Bonne année Amadeus !
il y a 250 ans venait au monde un enfant prodige. Très vite et trop tôt, il allait incarner le génie humain, toutes races et toutes périodes confondues en quelque espace terrestre que ce fut. Pourtant, cet homme hors du commun allait finir comme un vulgaire miséreux, un crève-la-faim et un condamné à mort par épuisement pour être jeté enfin dans une anonyme fosse commune. Il n?était ni philosophe, ni savant, ni homme de religion encore moins un homme politique. C?était un musicien compositeur : Wolfgang Amadeus Mozart. Qu?on s?en souvienne et qu?on médite surtout sur cette destinée injuste et révoltante ! Il était certes le premier illustre virtuose de la musique. Mais il n?en était pas le plus grand. Abu Nacer Mohamed Ibn Tarkhane El Farabi l?avait devancé dans une société où, hélas, la beauté des choses et la virtuosité du génie en des temps de troubles et de fitna n?étaient pas en odeur de sainteté. Mozart mettra son génie au service des festivités et des plaisirs des grands du monde, les ecclésiastiques comme les seigneurs de guerre. Vivant inconsciemment, voire en toute insouciance dans un univers miné pourtant d?intrigues, il composera des ?uvres qui le rendront fort célèbre à défaut de le préserver de la misère extrême dans laquelle il finira sa vie, victime de la cupidité des médiocres et de la rapacité des envieux. S?il fallait ramasser l??uvre pourtant colossale de W.A. Mozart sans pour autant la résumer, ce qui pourrait la caricaturer, on osera dire que ce génie s?est matérialisé dans trois ?uvres dont deux originales, cependant une troisième serait d?inspiration et d?adaptation. Trois idées fondamentales structurent l??uvre mozartienne entière en liaison avec ces trois ?uvres (la vie, l?appétit de vivre avec la flûte enchantée de la période de la jeune adolescence insouciante ; le mythe de l?amour insatiable de la jeunesse et de la maturité précoce avec Don Giovanni ; et enfin la mort tragique et le terrible remords avec le Requiem). Cette conception didactique et pédagogique de la vie et de l??uvre de Mozart a été magistralement illustrée par une ?uvre cinématographique majeure et peu commune, à la mesure du génie du maestro : Amadeus de Milos Forman. Adaptant la tragédie mozartienne aux temps modernes minés par la gabegie de la techno ou bureaumédiocratie, le sulfureux cinéaste a sorti de l?ombre le spectre caricatural et abject d?un personnage qu?il faudra dorénavant élever au rang de mythe malfaisant qui se réincarne et perdure en ces temps difficiles et troubles : le sinistre Salieri qui exploita la misère de Mozart jusqu?à l?épuisement et jusqu?au dernier souffle pour lui dérober une partie de son ?uvre dont il s?était un temps approprié en escroc médiocre aujourd?hui enfin confondu. Et c?est justice ! Deux siècles et demi plus tard, le monde, en général, et l?Europe, particulièrement, célébreront l?année Mozart. Il s?agit bien d?une célébration et non d?une commémoration comme on en a pris la facile et abusive habitude chez nous. Et si encore aujourd?hui Mozart est célébré chez lui, c?est grâce en grande partie aux multiples révolutions tout aussi lumineuses les unes que les autres depuis celle des Saint Just, à celle de Mai 1968 en passant par les soulèvements des Canuts, la révolution communarde et la révolution spartakiste des années 1920 à 1930. Là où les Lumières ont fini par briller et s?imposer, les rideaux et les écrans de fumée se sont élevés cependant que les masques sont tombés, car c?est là un mouvement inéluctable de l?exigence de vérité sans laquelle il n?est ni de dignité ni de liberté possibles. Mais alors, ne serait-on pas en droit de se demander pourquoi le génial turkmène Abou Nasr El Farabi est-il resté quasiment méconnu, cependant, que son si peu fiable disciple iranien Abu Ali El Hassein Ibn Abd Allah Ibn Sina a-t-il monopolisé à lui seul l?aura et le prestige internationaux, voire universels depuis le Moyen-Age, et ce, en tant que le plus grand médecin et le plus célèbre des philosophes ? Quelle étrange bizarrerie que celle de ces deux destins somme toute pareils à ceux de Mozart et de Salieri ? Comment et par quel paradoxe, un « faux » médecin qui s?est empoisonné en croyant se soigner d?un mal qui ne pardonne jamais : la cirrhose du foie, un piètre philosophe qui, de son propre aveu, a lu quarante fois la métaphysique d?Aristote sans la comprendre doublé d?une carpette de thuriféraire de monarque hypocondriaque a-t-il pu supplanter dans le panthéon de l?humanité géniale, son maître El Farabi ce savant austère, intègre, libre et digne parce que ce mystique (un vrai mystique), ce savant qui aura choisi la dignité dans la pauvreté et l?intégrité dans la frugalité plutôt que les fastes courtisans corrupteurs et préférant être le loup de la fable plutôt que le chien de garde de la basse-cour. L?absence de liberté, l?usure de la dignité, le penchant à la vénalité, qui ont longtemps caractérisé et qui caractérisent toujours et la culture et la civilisation arabo-musulmanes nées pourtant d?une si respectable exigence éthique sacrée inscrite à son origine même dans une revendication de justice sociale et de respect de l?être humain, ont conduit à enferrer et à compromettre l?intellectuel ou plus exactement le lettré produit par cette culture et cette civilisation. Celui-ci a préféré se vendre plutôt que se défendre, servilement servir plutôt qu?éduquer à l?émancipation, s?enrichir matériellement plutôt que s?édifier spirituellement et intellectuellement. Les rares occasions de secousses sociales prometteuses dans les sociétés arabo-musulmanes sclérosées et anesthésiées ont pu libérer certains intellectuels dans des conjonctures d?épreuves comme les combats anticoloniaux, les résistances aux tentatives de réification, de domination et d?exploitation. Ibn Sina, le client « contribule » des monarques samanides aura mis pour sa part tout son talent dans les sciences curatives laissant derrière lui son fameux Qanun attib (les règles de la médecine) et son Shifaa que les Lumières et la science consciente et rigoureuse naissante en Europe n?allaient pas tarder à reléguer au musée des apothicaires et des guérisseurs. Et dire qu?aujourd?hui encore, c?est Ibn Sina, le Salieri du monde musulman, qui monopolise les honneurs de l?intellectuel musulman, toutes époques et toutes disciplines confondues. Et ce n?est pas peu dire. Tel est le visage réel et abominable de la dépolitisation (qu?on détecte de quelques-unes de ses rarissimes maximes politiques et éthiques) et de la flagornerie clientéliste des assoiffés de prébendes et de faveurs. Combien de temps faudra-t-il encore pour mettre un terme à la culture des Salieri et des imposteurs progressant et prospérant à l?ombre d?illuminés despotes, affabulateurs, comédiens, saltimbanques et mégalomanes irresponsables ? Les satrapes d?Orient commencent déjà à payer le prix de l?infamie et de la séculaire comédie dans une farce sanguinaire cependant que sur l?ensemble du continent des longues peines, les « Bokassa », les « Mobutu » et les « Amine Dada » se suivent et se ressemblent pour le bonheur des néocolonialistes qui redoublent de férocité en reprenant, au prix de miettes consenties à leurs protégés, ces fruits amers des sacrifices consentis par des multitudes livrées maintenant aux affres des existences fragilisées et hypothéquées. Bonne année Amadeus !
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Posté Le : 05/01/2006
Posté par : sofiane
Ecrit par : M. Lakhdar Maougal
Source : www.elwatan.com