Algérie - Mohamed Ben Aïssa, Le Cheikh Al-Kamel

Mythes fondateurs de la confrérie des Aïssawa



Mythes fondateurs de la confrérie des Aïssawa

Nous ne prétendons pas exposer ici en détail la totalité des mythes fondateurs propres à la confrérie, mais en donner à connaissance quelques-uns des plus célèbres de façons à comprendre l'origine des démonstrations des plus impressionnants phénomènes d'invulnérabilité et d'immunité légués aux Aïssawa par le Cheikh Al-Kamel. 
 
La Baraka du Cheikh Al-kamel 
 
" Celui qui en ce monde me tient compagnie, ou me regarde ne serait-ce qu'en songe, va au paradis sur mon intervention "
Mohamed Ben Aïssa, dans son wasiyya, ensemble de conseils.
 
Les miracles qu'on attribue au Cheikh Al-Kamel son innombrables. Mohamed ben Aïssa avait selon la tradition populaire le pouvoir de changer les feuilles d'arbre en or, de neutraliser les animaux sauvages, de rendre inoffensifs les serpents et scorpions venimeux, de lire dans les pensées, d'avoir le don d'ubiquité, de posséder de remarquables pouvoirs de guérison. Il est dit qu'à sa mort, ses six cent disciples présent dans sa zawiya accédèrent instantanément à la déité. Il aurait obtenu pour ses compagnons la grâce d'être rendu invulnérable au venin des scorpions et serpents, et à la piqûre de feuilles de cactus. Grâce à sa domination sur les créatures, ce maître serait parvenu à réaliser dans sa communauté une sorte de fraternité entre les hommes, les animaux et les mlouks (génies, esprits) : 
 
"Les hommes et les mlouks sont tous voués à ma dévotion, de même les reptiles et les fauves du désert."
Mohamed Ben Aïssa, dans son wasiyya, ensemble de conseils.
 
Mohamed Ben Aïssa et ses disciples appartenaient à la classe des soufis dénommés "gens du blâme" ("malamatiya "), qui cachent leur sagesse sous des dehors extravagants. Il faut cepandant préciser que le Cheikh Al-Kamel n'a jamais conseillé à ses disciples de se livrer à la réalisation de ces différents miracles. Dans son wasiyya, qui est l'ensemble des conseils qu'il lègue à ses adeptes, Mohamed Ben Aïssa évoque à plusieurs reprises et sans ambigüité la même idée principale, élever son esprit par l'amour de Dieu dans l'espoir de s'unir en lui. La sentence suivante nous permet néanmoins de comprendre plus facilement les pratiques fakiristes qui ont rendu célèbres les Aïssawa :
 
"Vous et vos descendants vous mangerez tout ce que vous trouverez, seraient-ce même des substences nuisibles, telles que du verre, des pierres, des scorpions, des vipères, des serpents, et tout cela vous nourrira vous et les vôtres, à la condition que vous priez en vous conformant aux rites qui vous seront imposés"
 
 
Selon la tradition populaire, c'est le moqqadem qui lui-même distribue aux membres de la confrérie les immunités et pouvoirs qu'il tiendrait du Cheikh Al-kamel : 
 
" après quelques temps de noviciat les dons sont données successivement au jeune initié Aïssawa. Il va trouver le moqqadem et lui demande, par exemple, la permission de manier les serpents, de jouer avec le sabre, de manger du verre, etc, etc. s'il l'accorde, il a soin de mouiller de salive la partie du corps qui sera protégée ainsi des atteintes du mal.
Si quelques instruments est nécessaire, sabre, poignard, outils de toutes sortes, la moqqadem le mouille avec sa salive et le rend ainsi inoffensif pour le disciple.
Celui-ci ne doit jamais opérer en public sans en avertir le moqqadem qui doit l'y autoriser, car il est tenu envers son chef d'une grande vénération et d'une obéissance absolue "
 
Les Aissaouia à Paris à l'expo de 1900. Une scénace de fakirisme, page 36.
 
Aujourd'hui ces pratiques fakiristes ont totalement disparues des Hadra des tawa'if des Aïssawa citadins. Pour plus de détails concernant les descriptions de ces exercices, je renvois aux ouvrages décrivant les Hadra Aïssawa réalisés au début du XXe siècle.
 
Barwayil Al Mahgub, disciple initiateur du rituel 
 
Le Cheikh Al-Kamel, rappelons-le, fut pour la plupart des biographes un saint exemplaire, dont les seules activités furent la prière, l'ascèse, l'enseignement, la répétition du nom de Dieu (le Dhikr Allah), tandis que la tradition populaire fait de Barwayil Al-Mahgub (aussi appelé Abu Ar-Rawayin), son plus fidèle disciple, l'initiateur de toutes les pratiques confrériques et du déroulement de la lila. L'épisode le plus connu de la légende de Barwayil Al-Mahgub concerne sa première rencontre avec le Cheikh Al-Kamel. En voici une version sur laquelle les Aïssawa que nous avons rencontré semblent être d'accord :
 
" Barwayil Al-Mahgub qui était forgeron, parcourait le pays, une pioche à la main, et rendait visite aux Cheikh soufis dans l'intention de se faire leur disciple. Mais il y mettait une condition : que le maître soit capable de le Protéger, lui de l'enfer, et sa pioche du feu. Il passait trois jours auprès d'un maître. Le quatrième jour, il se rendait à sa forge pour mettre
sa pioche dans le feu. Si le feu prenait, si le fer rougissait, Barwayil Al-Mahgub quittait aussitôt le Cheikh pour se mettre en quête d'un nouveau maître.
C'est ainsi qu'il arriva chez Mohamed Ben Aïssa auprès de qui il resta donc pendant trois jours. Le quatrième jour, il se rendit de nouveau à sa forge, et grande fut sa joie en
constatant qu'il n'arrivait pas à faire brûler la pioche ni rougir le fer. Il avait enfin trouvé le maître qu'il cherchait, et dès lors ne le quitta plus. "
 
 
En hommage à cette légende, les Aïssawa aiment à dirent que pour faire partie de la confrérie et jouer correctement des instruments de percussions, il faut " être fort comme un forgeron ". Barwayil Al-Mahgub apparaît dans tous les récits que nous avons pu recueillir comme un personnage étrange, au comportement fantasque et insolite, aux pouvoirs inquiétants. On raconte qu'il vendait des villes, des âmes. A ceux qui refusaient de verser la rançon demandée, il promettait la mort. Paraît-il qu'il vendit même un jour la pluie. Son maître n'était pas à l'abri de ses facéties. On raconte que Barwayil Al-Mahgub urinant souvent dans le récipient qui servait d'ablutions au Cheikh Al-Kamel et le mettant sans cesse au défi de réaliser mille prodiges afin de lui prouver son réel pouvoir divin. 
 
Les personnages animaux et la frissa
 
Dans chaque ta'ifa un certain nombre de membres incarnèrent auparavant des espèces animales dont ils mimèrent le comportement lors de danses pendant la Hadra sur le Mjerred lors des activités collectives et surtout les moussems. Ces danses ressemblent fortement à des combats d'arts-martiaux voire à la capoëra. Deux personnages animaux se font face dans un combat très rythmé ponctué d'exclamations " Allah Daïm " (" Dieu immortel ") au rythme du Mjerred, le sommet du rituel. C'est le moqqadem qui, en fonction des caractéristiques morales et physiques des membres de la confrérie attribuait à chacun son personnage-animal. Les animaux ainsi représentés furent, par ordre de prestige décroissant :
 
Les lions : représentés par le moqqadem, son adjoint et quelques membres de la confrérie. Le lion était l'Aïssawa par excellence, le personnage centrale du rituel, craint et respecté de tous. C'est à la fois l'homme et l'époux des lionnes et aussi le sacrificateur lors de la frisa. Il déteste le chacal avec qui il se bat sans cesse. Les lions participent de plein droit à la frissa (dans certaines tawa'if, le trigre supplante le lion).



Les lionnes et les panthères : représentées par les femmes membres de la confrérie. Elles sont les épouses de lions et protègent le chacal des assauts répétés de leurs époux. Les lionnes participent aussi à la frissa.



Les tigres et les chiens (ou sanglier) : représentés par les autres membres masculins de la confrérie. Ils s'affrontent en de violents combats acharnés. Ils participent aussi à la frissa mais mangent les restes des lions et des lionnes.
les chats : ils se livrent à des menus larcins et à des jeux acrobatiques. Ils ne participent pas à la frissa.



Les chacals et les hyènes: représentés par les membres les moins valeureux de la confrérie. Ils tenaient le rôle de bouffons lors des moussems, parodiant le comportement des lions en volant de l'argent dans les poches des spectateurs. Le chacal faisait rire l'assistance par ses contes et son comportement burlesque. Il n'avait pas le droit de participer à la frisa, et il était le seul personnage animal à être costumé (chapeau multicolore, sacoche, bâton). Ils ne participent pas à la frissa.



Le chameau : représentés par les membres masculins de la confrérie. Il porte d'énorme charge, est herbivore et mange des cactus, des chardons et de l'orge. Il ne participe pas non plus à la frisa. Il ne participe pas à la frissa.


 
 
On a aussi remarqué (cf Brunel) qu'à la notion de filiation à partir d'un ancêtre animal s'était substituée celle d'une alliance ('ahd) due à la baraka de Sidi Ben Aïssa.
 
La frissa :
 
Le mot frissa vient de la racine farasa (dévorer). La frissa a toujours suscité les sentiments les plus extrêmes à l'égard de la confrérie. Ce rite qui rendait hommage à Barwayil Al-Mahgub et à son geste de désespoir se déroulait de la façon suivante :
Lors de la Hadra, au premier coup du Mjerred, le moqqadem se lève et entame la danse du lion. L'assistance amène alors un animal (mouton, chèvre) qui sera sacrifié. Le moqqadem se doit tout comme Barwayil Al-Mahgub, de le tuer à mains nues en invocant Allah. L'animal sera ensuite dépecé et les membres Aïssawa lions, tigres et lionnes en consommeront la chair crue, au rythme infernal des percussions soutenues par les mélodies des ghaita. Ces aspects insolites de la Hadra Aïssawa n'ont pas manqué de susciter l'indignation des anti-mystiques et de donner lieu à de vives critiques... 




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