Algérie

Multiplication des tentatives de suicide à Chlef : La LADDH tire la sonnette d’alarme



Multiplication des tentatives de suicide à Chlef : La LADDH tire la sonnette d’alarme
Le phénomène du suicide, qui avait pris de l’ampleur en Algérie

depuis le célèbre épisode de Mohamed Bouazizi en Tunisie, tend à se banaliser. Et la wilaya de Chlef n’est pas à l’abri, chose qui inquiète la LADDH. Constatant que ce phénomène social prend des proportions inquiétantes, la section locale de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH) de Chlef tire la sonnette d’alarme quant aux tentatives de suicide enregistrées depuis le début de l’année en cours, principalement par immolation par le feu.

A cet effet, la section de Chlef n’a pas manqué de signaler aux autorités concernées dans un compte-rendu, dont une copie a été remise au quotidien Reporters, que le phénomène a atteint des dimensions alarmantes. Devenu coutumier dans notre société et principalement dans la wilaya de Chlef, le suicide par immolation par le feu est un procédé qui tend à prendre de l’ampleur. La wilaya a enregistré, lit-on dans le rapport, depuis le début de l’année en cours, au moins une dizaine de tentatives de suicide par immolation par le feu. Bilan alarmant : quatre personnes sont mortes.

La wilaya de Chlef est-elle devenue le lieu de prédilection des phénomènes sociaux, tels que le suicide sous ses différents procédés (pendaison, immolation, défenestration, etc.) ?
On est tenté de le croire au vu du nombre d’actes « signés » ces derniers temps. D’ailleurs, il ne se passe pas une ou deux semaines sans qu’un suicide d’un jeune, d’un vieux, d’une femme ou d’un enfant soit signalé.

Le bilan dressé par la Protection civile de Chlef durant le premier semestre de l’année en cours fait ressortir un total de 18 cas de personnes qui ont tenté de mettre fin à leur vie.

Bien entendu, il est des cas de suicide qui ne sont ni déclarés et médiatisés. Sinon le bilan aurait été plus lourd. Pour exemple, au premier jour de l’Aïd El Fitr, un jeune homme âgé de 30 ans a tenté de se suicider en consommant un raticide. Souffrant d’une dépression nerveuse en raison du cumul des problèmes sociaux, selon les dires de ses proches, le jeune suicidaire n’a pas trouvé d’autre alternative pour attirer l’attention de son entourage et des pouvoirs publics que de procéder à cet acte.

Sans le bon réflexe de sa famille, il aurait réussi sa tentative. Il se trouve actuellement à l’hôpital des Frères-Khelif, où il est sous surveillance médicale et bénéficie d’un accompagnement psychologique. N’était le bouche à oreille qui a circulé chez les habitants de la localité, cette information serait passée
inaperçue des services concernés.

L’information, en effet, a fait l’objet d’un black-out médiatique, après que son entourage ait refusé de donner plus d’informations sur le sujet.

Pour ce qui est des personnes n’ayant pas pu réussir leurs tentatives, elles sont au nombre de 14 âgées de 19 à 40 ans. Les spécialistes, à savoir les sociologues et les psychologues, ont de quoi s’occuper.

Ces derniers devraient se pencher sur la question afin de déterminer les véritables causes et les circonstances qui sont derrière ce phénomène nouveau dans notre société, puis y remédier. Cependant, d’autres et ont connu une fin tragique.

Tentative d’immolation par le feu à l’intérieur de la direction de l’action sociale

Le dernier en date remonte au premier jour du mois courant, lorsqu’un père de famille âgé d’une quarantaine d’années a tenté de mettre un terme à ses jours par immolation à l’intérieur de la direction de l’action sociale de la wilaya de Chlef. Et pour cause, la marginalisation et l’ignorance de la tutelle quant à sa demande d’acquisition d’un logement décent. Vivant avec sa famille dans un taudis dépourvu de toutes les conditions d’une vie digne, ce père de famille a perdu tout espoir de bénéficier d’un logement. Face à cette situation, il s’est aspergé d’essence au moyen d’une bouteille qu’il dissimulait sous son pull et a menacé de mettre le feu, avant qu’il soit convaincu de renoncer à son acte par les autorités concernées et après intervention des services de la Protection civile. Il a été secouru et conduit hors du siège de la direction de l’action sociale. Cette tentative a fait l’objet d’une enquête diligentée par les services concernés afin de déterminer l’origine de cet acte.

Acte similaire au siège de la DAS au mois de mai

Il faut signaler que cette tentative est la deuxième du genre en moins de deux mois dans le même lieu. La genèse de cet acte suicidaire et spectaculaire à la DAS de Chlef remonte au 27 mai dernier, lorsque trois jeunes, âgés de 23 à 25 ans, ont tenté de s’immoler par le feu après que le directeur eut refusé de les recevoir, car en réunion. Les trois jeunes voulaient l’interpeller, eux qui ont été licenciés par le responsable de la Maison des associations, de leurs postes dont ils avaient bénéficié dans le cadre de l’intégration professionnelle. Pris d’une colère frénétique, ils s’aspergèrent d’essence et mirent feu à leurs pauvres corps. L’un des jeunes est grièvement blessé, ainsi que le directeur de l’action sociale et un directeur d’une Maison de jeunes qui se trouvaient sur les lieux. Grièvement blessé et souffrant de brûlures au troisième degré, le suicidé rendit l’âme à l’établissement hospitalier spécialisé de Douéra, un jour après son admission. Le directeur de l’action sociale de Chlef, rappelons-le, souffre encore de brûlures au niveau des membres inférieurs en tentant de sauver le malheureux.

Tentative de suicide collectif devant le bureau du chef de daïra d’El Karimia

Ce n’est pas tout… La fin du mois mai de la même année a connu une autre tentative plus spectaculaire, impliquant cinq personnes, qui a eu lieu au siège de la daïra d’El Karimia. Agés de 19 et 34 ans, ils ont protesté contre leur exclusion du quota de nouveaux logements destinés à l’éradication de l’habitat précaire. Quelque temps après, les protestataires ont haussé le ton en menaçant ledit responsable d’un suicide collectif par immolation. Heureusement que l’intervention des pompiers et des agents de police a permis d’éviter le pire. Selon Kaddour Houari, président du bureau de la LADDH de Chlef, « c’est le sentiment d’humiliation et de hogra qui pousse les jeunes à passer à l’acte ».

Même les handicapés n’y échappent pas

Une personne à mobilité réduite s’est aspergée d’essence et a menacé, elle aussi, de mettre le feu à son corps devant le siège de la DAS de Chlef. Dramatique ! Même cette catégorie n’y échappe malheureusement pas. Il s’agit cette fois-ci d’un handicapé moteur, natif de la commune de Benaïria, distante de 30 kilomètres au nord-ouest du chef-lieu de la wilaya. Ayant attendu plusieurs mois pour sa chaise roulante et ignoré par les responsables de la DAS, il a opté pour ce mauvais choix rien que pour se faire entendre et attirer l’attention. Doit-on passer à un tel acte pour se voir répondre favorablement à une demande légitime et raisonnable ?

Quand les élus recourent à cet acte

Même les élus locaux recourent au suicide par immolation, révèle le communiqué de LADDH. Exclu d’une session extraordinaire de l’Assemblée municipale, le premier vice-président de l’APC d’Oued Fodda fait irruption au siège de la commune, muni d’un bidon d’essence dans une main et d’un Coran dans l’autre. N’était l’intervention rapide des agents de sécurité, l’élu suicidaire aurait provoqué un carnage. Signalons que la salle de réunion a été réduite en cendres.

Un brigadier de police se suicide dans son bureau

Le dernier suicide par arme à feu remonte au 6 juin dernier, lorsqu’un agent de police exerçant la fonction de brigadier au niveau de la sûreté de wilaya de Chlef, père de famille, âgé de 49 ans, a saisi son PA et s’est tiré une balle dans la tête, à l’intérieur de son bureau. Il est mort sur le coup. Selon des informations concordantes, confirmées par certains collègues, la victime n’avait aucun problème d’ordre professionnel et jouissait en apparence de toutes ses facultés. La crise du logement aurait été à l’origine de cet acte, sachant que le suicidé habitant dans un bidonville non loin de son lieu de travail aurait refusé son relogement dans un nouvel appartement qui ne suffirait pas à sa famille nombreuse, a-t-on appris de l’un de ses proches.

Une femme enceinte sans abri tente de mettre fin a ses jours devant l’APC

Une femme enceinte de huit mois a tenté de s’immoler publiquement. Ce cas ne figure pas dans les mœurs et les traditions de la population de Sidi Akkacha. Toutefois, le fait est loin d’être un conte, c’est une « surréalité » même. En effet, cette mère de deux enfants, la veille du ramadan, a tenté non seulement de mettre fin à sa propre vie, mais aussi à celle de son fœtus devant le siège de l’APC de Sidi Akkacha, au nord du chef-lieu de la wilaya de Chlef. Et pour cause, encore une fois, la crise du logement. La mère, qui était menacée d’expulsion après l’écoulement de son contrat de location, a fait, depuis 24 jours, de la rue un abri pour son mari et ses petits-enfants. La dame, dénommée Zoulikha Menasria, craint le pire pour ses petits. « Je ne demande ni F3 ni F4, je demande au maire une pièce pour protéger mes enfants », suppliait cette dame. Cette dernière ajoute que ses enfants ont le droit de manger des repas chauds et de vivre pareillement que les autres, notamment durant ce mois de bénédiction.

Chômage et logement, causes principales de suicide

Maintes sont les causes, mais selon les spécialistes ainsi que les résultats d’enquêtes menées par les services concernés, la crise du logement semble être en tête des causes principales de la propagation du phénomène du suicide. D’après des statistiques, la crise du logement et le chômage poussent deux suicidaires sur trois à passer à l’acte. En outre, les différents problèmes sociaux, entre autres, l’injustice, la marginalisation, la hogra, la pauvreté, la bureaucratie, l’absence de dialogue et l’interdiction de manifestation pacifique, poussent, selon les membres du bureau de la LADDH, à l’acte extrême.

La direction de l’action sociale, un symbole

Les problèmes socioprofessionnels sont à l’origine de tous les fléaux sociaux qui ne font que se propager dans notre société, sinon comment expliquer qu’au moins 50% de ces tentatives avaient pour thèâtre le siège de la direction de l’action sociale. Ces suicidés ne supportaient plus ni leur marginalisation grandissante de la part des pouvoirs publics ni la non-satisfaction de leurs revendications, pourtant légitimes à leurs yeux. De même, ces citoyens ne cherchaient pas seulement à se donner la mort pour cause de non-satisfaction ou de refus, car il existe de bien moins douloureuses manières de le faire, « mais à attirer l’attention d’autrui pour qu’on se réveille et qu’on se révolte contre l’injustice régnante ». Ces derniers épisodes du feuilleton d’immolation ne sont que « la goutte qui a fait déborder le vase ». Ce phénomène est la conséquence du manque flagrant de dialogue entre citoyens et administration.

Les membres de la section locale de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme lancent un appel aux responsables et aux élus locaux à ouvrir les portes de leurs institutions et du dialogue à la population, surtout les couches défavorisées. Face à ce macabre phénomène, « les autorités restent, pour l’heure, sans réaction ».


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