Algérie - 05- La période Ottomane


Mourad Bey (1622 - 1647)
Il veilla à la sécurité des ressortissants français activant autour du bastion, et au maintien de l'ordre dans la région. Il eut, de ce fait, l'adhésion de tous, quand en 1628, il partit en campagne contre le bey de Tunis auquel le pacha d'Alger avait déclaré la guerre pour violation de la Convention de 1614 établie entre les deux pays fixant les frontières de chacun. L'armée tunisienne, battue près de Kef à Sethara le 17 mai 1628, on s'entendit sur les limites suivantes : en partant du Sud : Oued Serrate, Oued Mellègue en passant par El Kirech, Kelob El Tirane, jusqu'au Ras Djebel El Hafa, et de là jusqu'à la mer.

A Alger, les négociations entreprises depuis 1626 directement par Louis XIII, roi de France avec le diwan par l'intermédiaire de Sanson de Napollon aboutirent le 17 septembre 1628 aux accords suivants :

- Relèvement du Bastion de France par les Turcs.
- Création à Annaba d'un établissement permanent du commerce français
- Création de petites forteresses au Cap Rose et à La Calle.
- Liberté de commerce garantie aux Français.
- Droit aux navigateurs français d'atterrir, en n'importe quel lieu de la côte en cas de tempête, sans qu'ils soient inquiétés.

En échange, Alger obtenait la liberté des échanges sur le littoral français, une somme de 26.000 roubles par an dont 16.000 destinés à la milice et 10.000 au Trésor particulier du pacha (1).

(1) La France obtenait en outre le monopole du commerce de la cire et des cuirs moyennant le versement d'une redevance annuelle payable directement au pacha - Histoire de l'A.N. par L. Péchot. P. 75.

Les clauses fort avantageuses pour les négociants marseillais et dont certains dignitaires et le pacha avaient tiré profit, furent très mal accueillies à la fois par les autres négociants français évincés, et par les Génois établis à Tabarka qui voyaient leur champ d'action se réduire considérablement. Les uns et les autres se livrèrent à des manoeuvres perfides pour discréditer Sanson de Napollon aussi bien auprès de la Cour de France qu'au sein du diwan parmi la fraction insatisfaite. Leur action insidieuse eut plus de portée dans les milieux commerciaux du Constantinois où il se créa autour de La Calle et du Bastion de France une telle agitation qu'elle prit vite une forme insurrectionnelle contre l'autorité turque.

Attaqué au bastion par les Génois, Sanson de Nappolon se défendit courageusement, mais ceux ci prirent peu à peu le dessus en le coupant de l'extérieur. Il mourut le 11 mai 1633 au cours d'une sortie désespérée contre l'ennemi.

A Alger, la milice elle même n'échappa pas à ces manoeuvres Les partisans des uns et des autres se livrèrent à des combats de rue transformant la ville basse (quartiers de la marine Bab Azoun, Bab el Oued) en un champ de désolation et de terreur.

L'anarchie et le désordre s'accrurent avec l'arrivée des Kulughlis exilés à Annaba en 1629 qui crurent trouver dans ces événements une occasion favorable pour rentrer à Alger. Leur entreprise réussit d'abord mais les janissaires s'étant ressaisis, leur livrèrent, dans l'intérieur de la ville, un combat acharné, au cours duquel, les Kulughlis furent refoulés jusqu'aux portes de la Casbah. A ce moment la poudrière centrale de cette forteresse sauta, La Casbah fut en partie démantelée et cinq cents maisons s'écroulèrent ou en grande partie lézardées. Six cents personnes dont presque tous les Kulughlis dans la Casbah périrent. Cette catastrophe assura la victoire des Yoldachs, mais incita les plus sages à prendre des mesures de sécurité immédiates avant que "le feu ne dévora la ville".

Un groupe de janissaires se saisit de Hossein Pacha et le jeta en prison. Youcef Pacha lui succéda (décembre 1633).

Les accords avec la France furent rompus. Reprises l'année suivante, les négociations traînèrent pendant de longues années. La France tenta de faire pression sur le diwan en organisant une expédition contre Alger. Ce qui porta tout le monde au comble de l'exaspération. Ali Pacha (1637 1639~) qui avait succédé à Youcef Pacha fut contraint de déclarer la guerre à la France. Il ordonna à Ali Bitchine de conduire une expédition contre les établissements français de La Calle et du Bastion de France. Ceux ci furent occupés sans coup férir et tous leurs occupants au nombre de 317 furent ramenés à Alger (1637).

Mourad Bey de Qacentina n'ignorait pas les intrigues étrangères dans sa province et les milieux qui leur étaient favorables. Il commença par mâter les populations du cercle de La Calle, puis se retourna contre les Hanencha et les Douaouda soupçonnés d'être les instigateurs de la révolte.

En juin 1637, il invita à son camp près de Qacentina, le cheikh el Arab Si Mohamed Sakhri Ben Bou Okkaz et ses principaux notables. Il furent tous arrêtés et jugés pour trahison par le diwan (2). Le cheikh et son fils ainsi que six notables furent exécutés après un séjour de quelques jours dans la tente des condamnés. Cette violation aux règles coutumières de l'hospitalité provoqua une indignation profonde dans tout l'Est constantinois. Le brasier de l'insurrection s'étendit à travers toute la province. Henancha, Douaouda investirent Qacentina bouchant toutes les issues. On tenta par des négociations de desserrer l'étreinte. Plusieurs notabilités citadines intervinrent auprès du bey comme auprès des assaillants pour trouver un compromis aux différends.

(2) Voici comment un manuscrit arabe raconte cette insurrection, écrit L.C. Féraud dans la R.A. n 155, P. 364...
« Mourad Bey de Constantine, étant campé, le mercredi au commencement du mois de Safar de l'an 1043 (Juin 1637), au bivouac situé au sud de Constantine (sur les bords de l'Oued Rhummel, au pied du camp des Oliviers), reçut la visite du cheikh Mohamed Ben Sakhri, Ben Bou Okkaz El Aloui, cheikh El Arab. Mourad Bey le retint prisonnier dans son camp. On convint dans le Conseil supérieur de le mettre à mort parce qu'il était sorti de l'obéissance au très élevé Ali Pacha, alors souverain d'Alger, ainsi que son diwan et autres dignitaires, lesquels, d'un avis unanime, prononcèrent sa mise à mort. On le tua, en effet, et, en même temps que lui, périrent aussi son fils Ahmed et six autres personnalités appartenant à la haute noblesse arabe. Ils furent exposés au bachouda (tente des criminels du camp) ; puis on coupa leurs têtes, que l'on porta à Constantine, où on les mit en montre sur les remparts de la ville, à l'exception de la tête du cheikh Mohamed et celle de son fils, que l'on n'apporta pas en ville.

Un an après (1638), le frère de la victime, Ahmed Ben Sakhri, organisa la totalité des Arabes nomades, les Hanencha et les populations en masse qui habitent le pays compris depuis les portes de Tunis jusqu’aux portes d'Alger, et leva l’étendard de la révolte, contre la gouvernement turc.

Il marche sur Constantine avec toutes ses forces. Les gens de la ville sortirent pour combattre les agresseurs ; mais Ahmed Ben Sakhri se jeta sur eux par surprise, avec ses cavaliers et ses fantassins, leur tua environ vingt cinq hommes, et les Constantinois, mis en déroute rentrèrent dans leurs murs. Le lendemain. Ahmed, avec ses cavaliers et ses fantassins, alla porter l'épouvante dans la campagne du Hamma, au pied de Constantine, et la contrée qui s'étend de ce côté. Il incendie les meules de blé et d'orge. Il mit également le feu aux villages qui se trouvaient dans ce canton au point que l'incendie se propagea jusqu’aux jardins du Menïa. Il fit brûlé également d'autres lieux. Le lendemain C'est à dire le troisième jour, il alluma des feux qui, depuis Constantine s'étendirent aux environs Il ne cessait d'incendier et de ravager. Partout où il apprenait qu'il existait un village où se trouvaient des céréales, il le faisait saccager : il dévasta ainsi jusqu'à Mila, et réduisit les populations de cette contrée à la dernière extrémité. »

« Mourad Bey de Constantine, expédia alors des émissaires (septembre 1638) à Alger, auprès de notre seigneur Ali Pacha, pour se plaindre des maux que causaient les rebelles et demander des secours. On lui envoya d'Alger Kaïd Youcef et Kaïd Chaban avec deux cents tentes (environ 4.000 hommes). Les soldats qui se trouvaient déjà près de Mourad Bey se composaient de cent tentes. Toutes ces troupes réunies formèrent donc un effectif d'environ 6.000 hommes, qui se mirent en mouvement pour aller combattre Ahmed Ben Sakhri et ses adhérents. La rencontre eut lieu à l'endroit nommé Guedjal (plaine de Sétif). Ahmed Ben Sakhri mit les Turcs en déroute, s'empara de leurs tentes, des sacs des soldats et de tout ce qui existait dans leur camp. Les débris de la colonne turque s'en retournèrent à la débandade à Alger. Mourad Bey fut obligé de fuir tout seul. Cette bataille eut lieu le samedi, 12 du mois de djoumad 1er, de l'an 1048 (20 septembre 1638).

Le secrétaire de Mourad Bey, nommé Cheriet ben Saoula, périt dans l'action. Les Arabes le firent mourir d'une manière atroce, pour la raison que c'était un homme intelligent et de grand mérite, dont les conseils dirigeaient la politique des pachas et des beys.

P. Dan apporte l'information suivante qui fut dit il une des causes de la défaite turque :

« Mourad~Bey de Constantine demanda du secours à Alger. On lui envoya deux cents tentes, dont le Kaïd Youcef reçut le commandement. Mourad Bey, ayant rallié l'armée d'Alger avec son contingent provincial, escarmouchait chaque jour avec les insurgés, qui se défendaient bien. Voyant cela, et comparant que le refus de ces Maures de payer l'impôt n'était qu'un prétexte, et qu'au tond ils voulaient se venger de Mourad Bey qui avait fait mourir le frère de Ben Ali, Kaïd Youcef en conclut qu'on pouvait avoir ces Arabes par la douceur et il traita secrètement avec eux. Il promettait de leur livrer le bey de Constantine, ce qui enlevait tout prétexte à la révolte, parce que Mourad Bey était extrêmement riche et que, par sa mort le Diwan hériterait de lui.

Cependant, cette négociation fut connue du bey de Constantine, qui feignit de n'en rien savoir. Aussi, invité par Kaïd Youcef à attaquer l'ennemi d'un côte pendant que le contingent algérien l’assaillirait de l'autre, il obéit et s'y porta vaillamment d'abord, mais remarquant que Youcef a le dessous et qu'il se retire un peu en désordre, Mourad Bey redoubla l'ardeur des Maures contre les Turcs d'Alger et augmenta le carnage qu'ils en faisaient, contraignant enfin à une fuite honteuse le petit nombre de ceux qui restèrent.

A Alger, le Kaïd Youcef rejeta la honte et les malheurs de sa défaite sur le bey de Constantine qui l'avait, disait il abandonné au plus fort de l'action. Mais Mourad Bey comptait de puissants amis parmi les membres du Diwan, et il réussit à se tirer d'affaires, non toutefois sans qu'il lui coûtât beaucoup d’argent.

L'auteur ajoute plus loin : « Les Kabyles des Beni Abbés (c'est à dire les Mokrani avaient participé à cette babille aux côtés des Douaouda ». Deux camps commandés l'un par Mourad Bey de Constantine, l'autre par Kaïd Youcef, sont défaits en septembre 1638 par les Kabyles du Sahel commandés par leurs chefs Calet (Khaled Mokrani) et Benaly (Bou Okkaz El Aloui, c'est à dire Ben Ali) Histoire de Barbarie », pp. 132 et suivantes.

Mais l'acte criminel du bey était trop récent pour faire taire les cris de vengeance qui parvenaient d'au delà des remparts et qui faisaient écho dans toutes les rues de la ville. Les Turcs, eux mêmes condamnaient ce crime. Mais le bey encouragé par ses janissaires repoussait tout arrangement. Une victoire pour lui signifiait non seulement la confirmation de sa propre autorité mais aussi l'accroissement du prestige turc dans cette province où la féodalité indigène demeurait quasiment indépendante, frondeuse, hostile, toujours prête à lever l'étendard de la révolte. Soumettre les Douaouda à l'Est et les Mokrani à l'Ouest c'était mettre main basse sur toutes les richesses du pays au bénéfice du maître de l'Empire et de ses servants.

Il lui fallait donc tenir et poursuivre la guerre jusqu'à la victoire.

Les troupes du bey commandées par kaïd Chaâbane furent repoussées à toutes leurs sorties. Ahmed Sakhri s'attaqua dans la plaine du Hamma aux fermes des dignitaires turques auxquelles il mit le feu et ravagea les récoltes. Les troupes de Ali Pacha, commandées par l'agha Youcef venues à la rescousse, subirent rapidement une série de défaites qui amena l'agha à tenter un arrangement avec Si Ahmed Sakhri en lui proposant de lui livrer Mourad Bey. Mais le sort de la bataille livrée à Guedjal près de Sétif en décida autrement. Ayant subi des pertes considérables l'agha Youcef prit la fuite en direction d'Alger, pendant que le bey regagnait en liste sa capitale.

Au diwan, l'agha Youcef expliqua sa défaite en accusant le bey de lâcheté et de trahison.

L'année suivante, au cours du mois de septembre 1638, l'agha Youcef reprit l'expédition contre les Douaouda. Il fut une fois de plus battu et réduit à demander aux marabouts des Ouled Azam d'user de leur influence auprès des Douaouda pour un arrangement honorable.

Après plusieurs jours de négociations, on aboutit à un accord par lequel, entre autre, les Douaouda et les Henancha étaient exonérés de l'impôt "Lezma", mais reconnaissaient la suzeraineté turque. Les Turcs s'engageaient, en outre, à relever le Bastion de France, source d'un mouvement commercial favorable à la prospérité de la région.

Ali Pacha, insatisfait de ces accords, démit l'agha Youcef de ses fonctions. Le pacha, lui même, ne tarda pas à être remplacé par cheikh Hosseïn Pacha qui ne régna pas longtemps d'ailleurs, victime d'une épidémie de peste, puis par Djamal Youcef Pacha (1640 1642). Celui ci signa, le 7 juillet 1640, avec Du Coquiel une convention réglant les relations entre la France et la Régence, mais le Cardinal de Richelieu la rejeta ne la trouvant pas assez avantageuse. Les Etablissements de La Calle et du Bastion de France administrés par un négociant de Lyon, Thomas Picquet, n'en demeurèrent pas moins respectés, étendant, de plus en plus, leurs activités commerciales dans l'arrière pays. Ce problème, source de discordes et de guerres, la raison des troubles dans cette région du Constantinois, plus ou moins réglé avec la France, Djamal Youcef Pacha décida d'entreprendre une tournée de "prestige" dans l'Est algérien. Il embarqua avec une partie de ses troupes pour Annaba, laissant l'autre partie le rejoindre à Qacentina par voie de terre.

Après avoir rétabli l’autorité du vieux Mourad Bey auprès de la milice avec laquelle il avait eu des différends au sujet de la solde, le pacha oeuvra au rapprochement politique avec toutes les personnalités religieuses et chefs de tribus de la province. En échange de certains privilèges, il obtint de chacun le serment de vassalité.

Les cheikhs des Douaouda et des Hanencha, par exemple, confirmés dans leurs fonctions, titres et privilèges, consentirent à verser annuellement un tribut symbolique an pacha et à lui fournir des goums en cas de nécessité. Fort de l'appui des Djouads (les Mokrani) et des chefs de Confréries (Hamlaoui), le pacha se transporta par petites étapes jusqu'à Biskra, recevant partout, sur son passage, hommages et actes de soumission.

Il rentra à Alger dans le milieu de l'année 1642, satisfait d'avoir pacifié et maintenu l’ensemble du pachalik dans son unité administrative et politique, uniquement par la négociation.

Peu après, pour n'avoir pas satisfait aux exigences de la milice en ce qui concerne la solde, il fut arrêté et jeté au cachot. Il a fallu l'intervention des dignitaires qui s'engagèrent à répondre aux désiratas de la milice pour le libérer et rétablir le calme.

Au même moment, le 12 octobre 1642, à Qacentina, les Ouled Abdel Moumen prenaient les armes contre les janissaires qui avaient outragé l’une des leurs. Pendant deux jours on se battit dans les rues. On releva de part et d'autre des morts et des blessés. Les Abdel Moumen refoulés dans leur quartier se barricadèrent dans leurs maisons. Ils furent tellement bien isolés qu'au bout de quelques jours leur situation devint intenable. Les familles des autres quartiers, par solidarité, prirent les armes et tentèrent de les dégager. Craignant le pire, les notables de la ville (cheikh el baladia, cheikh el Islam, le cadi) sollicitèrent de l'agha nouba une trêve. Celui ci consentit à retirer ses hommes à la condition que les fautifs de ces troubles parmi les Abdel Moumen soient bannis de la ville et que toute la population versât une amende.

Au début de l'année 1643, les Mokrani s'insurgèrent à leur tour dans les Bibans et la région de Sétif. Les troupes de l'agha venues en halte d'Alger connurent de cuisantes défaites. Les kaïds qui commandaient ces troupes : Youcef de Qacentina ; Mourad du Titteri et Chaâbane de Zemmoura furent partout défaits dans les Bibans. Les insurgés ne consentirent à la paix qu'après avoir obtenu : la suppression de certains impôts, l'affranchissement des terres « arch », et le libre commerce entre Alger et leur région.

Les années suivantes d'autres troubles éclatèrent dans différentes régions. Le pays connut alors de tristes années endeuillées par la sécheresse, la famine et la peste. Mourad Bey tenta bien de secourir les régions sinistrées, d'aider tout au moins les régions les plus atteintes, mais le fléau sévissait partout et les moyens dont il disposait étaient très faibles. Il y succomba lui même en 1647.

Sur la demande des notables constantinois, le dey désigna son fils Ferhat pour lui succéder.


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