Le dernier
mouvement des walis a entraîné également dans son sillage un autre mouvement
opéré dans l'encadrement
de l'Etat.
Celui-ci a concerné les cadres des services extérieurs entre chefs de daïra et
directeurs d'exécutif. Toutes les wilayas sinon leur quasi-totalité ont connu
un changement presque radical au niveau de leurs responsables. Ainsi, un
incessant va-et-vient s'est produit au bonheur des uns et aux heurts des
autres.
Un mouvement
suppose une dynamique comme un son ou une vibration prédispose à une mobilité
certaine. Notre cadre, s'il ne l'est plus, est comme un poney galant qui
exécute, dans le cadre d'un mouvement, des galopades métrées décidées par les
maîtres de l'heure.
Des centaines de décisions de mouvement ont
touché des centaines de travailleurs. Ces travailleurs qu'une loi, à une
certaine époque d'égalitarisme, voulait qu'ils soient tous les mêmes. Le SGT.
L'attribut de fonctionnaire tendait à disparaître du jargon administratif,
tellement empoisonné par les relents qu'octroyait à ce terme son sens
politique. En effet, cette loi définissait comme travailleur toute personne
vivant d'un effort intellectuel ou manuel. Y avait-il, par ailleurs, une
troisième voie ? Le président de la République, le leadership du parti bien
unique et le ministre du Travail étaient alors de simples travailleurs, tout
comme le cordonnier, le teinturier du coin ou le vigile et l'appariteur à la
SONA… La Fonction publique s'assimilait à une entreprise presque d'autogestion
ou à une grande SARL étatique dont la puissance des biceps est un outil de
production et la présence, même passive, une force de travail. Au regard du
harassement qui terrassait, par la baisse la productivité, appel est fait à la
loi pour légaliser et la durée de travail et le repos dit légal, loin de toute
loi naturelle régissant le corps humain. On ne pouvait définir le fonctionnaire
qu'en tant que piètre quantité de savoir-faire et surtout de savoir se taire.
Il est une somme d'instructions qui l'aide à s'asservir et à se sacrifier pour
l'intérêt suprême de l'Etat ; ce patron, cet employeur et pourvoyeur de la
subsistance soldatesque qui lui permet de vivoter ou, pour reprendre, quoique
maladroitement et en retard, Marx, en disant juste pour se revigorer ou
reconstituer cette force, ô combien utile et bénéfique pour le propriétaire de
l'usine…de l'administration!
Même le
fonctionnaire connaît les affres du taylorisme, cette distribution machinale du
travail. Il la vit par son corps et son âme. Au nom du noble principe qu'était
la mobilité dans les esprits qui l'ont conçue, aux tous débuts des
balbutiements de l'idée de la Fonction publique, l'on se permet à jeter, comme
le fait le semeur, des personnes-grains ou des fonctonnaires-poussières dans
les sillons des terres arables ou en jachère. L'agent d'encadrement public
devient ainsi un produit sans volonté et changeable à volonté. Si au moins on
lui laissait l'honneur de décocher avec nif le tablier ou lui permettre
facilement de se déposer. Une consigne tacite et générale semblerait dicter
qu'aucun cadre supérieur n'a la faculté volontariste de se déloger, cela
s'assimilerait à une offense immense au pouvoir ayant attribut de nomination.
Tous les cadres, même des ministres, en ont eu peur ; à l'exception de
certains, dont l'opiniâtreté culturelle et la hardiesse communicative dépassant
leur compétence ministérielle, qui s'étaient eux-mêmes délogés. C'est une
vision personnalisée de la dignité personnelle, disaient-ils. Celui qui nomme
est et reste exclusivement celui qui dégomme. La culture de la démission et du
désistement ne semble pas s'installer chez nous du jour au lendemain. Ni les
scandales, ni les grosses erreurs, ni les échecs et surtout pas l'insolence ou
l'affront hiérarchique n'eurent à s'ériger en motifs de décharge et de
renoncement. Malgré cet écueil dans le métier, ce dernier, nonobstant quelques
brins de justice et d'égalité de chance, demeure toujours attrayant et
attractif et l'on ne se privait pas, pour l'avoir, le faire ou le subir, de
recourir aux parrainages et autres manÅ“uvres de genre clanique, clientéliste,
etc. Rien comme élément d'«intervention » n'était laissé au hasard, telle
qu'une occasion de régler des comptes ou relever une ancienne revanche.
Les alliances maléfiques devenaient morales
et le cadre se débitait, qui à une influence mercantile, qui à une
hors-hiérarchie agissante et, même parfois, qui à des personnes réjouies et
allègres ayant fait, dans l'orgie et la surabondance, le plaisir de celui à qui
« l'intervention » était destinée. Rien ne vient tout seul, tout se trace.
Chaque mouvement de cadres suppose également
deux dimensions: l'une c'est l'un qui part, l'autre c'est l'autre qui arrive.
L'un heureux, l'autre malheureux mais si souvent très heureux de devoir partir
d'une administration fort décriée, lorsque la platitude et la malfaisance
s'installent au lieu et place du défi et de la vaillance, lorsque le chef n'est
plus le chef mais le sont les sous-chefs. Ainsi, un wali qui tend à gérer les
affaires de sa cité par personnes influentes interposées est presque otage de
sa turpitude. Un chef de cabinet à qui l'on remet tout son agenda de sortie ou
de réception finira par prendre le dessus et s'auto-installera tacitement comme
maître des lieux.
Au fait, comment
devient-on cadre supérieur de la Nation ou de l'Etat ? Sinon des deux, s'il
existe une différence. Il faudrait avoir, pour certains, peu ou prou de
diplômes et beaucoup de connaissances et de savoir ! Tiens ! De quelles
connaissances et de quel savoir parle-t-on ? Eh bien ! Celles que l'on a
tissées au moment de la disgrâce, sur les bords de la réserve ou encore celles
que l'on puise auprès de certains grands noms devenus légendaires dans la
gestion des affaires de l'Etat, qui, des décennies après, font toujours le jour
et la nuit de la Nation, l'ire et le sourire de ces gens. Qu'à cela ne tienne,
si ce n'était que la personne du cadre, dans ses moindres, intimes et
égocentriques détails, ne serait soumise à un examen d'habilitation ou
communément une enquête de moralité ou d'habilitation.
L'on y signalera, avec beaucoup de
controverses à qui de droit, l'apparence que dégagerait le comportement visible
ou présumé du futur cadre. Le salut de la fonction supérieure et publique ne se
doit que dans le remodelage total, sinon le renoncement de cette approche au
profit d'une autre moins introspective et moins personnellement inquisitoire
pour le cadre et, partant, amoindrissante de l'autorité qu'il est censé
incarner, respecter et faire respecter.
Les mois d'été, en plus des fêtes familiales,
connaissent d'autres cortèges autrement nuptiaux et funéraires. C'est le pic en
théorie des mouvements que l'urgence politique a étendu sur tous les mois de
l'année. L'été chez nous, à la fonction, c'est toute l'année. Néanmoins, par la
grâce de Dieu, ce mouvement de septembre 2010, brassant large, aurait le mérite
d'avoir été accompli à un moment largement propice. Rentrées sociale, scolaire,
universitaire, lancement du plan quinquennal, échéances électorales, enfin
nouvelle stratégie du ministère de tutelle. La mentalité acquise suite aux
changements opérés, remplaçant sournoisement la culture d'Etat tant dispendieuse
au souverain de la dynamique mouvementale, surgit à son tour pour faire
d'autres frais aux dépens de simples employés ou commis de l'Etat. Si la « tête
» ou le « chapeau » d'une charpente, soit d'une institution, vient à changer,
le changement touchera inévitablement toute la structure pyramidale et tous
porteront « le chapeau ». Les chauffeurs, secrétaires, femmes de ménage et
autres subalternes n'échappent pas à la lessive. C'est comme si les uns
travaillaient chez les autres. Cette mentalité voulant combattre la
mystification de l'ancienne s'engouffrerait davantage dans le règlement de
comptes par cadres interposés. La carence ainsi persiste, subsiste et fait dire
en confirmant, par antinomie, les adages populo-présidentiels : «Lirouh khir
mel lidji», «Li taârfou khir men li mataârfouch». Le mérite utile du changement
et de l'alternative au pouvoir ou à la fonction ne serait-il pas ainsi faire
compromis ? Le grand mérite pour ce mouvement réside paradoxalement en ce qu'il
a brassé large. Certaines wilayas ont connu un redéploiement entier. Du wali
aux chefs de daïra, passant par le secrétaire général, le DAL et le DRAG,
l'administration est ainsi remise à zéro. Ceci reste au bonheur de tous les
administrés. L'égalité des chances serait de la sorte préservée. Car personne
n'est censé connaître personne. L'état des lieux se fera par constat personnel,
sans nulle influence d'un certain relent du passé ou quelconque témoin.
La rotation des
cadres est considérée sous d'autres cieux comme un programme managérial de
réussite professionnelle et non comme un épouvantail qui fait plus de peur et
de pleurs aux enfants innocents qu'aux cadres (leurs enfants bien entendu),
malgré le faux bonheur qu'elle peut entraîner pour les arrivants, les
retournants ou les maintenus dans sa volte-face rotative. Les variations
différentes qu'elle provoque touchent presque à tout, sauf parfois à l'objectif
voulu. On a vu de hauts cadres occuper cinq fois, en cinq ans, le même poste
dans des endroits différents. On a vu la promotion d'un chef de cabinet, chef
de daïra dans un chef-lieu, alors qu'il aurait mieux valu qu'il aille faire ses
premières classes au Sud. On a vu, on a vu…
La stabilité est un contredit officiel de la
théorie nouvelle des changements, et pour certains, elle devient un délit
d'encadrement ! La longévité dans une case aussi cause une atrophie du service
public dont les dégâts se subissent à tous les niveaux, y compris ceux du
cadre. La limite d'âge ne semble toujours pas constituer un obstacle. Continuer
à être wali à 70 ans frise la sénilité. L'on ne sera plus en mesure de suivre
l'aptitude physique que recommanderait le suivi rigoureux des projets inscrits
et notamment s'ils se trouvent répartis dans les soixante communes qui font la
wilaya. L'âge n'est certes pas un handicap réflexif car, au fur et à mesure que
l'on y avance, l'on rencontre les vertus de la sagesse, mais la loi de la
nature fait que l'inaptitude devient une évolution biologique inévitable et
provoquerait fatalement un handicap à une évolution. Celle du regard, de
l'ouïe, de l'attention, de la mémorisation et du reflexe. M. Kadri, l'unique
qui avait la volonté d'écrire sa bioservice-graphie d'ex-wali, s'entendait dire
par sa petite-fille à une question relative sur les audiences qu'il accordait aux
citoyens: «Est-ce qu'il les écoutait parfaitement? Répondant que oui, elle lui
rétorquait : «Alors papa, tu m'accordes une audience?» En pratique, il
n'écoutait personne et n'avait d'ouie que pour la voix de son maître. Je l'ai
lu gémir et geindre de son évincement.
En finalité, rien n'est figé. De la statique
naît la dynamique et ainsi de suite. Le cadre, le fonctionnaire enfin l'homme
demeure en perpétuel mouvement. Il ne devrait pas croire, mais dire qu'à la
Fonction publique algérienne, nous appartenons et à elle nous reviendrons. Amen
!
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Posté Le : 21/10/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : El Yazid Dib
Source : www.lequotidien-oran.com