Algérie

Nabil Djedouani, fondateur de «les archives numériques du cinéma algérien», à l'Expression «L'Algérie se doit de restaurer elle-même ses archives»




Publié le 29.09.2024 dans le Quotidien l’Expression

Membre du comité de programmation des Rencontres cinématographiques de Bejaïa, acteur et réalisateur, Nabil Djedouani, homme discret, fait surtout parler de lui grâce à son travail acharné autour de la sauvegarde du patrimoine cinématographique algérien, travail qu'il entreprend grâce à ce laboratoire foisonnant d'images que sont «Les archives numériques du cinéma algérien». Un domaine qui lui est très cher. À ce propos, une table ronde liée à «la restitution des archives cinématographiques: défis juridiques, politiques et éthiques» a été animée aux RCB, hier et dont il en fera partie. L'occasion nous a été donnée de revenir là-dessus, non sans évoquer son actualité et ses projets.
L'Expression: Vous avez récemment suivi une formation pour approfondir vos connaissances sur la numérisation des archives. Pouvez-vous nous en parler?

Nabil Djedouani: L'été dernier, j'ai eu la chance d'être sélectionné parmi quarante candidats venus du monde entier pour participer à la 10e édition de la Summer School de la Fédération Internationale des Archives du Film (FIAF) se déroule tous les deux ans à Bologne, en Italie. Cette formation, organisée conjointement par la cinémathèque de Bologne, le laboratoire L'Immagine Ritrovata et l'Association des cinémathèques européennes, m'a permis de renouer avec les aspects techniques de mon métier, après une période consacrée principalement à la recherche. Pendant plusieurs semaines, cette formation, riche en cours théoriques, conférences et ateliers pratiques, s'est conclue par l'un des plus beaux festivals de cinéma auquel j'ai eu le plaisir d'assister: «Il Cinema Ritrovato». Ce festival exceptionnel est consacré aux films restaurés. Un moment mémorable a été la projection d'une version en cours de restauration de La Nouba des Femmes du Mont Chenoua», réalisé par Assia Djebar en 1978, un projet mené par Ahmed Bedjaoui avec la prestigieuse Fondation Scorsese.

Vous avez récemment évoqué le manque de restauration des films algériens, avec seulement une douzaine de titres concernés, en partie parce que les archives ne sont pas en Algérie. Lors des RCB (Rencontres Cinématographiques de Béjaïa), dont vous êtes le co-programmateur et directeur artistique, une table ronde a été organisée sur ce sujet, abordant «la restitution des archives cinématographiques: défis juridiques, politiques et éthiques». Selon vous, où se situent les blocages et quelles sont les complications juridiques qui freinent ce processus depuis des années?

C'est en effet une problématique très préoccupante. Peu de films algériens ont bénéficié d'une restauration digne de ce nom, à l'exception d'une vingtaine de classiques. C'est un bon début, mais il reste beaucoup à faire. La majorité des archives cinématographiques algériennes, notamment les négatifs, est encore à l'étranger, ce qui complique considérablement leur préservation et leur rapatriement. Lors des Rencontres Cinématographiques de Béjaïa, nous organisons une table ronde sur la «restitution des archives cinématographiques». Ce qui est souvent méconnu, c'est que les archives des films algériens sont dispersées entre plusieurs institutions étrangères, ce qui crée de nombreux blocages. Sur le plan juridique, la situation est complexe, notamment en cas de coproduction entre plusieurs pays, ce qui rend le processus de rapatriement difficile. Par ailleurs, le manque d'infrastructures en Algérie aggrave cette situation. Cependant, des projets sont en cours, comme la création d'un centre de conservation des archives filmiques algériennes, même si cela prendra probablement plusieurs années. La première urgence, selon moi, est la création d'un centre de conservation aux normes internationales. Ensuite, il est crucial que l'Algérie se dote des moyens de numériser et restaurer elle-même ses archives. Nous avons tout à fait la capacité de sortir de cette dépendance nord-sud et, à terme, nous pourrions même devenir un pôle régional pour la conservation et la formation aux métiers de la restauration.

Cela fait de nombreuses années que vous collectez des films algériens, entre autres, pour les numériser. Que deviennent ces films, notamment sur le plan des droits?

Pour être précis, cette initiative a commencé en novembre 2012. La plupart des films que j'ai mis en ligne ces dernières années sont dupliqués et conservés sous format numérique sur plusieurs disques durs. J'ai également une collection de films en formats 8 mm, 8,5 mm, 9,5 mm, 16 mm et 35 mm, essentiellement des copies positives, allant du film amateur au film de fiction. Ces films sont actuellement conservés chez moi, ce qui n'est évidemment pas idéal pour leur préservation. J'aimerai les confier à la Cinémathèque algérienne, mais elle ne dispose pas encore d'un lieu de stockage adéquat. Un dépôt temporaire à la cinémathèque de Saint-Étienne est envisagé pour protéger ces films des effets du temps et des variations climatiques. Sur le plan législatif, les films que j'ai restaurés restent la propriété des ayants-droit. Travaillant principalement sur des oeuvres de cinéastes indépendants, je suis en contact direct avec eux. Les droits d'exploitation leur reviennent. C'est le cas, par exemple, des films de Boubaker Adjali et de Tahar Hannache, dont j'ai eu la chance de superviser la restauration avec différents partenaires. Je ne diffuse pas les films restaurés sur la chaîne YouTube des Archives numériques du cinéma algérien, car je ne souhaite pas nuire à leur exploitation commerciale. D'autant plus que ces films méritent d'être redécouverts en salle et être accompagnés d'une contextualisation. Pour d'autres films, je bénéficie, comme beaucoup d'autres chaînes YouTube diffusant des films algériens, d'une certaine tolérance, mais cela pourrait s'arrêter à tout moment.

Nabil Djedouani consacre beaucoup de temps à l'archivage de la mémoire cinématographique, notamment algérienne. Qu'en est-il de vos autres passions, comme le cinéma, la comédie et l'écriture? Quels sont vos projets actuels?

La recherche d'archives occupe encore une grande partie de mon temps. Cette année, en parallèle de mes collectes d'archives en Algérie, j'ai participé à la création d'une série qui, je l'espère, verra le jour. Mais comme vous le savez, l'écriture, la recherche de financements, la production, puis la diffusion d'une série ou d'un film sont des processus très longs, qui peuvent s'étendre sur plusieurs années. J'ai également commencé à écrire un livre sur le cinéma algérien, qui devrait paraître en 2025. Par ailleurs, le travail de programmation et d'organisation des Rencontres Cinématographiques de Béjaïa est très prenant, mais aussi très gratifiant, notamment avec la place que les RCB réservent désormais aux films du patrimoine. La projection de Boualem Zid el Goudam de Moussa Haddad, adaptée de la pièce de Slimane Benaïssa, en est un bel exemple. Je tiens d'ailleurs à remercier toutes les personnes ayant contribué à l'aboutissement d'un tel projet, à commencer par la direction de l'Entv productrice du film qui nous a donné son feu vert pour numériser ce film oublié en vue d'une restauration. Le Goethe Institut d'Alger est aussi à remercier, ils ont très tôt souhaité participer activement à cette initiative et leur soutien a été déterminant, tout comme celui d'Ahmed Bedjaoui production du film à l'époque pour la RTA et l'Arsenal Berlin, l'organisme qui a conservé une copie positive du film depuis 1981. Au sujet de la comédie et de la réalisation, cela commence à me manquer. Quatre ans se sont écoulés depuis la réalisation de Rock Against Police, et l'envie de replonger dans cet univers, mêlant musique et archives, devient de plus en plus pressante.

Il semble que vous prévoyez de faire une pause dans le domaine des archives pour vous consacrer à autre chose. Qu'en est-il exactement?

Cette année a été particulièrement éprouvante. J'ai cherché à obtenir des financements pour poursuivre le projet des Archives numériques du cinéma algérien, mais malheureusement, aucune demande n'a abouti. Il est important de rappeler que ce projet n'a jamais reçu de soutien financier, ni d'Algérie, ni d'ailleurs. Je suis donc arrivé à un point où il m'est devenu impossible de continuer à le financer sur mes fonds propres. Cependant, je n'abandonnerai pas, ce serait dommage de tout arrêter maintenant. Avec des amis en Tunisie et au Liban, nous envisageons de créer des initiatives communes pour poursuivre ce travail de valorisation, de numérisation et de restauration, dans une démarche solidaire sud-sud. Je garde bon espoir. Comme on dit, seul on va plus vite, ensemble, on va plus loin.
O. HIND




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