Algérie

Mustapha Aït Oumghar à L’Expression «L’art, c’est la capacité d’apprécier la vie»


Mustapha Aït Oumghar à L’Expression «L’art, c’est la capacité d’apprécier la vie»
Publié le 10.12.2023 dans le Quotidien l’Expression

Un défaut que beaucoup d’entre nous, faute d’une culture assez large, traînent depuis l’enfance, et qui, avec le temps et l’âge, reste ancré dans nos habitudes : qu’il s’agisse d’un roman, d’un film ou d’une chanson, notre regard demeure obstinément fixé sur le personnage principal jusqu’à la fin. Ceux qui les accompagnent n’ont droit qu’à un coup d’œil rapide et distrait. Combien sommes-nous, en effet, à nous souvenir que, dans Mme Bovary, Emma, par exemple, porte le nom de son mari ? Et pourtant, c’est par lui que s’ouvre le roman comme si le rôle principal lui était destiné. Quand le mercredi dernier Mustapha Aït Oumghar se présenta à nous comme un artiste, réagissant selon ce réflexe commun à la plupart des gens de culture modeste, nous y avons vu un chanteur, à tout le moins un peintre. Ce mot, dans notre wilaya qui connaît une restriction sémantique exagérée, se ramène à ces deux sens. Aussi, quel n’a pas été notre étonnement, lorsque notre interlocuteur, nous tirant d’erreur, précisa qu’il était musicien ! C’est vrai qu’un musicien est un artiste, l’artiste même par excellence, mais, c’est tout aussi vrai, qu’il a un rôle si effacé sur la scène. Puisse le présent entretien contribuer à le tirer de l’ombre où on le maintient arbitrairement.

L'Expression: On ne nait pas musicien, n'est-ce pas? Comment avez-vous contracté cette passion?

Mustapha Aït Oumghar: De la façon la plus naturelle, en voyant mes deux frères aînés jouer des instruments devant moi. L'ainé s'appelle Smaïn. Il vit actuellement en France. Il s'est depuis converti à l'écriture. L'autre, Amine, était prof de français. Il avait créé un groupe qu'il avait appelé Snowboys. Mon autre frère Mouloud qui est prof d'anglais, y faisait partie. Il chantait et en même temps faisait de la musique. Du rock, à l'époque. Nous avions longtemps travaillé ensemble. C'est ainsi que je me suis ouvert à la musique.

Mais vous, vous ne chantez pas. Vous préférez la musique. De quels instruments jouez-vous?
De la guitare. Des deux, en fait: la guitare basse et la guitare électrique. Tenez, regardez cette vidéo sur mon portable. Ici, je joue du Contry avec la guitare électrique. Là, c'est du rock. Mais je joue aussi des airs orientaux. Il m'arrive d'accompagner un chanteur dans un studio d'enregistrement. C'est assez pénible, car il faut répéter souvent.

Vous ne viviez pas que de musique?
J'ai travaillé à la poste. Mais j'ai continué à jouer de la guitare. Jusqu'à ce que tout s'arrête avec le début de cette période sombre. J'avais acquis assez de métier pour trouver une place dans un groupe qui avait longtemps animé des dîners dansants à Tikjda. Le public qui venait de partout appréciait nos prestations. Le jour du réveillon surtout.

Mais après, il y a eu la reprise. Qu'avez-vous fait alors?
J'ai repris mes activités de musicien dès que cela m'a été possible. Des amis qui jouaient dans des groupes se sont souvenus de moi et m'ont appelé. L'un des plus prestigieux est celui de Djamel Laâlam, paix à son âme. J'ai participé à pas mal de spectacles avec lui en tant que musicien. Il vivait en France, mais venait de temps en temps en Algérie. Ses tournées ont porté de Béjaïa à Oran en passant par Alger. Je participais à ces tournées. Mais c'est à Tamanrasset que devait démarrer effectivement notre collaboration. C'était en décembre 2006 et je me trouvais dans cette ville du Sud avec un groupe d'amateurs. Nombre de ses éléments jouaient avec Djamel. C'est ainsi que j'ai fait sa connaissance et que j'ai été admis dans son groupe. Cette année-là, à ce festival dont c'était, je me souviens, la première édition, notre groupe amateur Eclipse avait eu le deuxième prix.

Avez-vous d'autres souvenirs de grands chanteurs avec lesquels vous avez joué?
Certainement. Takfarinas en est l'un d'eux. J'ai eu l'honneur de faire partie de son orchestre à une fête de mariage, à l'hôtel El Aurassi. Quand le maître de la chanson kabyle est apparu vers minuit, la salle s'est enflammée. Ce spectacle a duré jusqu'à deux heures du matin. C'est dire si j'en garde un souvenir ému. Mais parlant de fête, d'hôtel et des grandes figures de la chanson algérienne, comment ne pas évoquer celle de l'autre monstre sacré Baâziz. C'était à Alger, au même hôtel. Sauf que cette fois, c'était le Nouvel An. D'autres grands chanteurs s'y trouvaient ce soir-là. Il y avait entre autres Hocine Lasnami qui chantait en arabe et en français. J'ai eu plusieurs occasions de travailler avec lui. En même temps avec Hocine. Vous voyez sur cette vidéo? C'est moi, à l'orchestre, juste derrière ce monsieur. Je joue ce soir de la guitare électrique. Mais j'ai fait aussi un peu d'animation avant le spectacle, comme vous le voyez encore là. L'ambiance, ainsi que vous pouvez le constater, était déjantée.

Pour avoir organisé des tournées dans le sud du pays, vous avez dû créer votre propre groupe.
Naturellement. Sans quoi, je ne pourrais plus rien faire, en dehors des sollicitations des autres groupes pour animer des soirées. En ce moment, je travaille avec la Maison de la culture. Je participe aux festivités qu'elle donne à chaque événement culturel dont elle entend marquer ainsi l'importance. Mais là ne s'arrête pas mes efforts. Mes tournées avec l'Onci (Office national de la culture et de l'information), m'ont conduit à Djanet, Timimoun, Tamanrasset etc.

Vous êtes-vous produit déjà en France?
Oui, mais pas avec mon groupe. Le fait remonte à 2013 ou 2014. Un Français, Daniel Bengril, est arrivé dans le village Barbacha, dans la wilaya de Béjaïa. Sa femme est native de ce village. Comme il était lui-même un chanteur et un musicien, il s'est mis à la recherche d'autres artistes pour monter un spectacle. Les quelques amis que je compte dans cette wilaya, connaissant ma qualité d'artiste, m'ont fait signe et je les ai tout de suite rejoints.

Et le spectacle fini, vous avez suivi Daniel Bengril dans son pays...
Exactement. Monsieur Bengril, satisfait de la qualité du spectacle produit par notre groupe, avait décidé que nous retournions avec lui dans sa ville natale qui est Montpellier. Sous sa direction, nous y avions donné quatre spectacles. Il y avait d'autres groupes français à ses soirées. Nous avions fusionné avec eux et le résultat était fantastique. Il y avait à ces soirées un public hétéroclite, des français, des émigrés. Nous sommes restés un mois dans cette ville dont le charme nous avait conquis autant que nous- mêmes par notre musique.

Y a-t-il d'autres groupes qui font encore appel à votre talent d'artiste?
Une fois pour la célébration de l'Aïd. Il y avait des chanteurs tunisiens, dont plusieurs femmes. J'étais présent avec ma guitare à cette émission réalisée les trois derniers jours du Ramadhan pour être diffusée le jour de l'Aïd. Nous jouions pour les spectateurs tunisiens et algériens, puisque ce spectacle télévisé passait à la fois sur les chaines algériennes et sur les chaînes tunisiennes.

Quelle est l'occasion où vos dons ont été sollicités et où vous vous êtes senti le plus flatté dans votre passion d'artiste?
Sans doute est-ce l'hommage rendu à la diva algérienne Ouarda El Djazaïria. Etre invité à jouer au sein de l'orchestre philharmonique, c'est le rêve de tout musicien. En apprenant qu'on me faisait un tel honneur, je ne me tenais plus de joie.

Qui participait à ce bel hommage?
D'abord la ministre de la Culture en personne, pour dire à quel point l'événement revêtait de l'importance aux yeux des autorités. C'était à l'opéra d'Alger, en mai.2022. Il y avait là aussi, comme pour la fête de l'Aïd, beaucoup de chanteurs, notamment l'étoile montante de la chanson algérienne Nada Errihen. Ce spectacle est l'un des plus beaux et des plus pathétiques que j'ai vus de ma vie.

Et cette année qu'avez-vous produit?
Quantité de spectacles dans le cadre des échanges culturels interwilayas organisés par la Maison de la culture. Nous avons pu faire beaucoup de déplacements, notamment dans les wilayas du sud et des Hauts - Plateaux comme Djelfa, El Oued, Tiaret etc. Pour la télévision, j'ai produit le 13 octobre un spectacle qui passera sur Canal Algérie en décembre.

Vous arrive-t-il d'improviser, de chercher de nouveaux rythmes?
Cela m'arrive, en effet, car je joue assez souvent pour moi seul. Et ce faisant, il y a forcément des choses nouvelles qui se créent. Cependant, le public est irremplaçable et c'est toujours vers lui que l'on se tourne finalement.

Quel style estimez-vous être le plus beau de tous?
Indubitablement le jazz. Le sommet de l'art. La guitare acoustique étant l'instrument le plus adapté à ce type d'accompagnement.

Ali AMZAL

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