche jugée «irresponsable».
La communauté scientifique, indignée par les problèmes éthiques que cette essai clinique pose, estime que la mutation introduite se transmettra à l'éventuelle descendance des deux jumelles, et elle pourrait à terme affecter l'ensemble du patrimoine héréditaire.
Par ailleurs, la modification du gène CCR5 ne s'inscrit pas vraiment dans une logique thérapeutique, puisque Lulu et Nana ne sont pas malades. Il s'agit plus d'une sorte d'avantage qui leur est conféré, à la façon d'un vaccin protégeant d'une maladie, sauf que le vaccin est génétique, et donc transmissible d'une génération à l'autre.
«Si cela est avéré, cette expérience est monstrueuse», a réagi Julian Savulescu, directeur du Centre d'éthique des pratiques de l'université d'Oxford.
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Posté Le : 02/12/2018
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Djamila Kourta
Source : www.elwatan.com