Un important
colloque sur l'économie informelle se tient à Alger le 12 mars prochain sous le
haut parrainage du ministre du Commerce en partenariat avec CARE, le cercle
d'action et de réflexion sur l'entreprise. Mustapha Benbada,
le ministre du Commerce, a expliqué à ME.info et au
Quotidien d'Oran comment il voudrait intégrer l'économie informelle. Un retour
sur les émeutes de «l'huile et du sucre», des constats cinglants, des propositions
audacieuses. Entretien exclusif.
Après les émeutes
de janvier 2011, le gouvernement algérien a renoncé aux mesures de transparence
sur les transactions commerciales, notamment l'obligation du chèque pour les
transactions de plus de 500 000 dinars. Est-ce vous n'avez pas préféré
attribuer une trop grande influence au secteur informel pour ne pas reconnaître
d'autres causes à la colère des jeunes ?
On a abusivement
donné une lecture politique aux événements auxquels vous faites référence qui sont survenus dans une conjoncture régionale sensible. Les
manifestations étaient déjà en marche en Tunisie à ce moment-là. Le lien des
événements avec la hausse des prix de l'huile et du sucre me paraît évident. J'étais
sur le devant de la scène et c'est moi qui ai avancé cette réalité, en me
basant sur des faits.
Certes ce n'était
pas quelque chose de préparé ou d'orchestré comme on a souvent tendance à le
présenter selon une culture du complot très répandue chez nous. Mais ceci
n'écarte pas la possibilité que des opérateurs aient profité de la conjoncture
régionale en mois de janvier 2011 pour manÅ“uvrer dans le sens de leurs intérêts.
Ceci dit, ces manÅ“uvres ont certainement donné une lecture politique aux
événements de janvier.
Pour revenir à la
substance de votre question, il est vrai que le gouvernement a reculé sur
l'application d'un certain nombre de mesures, mais il faut avoir à l'esprit que
la stabilité du pays était en jeu et que cette stabilité n'a pas de prix.
Je vous assure, en
outre, que j'ai interpellé le gouvernement dès le mois d'octobre 2010 sur le
suivi nécessaire pour l'application de la règle du chèque sur les transactions
supérieures à 500.000 DA, prévue pour le 1er avril 2011. Ne serait-ce que pour
évaluer son applicabilité sur le plan organisationnel. Après des discussions
avec mes partenaires au gouvernement, on s'est aperçu que le terrain n'est pas
encore prêt pour son application.
Le gouvernement
n'a cependant pas renoncé à l'application de cette règle. Ceci est illustré
dans la directive du chef de l'Etat lors du conseil des ministres de février 2011
qui prévoit d'engager un débat sur la question du chèque avec les opérateurs
économiques pour préparer les conditions de son applicabilité.
Dans votre
approche de l'intégration de l'économie informelle, l'idée d'un rattrapage par
les infrastructures est omniprésente. Est-ce que l'informel en Algérie est
uniquement une question de lieux à pourvoir pour exercer les activités
commerciales ?
Le phénomène de
l'économie informelle n'est pas une problématique propre à l'Algérie. Elle se
manifeste dans tous les pays du monde, seulement son mode d'expression et sa
gravité diffèrent. Ma lecture la plus basique sur l'informel, en tout cas
l'informel visible, c'est qu'il est le fruit de la déstructuration des circuits
de distribution après le retrait des pouvoirs publics de la sphère économique
réelle. La disparition, donc, de la grande distribution publique, les Souks El
Fellah, les Galeries algériennes, et les grands organismes nationaux et régionaux
par filières industrielles. L'Etat a abandonné donc le terrain vierge au privé
dans une conjoncture très difficile, celle du terrorisme des années 1990. Cette
situation a laissé place à un système d'approvisionnement et de distribution
improvisé et déstructuré et surtout échappant à tout contrôle des pouvoirs
publics. C'est comme cela que le commerce informel s'est installé et a
constitué pendant longtemps la source principale des approvisionnements et, il
faut l'admettre aussi, une source d'emplois très importante. S'attaquer
brutalement à cette situation c'est se mettre devant un sérieux problème
d'approvisionnement. Cela étant, nous avons identifié une population parmi ces
opérateurs qui aspirent à avoir un statut. On a pensé à leur donner un lieu identifié
et structuré dans lequel les transactions sont codifiées. Ce qui profitera à
tout le monde.
Mais est-ce que
vous n'avez pas été un peu trop loin dans cette démarche en préconisant des
marchés de gros même pour des produits industriels, ce qui a laissé dire que
vous traitiez des problèmes d'aujourd'hui avec des réponses étatiques des
années 70 ?
Pas du tout. Les
marchés de gros de produits industriels ou agroindustriels existent sur le
terrain dans le monde sous d'autres appellations. Ils sont demandés par les
professionnels des filières, ce sont des lieux de compétitivité qui structurent
le marché. En Algérie, l'Etat est revenu pour investir dans les marchés de gros
après avoir constaté que les collectivités locales ne pouvaient financièrement
consentir un tel investissement. De même le privé n'a pas investi dans ce
domaine. 4 ou 5 marchés d'envergure nationale et régionale sont indispensables
pour structurer le réseau de distribution et créer un lieu de convergence pour
ces produits qu'ils soient importés ou produits localement. Vous noterez au
passage que lors des différents plans de dépenses publiques, il y a des budgets
colossaux pour tous les départements sauf pour celui du commerce.
Il n'en reste pas
moins que sur le front des politiques publiques, le retour en force des
subventions lui ressemble à un retour vers le passé. L'élargissement en 2011 de
la liste des biens au prix soutenu était censé être provisoire…
En effet. Mais
nous touchons ici à un problème de fond sur l'orientation économique du pays. Que
voulons-nous faire ? La phase de transition économique n'en finit pas. Il faut
faire des choix économiques clairs qui donnent des signaux réconfortants pour
les opérateurs. On a longtemps parlé d'une économie compétitive avec une
dimension sociale très importante. Maintenant nous avons les ressources
nécessaires mais est-ce que ça va durer ? J'ai soulevé ce problème en février
de l'année dernière en appelant à un débat national sur le système des
subventions. Pour l'anecdote, j'étais à Tlemcen cette semaine où on m'a soulevé
le problème de la contrebande. Pour moi, il n'y a qu'une seule solution
efficace : c'est la vérité des prix. Mais est-ce qu'on peut le faire maintenant
? Non, on ne peut pas parce que le gap est très important. Mais il fallait le
faire au début des années 90. Pour les carburants par exemple, si on avait
appliqué un dinar d'augmentation par an, on aurait fait des économies d'énergie
et réduit la facture des importations.
Vous parrainer la
semaine prochaine un important colloque international à Alger sur l'économie
informelle. L'économiste péruvien Hernando De Soto, réputé
mondialement pour ses travaux sur l'intégration de l'informel dans les pays en
développement, sera votre invité. Il défend l'idée que le poids de l'économie
informelle dans un pays est souvent proportionnel aux coûts de la formalisation.
Ce serait donc le carcan de l'administration algérienne qui encouragerait
l'informel ?
Je ne partage pas
cette vision pour ce qui est de notre pays. Les choses ont évolué. A titre
d'exemple, le coût de la création d'entreprise n'est pas aussi important. Le
gouvernement a subi des critiques qui l'ont amené à déréguler un peu. Pour ce
qui est du secteur du commerce, à titre d'exemple le dossier d'obtention du
registre du commerce est passé, pour les personnes morales, de 13 à 5 pièces
administratives et de 7 à 3 pièces pour les personnes physiques et ce registre
est délivrable en 24H. Donc, le problème ne se pose
pas dans la création d'entreprise du commerce mais pour les entreprises du
secteur productif qui font notamment face à l'épineux problème d'accès au
foncier industriel.
Tout de même, il
existe toujours cette tendance de l'administration à changer les règles tout le
temps. Dernier exemple pour votre propre ministère, l'obligation de changer le
registre de commerce tous les deux ans pour les importateurs et celle d'avoir
un registre de commerce par groupe de produits importés et de séparer les
locaux de stockage. Cela peut pousser des opérateurs à revenir à l'informel, non
?
Je ne le vois pas
ainsi. Ce n'est pas normal que le registre de commerce soit le seul document
qui soit délivré sans durée de validité. Cette situation a créé le phénomène de
la sous-location du registre du commerce et d'autres pratiques malsaines. On a
commencé par l'import parce qu'on a trouvé qu'avec le commerce de gros, la
fraude a envahi ces deux sphères du commerce. La mesure va d'ailleurs s'étendre
au gros. Rien que pour l'année 2011 quelque 22 milliards de DA de marchandises
non facturées ont été révélés. L'introduction de cette mesure a pour but
d'identifier les véritables opérateurs. De fiabiliser notre système
d'information. Les statistiques du CNRC nous donnent 35.000 opérateurs activant
dans l'import-import. Avec cette mesure couplée avec
la mesure du fichier national des fraudeurs, 12.000 opérateurs ont été radiés
cette année. Théoriquement, il existe 23.000 importateurs dont moins de 2000
activent régulièrement. Le renouvellement du registre de commerce est une
formalité rapide pour l'opérateur qui nous permet d'actualiser notre base de
données.
Le niveau de la
pression fiscale en Algérie n'est-il pas un obstacle à la formalisation des
activités informelles ?
Pas le niveau de la
pression fiscale lui-même. L'Algérie est, sur ce point, bien classée sur le
pourtour méditerranéen, la preuve en est que les opérateurs eux-mêmes ne se
plaignent pas. Mon avis cependant est que des gestes spécifiquement en
direction des opérateurs informels sont nécessaires pour leur faire franchir le
pas de l'intégration.
J'ai discuté avec
une quinzaine d'opérateurs du marché de la Montagne après les événements de janvier 2011. L'un
d'eux m'a déclaré qu'il ne déclarait que 10% de son chiffre d'affaires parce
que s'il déclarait tous selon la grille fiscale l'Etat va lui fermer son
commerce. La TAP
pose un sérieux problème surtout son effet cumulé. J'ai lancé une initiative
avec le ministre des Finances qui serait une sorte d'engagement qu'il n'y
aurait pas d'effet rétroactif de la
TAP. Ma conviction est qu'une initiative du gouvernement peut
amener un mouvement d'intégration de beaucoup d'acteurs de l'informel qui
souhaitent sortir de leur situation précaire. Elle apporterait la garantie que
les impôts ne vont pas produire des redressements fiscaux sur les activités
passées.
Les Marocains et
les Tunisiens ont réussi à réduire la part de l'informel dans leur économie en
introduisant la traçabilité électronique dans les
transactions commerciales. Le retard numérique algérien maintient archaïque le
fonctionnement des entreprises et ne crée pas d'avantage comparatif vis-à-vis
de l'informel. Comment faites-vous face à cela ?
Il faut
reconnaître en effet que les TIC constituent un volet extrêmement important dans
le développement et la modernisation des transactions commerciales et dans
l'efficacité économique d'une manière globale. L'Algérie a vraiment accusé un
énorme retard dans l'introduction des TIC dans les différentes sphères de
l'économie. Heureusement que dans ce domaine les retards se rattrapent très
vite pour peu qu'une feuille de route précise soit tracée. Cette feuille de
route est le projet E-Algérie 2013. Ce projet doit se
concrétiser, même avec du retard. Ce qui a bloqué le bond vers le numérique est,
à mon avis, la sécurisation des bases de données.
Ouvrir toute la
plate-forme économique sur le réseau requiert des préalables qui ne sont hélas
pas tous réunis devant les risques majeurs du piratage, surtout que nous sommes
en Algérie, pour l'heure, des utilisateurs et non concepteurs.
On a accusé du
retard certes, mais la sécurité des données est essentielle. C'est pour cela
qu'on doit limiter au plus bas notre dépendance en matière de sécurisation des
données qui touchent à la sécurité nationale. Il faut reconnaître également que
le secteur bancaire a fait des progrès surtout au niveau des paiements de masse.
Au niveau de la grande distribution, il faut des incitations fiscales et autres
pour au moins réduire la quantité de la monnaie fiduciaire en circulation.
Maintenant au
niveau de notre département, on a mis en place le système du registre de
commerce télématique où il est possible d'avoir une carte d'abonnement pour
accéder à de nombreux services qui facilitent la vie aux usagers. La gestion
électronique des documents a été introduite, le registre de commerce
électronique est en phase d'étude de faisabilité. Je reste convaincu qu'il faut
investir encore plus dans les TIC pour gagner en efficacité et atteindre nos
objectifs à des coûts vraiment réduits.
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Posté Le : 06/03/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Yazid Ferhat Et El Kadi Ihsane
Source : www.lequotidien-oran.com