L'Expression: Le titre de votre quatrième roman, qui vient de paraître aux éditions Apic, est très évocateur, comment s'est effectué le choix d'un tel beau titre'Mohamed Abdallah: Ce titre est une référence aux vers de Rimbaud commençant par «Le vent a dit le nom d'un nouveau Jugurtha» et censés rendre hommage au célèbre roi numide tout en suggérant un possible parallèle avec l'Emir Abdelkader. En choisissant ces mots comme titre d'un roman parlant de l'engagement d'intellectuels, de militants algériens à la veille du déclenchement de la guerre de Libération nationale, je voulais reprendre possession de cette Histoire et du récit qui en est fait. J'ai cherché à la ramener à un contexte algérien, à montrer un monde où le discours sur l'Algérie revient progressivement entre les mains et sous les plumes de ses enfants.
La ville qui sert de décor à votre roman est Oran. Pourquoi pas Tlemcen, la ville où vous vivez aujourd'hui'
Je pense que les thématiques abordées dans ce roman nécessitaient d'avoir comme cadre une métropole où se brassaient des Algériens venus de tous horizons et Oran correspondait bien à ces critères. Ce n'est évidemment pas la seule ville qui aurait pu convenir, mais j'ai également un attachement particulier à cette cité, que je voulais concrétiser par ce roman. De plus, lors de mon tout premier ouvrage, j'avais accordé une place importante à Tlemcen. Mon deuxième roman se déroulait en bonne partie à Alger, mon troisième laissait la part du lion à l'histoire antique de Constantine: il est finalement assez logique que mes pérégrinations littéraires m'amènent à Oran le temps d'un roman! Je n'exclus pas de revenir vers l'une de ces villes lors de mes futurs écrits, ou d'explorer des lieux entièrement différents. Tout dépendra de mes inspirations futures.
Les personnages de votre roman sont des écrivains et des hommes de culture de manière générale, pourquoi un tel choix'
Ce choix est au centre de l'histoire que je voulais raconter, des problématiques que je voulais traiter, notamment celle de l'engagement des hommes et femmes de culture en période révolutionnaire. Les romanciers, poètes, musiciens d'une société peuvent-ils se permettre de rester à l'écart des bouleversements que leur monde vit' Ont-ils le droit (d'aucuns diraient le devoir!) de demeurer à l'écart, concentrés sur leurs créations' Ou se doivent-ils de participer aux soubresauts de l'Histoire' Il s'agit là de certaines des questions les plus importantes que ce roman pose et le choix de mes personnages était donc un élément central de cette narration. C'était également un moyen pour moi de rendre hommage à des figures majeures et inspirantes de notre patrimoine commun, qu'il s'agisse d'écrivains, d'artistes ou de combattants révolutionnaires.
Quels sont les messages que vous voulez transmettre au lecteur à travers ce nouveau roman'
Je ne sais pas si je veux transmettre des messages explicites à travers ce roman: si j'avais voulu offrir à mes lecteurs la certitude d'une déclaration limpide, j'aurais plutôt opté pour un essai! Ceci dit, j'ai des avis que l'on peut deviner dans les réflexions, les réussites et les déboires des personnages que je suis au fil des pages. Si je ne prétends apporter aucune réponse totalisante aux questions suggérées par le roman, j'essaye donc d'offrir des pistes de réflexion: outre celles évoquées dans ma réponse précédente, je me demande par exemple quel sens donner à l'algérianité, en particulier dans des contextes où le pays est face à son destin, quelle place accorder aux arts dans les moments difficiles ou encore quel rapport entretenir avec les cultures
venues d'ailleurs. Si je devais n'avoir qu'un seul message pour mes lecteurs, ce serait de leur rappeler que ces thèmes valent la peine qu'on s'intéresse à eux et qu'on y réfléchisse, même lorsque les enjeux purement matériels semblent les éclipser.
Vous publiez pratiquement un roman tous les ans, d'où vous viennent cette frénésie d'écriture, toute cette inspiration et cette énergie'
Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une frénésie, je me laisse simplement guider par ma curiosité et les quelques inspirations qui peuvent me venir. Lorsqu'une idée me paraît intrigante, je la pousse, la poursuit et je laisse le résultat prendre forme. Parfois, cela me donne une migraine, d'autres fois cela donne un roman!
Comment vivez-vous votre vie d'écrivain'
Comme une fantastique aventure. D'abord, la sensation de donner vie et corps à un roman apporte une indescriptible satisfaction en même temps qu'une sorte de défi à aller plus loin, à poursuivre cette exploration littéraire. Ces moments grisants sont aussi accompagnés par la joie du partage, lorsque des lecteurs prennent la peine de rentrer dans ce petit monde de lettres que je m'efforce de bâtir, d'y apporter leur interprétation et leurs opinions. L'écriture m'a permis de rencontrer un grand nombre de personnes formidables, qui ont immensément enrichi mon existence. Pour toutes ces raisons et pour d'autres, je vis donc cette vocation comme une chance inouïe.
Quel est votre écrivain préféré'
Comme je le dis souvent, lorsqu'on s'aventure dans le domaine des lettres et plus encore lorsqu'on s'approche de leur sommet, la subjectivité est reine! Et, surtout, elle est changeante: l'affect est par définition un terrain mouvant, où les certitudes sont moindres que dans le domaine des sciences exactes. Mes préférences sont donc toujours susceptibles d'évoluer! Mais pour vous répondre plus directement, je dirai que mon écrivain préféré est Mouloud Feraoun. Sa manière de donner vie à ses personnages, de transmettre une vision du monde pleine d'éloquence, donnant voix à sa terre et ceux qui la peuplaient... Autant d'éléments qui ne peuvent que me parler et m'inspirer, car il y a chez Feraoun la coexistence d'une personnalité profondément bonne, douce et pacifique, en même temps qu'un engagement ferme pour la justice. Cette personnalité qui transpire dans ses écrits m'a profondément marqué.
Qu'en est-il de votre roman préféré'
Comme pour la question précédente, je rappellerai d'abord que les avis dans ces domaines sont difficilement fixés pour quiconque se plonge dans la littérature. Un roman qu'on apprécie particulièrement peut être détrôné par un autre au fil des relectures, des réflexions, des soubresauts de la vie. En gardant cette réserve à l'esprit, si je devais répondre à votre question aujourd'hui, je choisirais probablement Les Chemins qui montent. Je trouve dans ce roman une description particulièrement poignante de l'Algérie profonde, une lucidité pleine d'empathie dans l'approche des problèmes de l'époque, et un attachement viscéral à une terre meurtrie, mais chérie. Une sublime mélancolie émane des pages de ce roman, se glisse dans mon esprit et me ramène toujours, invariablement, à sa lecture.
Quand vous écrivez vos romans, sentez-vous qu'il y a l'empreinte d'un ou de plusieurs romanciers vous ayant marqué qui vous accompagne constamment'
Bien évidemment! Outre Feraoun, je ne peux parler des auteurs m'ayant marqué sans évoquer Ameen Rihani, Mohammed Dib, Assia Djebar, Amin Maalouf... Je trouve dans l'oeuvre et dans la vie de ces auteurs (et d'autres encore!) des sources inépuisables d'inspiration. Le critique littéraire Harold Bloom avait évoqué dans plusieurs de ses analyses «l'anxiété de l'influence», ce rapport que certains auteurs ont vis-à-vis de leurs prédécesseurs et qui les conduirait à craindre de trop subir cet impact dans leurs écrits. Je ne pense pas avoir jamais rencontré ce sentiment à ce jour. J'assume entièrement le fait de m'inscrire à l'intersection de traditions diverses, reflétant aussi bien le legs que j'ai pu recevoir lors de mes plus jeunes années que des découvertes plus récentes m'ayant fait mûrir intellectuellement. Ces auteurs sont toujours là, à mes côtés, m'accompagnent dans mon aventure littéraire et, si je me sens plus proche de certains que d'autres, ils font tous partie d'une sorte de généalogie culturelle que je me plais à entretenir.
Quand vous écrivez, avez-vous l'impression de subir une thérapie comme le pensent pas mal d'écrivains ou est-ce un plaisir pour vous' Ou autre chose, peut-être'
C'est bien plus un plaisir à mes yeux. Je vois dans l'acte de création littéraire une manière intensément personnelle de dire le monde. J'essaye néanmoins de ne pas faire preuve de candeur excessive, car il y a une dimension désespérée dans la littérature, qui tient au combat partagé avec les autres formes d'art et les humanités en général. Cette lutte consiste à tenter de donner du sens à un monde qui semble en manquer cruellement, où l'absurdité se rend souvent maîtresse des vies. Ecrire, créer, c'est parfois essayer de dompter cette houle, une tâche que j'accomplis le plus clair du temps avec le sourire.
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Posté Le : 01/06/2021
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Aomar MOHELLEBI
Source : www.lexpressiondz.com