Algérie

MOSQUEE DU MECHOUAR



Nous avons rapporté, en nous occupant de l'enceinte du Méchouar, à quelles circonstances se rattachait la fondation de la mosquée qu'il contenait. Ce fut, d'après Ibn-Khaldoun, Abou Hammou Mousa Ier qui en posa les premières fondations. Elle devrait donc être sensiblement contemporaine de la mosquée Oulàd-el-Imâm. Nous n'avons cependant pas cru devoir la rapprocher chronologiquement de l'étude consacrée à ce petit oratoire. Nous ne croyons en effet avoir devant les yeux que peu de chose de la création abd-el-wâdite primitive. Ce temple, faisant partie d'une citadelle souvent attaquée, dépendant d'une résidence royale, dut subir, au cours des guerres et des révolutions, des dommages et des restaurations nombreuses. La salle de prière dut même être réédifiée pendant l'occupation turque, le décor détruit, le plan complètement bouleversé, le sol surélevé (1). Sa transformation en magasin annexe de l'hôpital militaire, puis en chapelle catholique, acheva de lui enlever tout intérêt artistique.
Le minaret est de style plus pur, et s'il a reçu, dans le courant du XIV siècle, peut-être à l'époque de la restauration zeiyânide, de notables embellissements, la proportion, la composition générale, la disposition essentielle ont dû s'en conserver à peu près intactes: un rapprochement avec le minaret d'Oulâd- el-Imàm indique bien une inspiration analogue.
Deux de ces faces ont encore une partie de leur décoration ; celle du Sud est bien conservée. — Deux panneaux s'y superposent; celui du bas, carré, est garni par une arcade soutenant une rangée de losanges à lambrequins, présentant les fleurons habituels et des incrustations en terre vernissée brun et vert. Le panneau supérieur, percé en sou centre d'une fenêtre étroite, porte une arcade double dentelée semblable à celle qui décore le premier panneau d'Oulâd-el-Imâm. La garniture des écoinçons est en mosaïque de faïence brun et blanc [fi g. 81 D) ; elle offre cette particularité de ne faire intervenir qu'une seule forme de découpure. On remarque une combinaison identique dans la salle de repos des bains de l'Alhambra, qui date de Mohammed V (1354-1391). N'y aurait-il pas lit l'indice d'une réfection datant de la restauration zeiyânide ? Une particularité plus significative peut préciser la date de retouches plus importantes.
Le cadre de mosaïque qui, comme a Bel-Hassen et àOulâd- el-Imâm, enveloppait ces panneaux défoncés, se trouve remplacé par un cadre de faïences à reflet métallique portant des ornements ou des inscriptions. L'émail stannifère qui les couvre est d'un blanc fumé présentant des taches verdâtres et sillonné de grandes craquelures ; les intempéries l'ont même, en certains endroits, complètement écaillé. Le lustre, qui est la seule couleur employée, est de valeur et de ton variable. Parfois semé de taches ocreuses, il va du vert clair au rouge violacé sombre. Ce décor est tracé avec beaucoup de franchise et d'habileté; la peinture en est maigre et parfois transparente.
Les plaques d'ornements ont 0m ,24 sur 0m, 18 ; elles sont de deux modèles (C1, C 2), suivant la direction de la bordure à laquelle elles appartiennent. Le motif reproduit est, en traits de 0m, 02, l'entrecroisement de lambrequins formant des losanges curvilignes déjà maintes fois observé ; les raccords des bandes verticales et horizontales sont assez mal faits. Il n'y a pas de plaques d'angle; le motif et les deux traits qui lui servent de bordure ne se retournent pas. Ils sont coupés avec l'extrémité des rangées.
Les plaques à inscriptions, au nombre de huit, ont 0m ,39 sur 0m ,13. L'émail est le même que celui des premières. Elles portent des bordures faites de deux traits inégaux, une garniture de rinceaux et enfin des caractères andalous se détachant sur un fond vermicide, assez fin, probablement tracé au qalam; nous en donnons ici un spécimen (B).
La réunion des mots qu'on y lit n'a paru à Brosselard présenter aucun sens plausible, et il considère cette inscription de la mosquée du Méchouar comme une énigme indéchiffrable(2). Nous ne sommes pas de son avis. Tout d'abord, les plaques des garnitures latérales (fig. 81 A) nous paraissent porter l'eulogie bien connue : El-youmn wal-iqbâl « le bonheur et le succès ». C'est une formule très fréquente dans la décoration épigraphique des monuments andalous(3). Nous l'avons lu nous-mêmes sur le vase de l'Alhambra, sur des poteries hispano-moresques, et elle figure encore sur une couronne en cuivre ciselé provenant du minaret de la Grande Mosquée de Tlemcen, que nous avons signalée plus haut. D'autre part, il suffit de renverser l'ordre des deux plaques de céramique qui forment la seconde moitié de la bordure supérieure pour obtenir une autre formule andalouse, très courante à Séville, à Grenade(4), et qui est la suivante : Ya tsiqati ya amali anta'l-rajâ anta'l-wali ikhtim bikhairin amali.
« O ma confiance, ô mon espérance, c'est toi l'espoir, c'est toi le protecteur; scelle mes actions par le bien. » Le caractère est d'une élégance un peu molle ; les lettres s'y enchevêtrent et s'y lient mal à propos (fig. 81 A2 et A3); ces plaques ont tout le caractère de produits d’une fabrication courante.
La nature des émaux, la présence du losange peint, imitation servile du décor classique des extérieurs, l'absence de tout motif qui ne soit de pure origine moresque, la forme des palmes polylobées, tout nous fait supposer que nous avons sous les yeux un produit assez ancien des ateliers espagnols fabriquant les faïences à reflet. (On sait que le premier renseignement que nous ayons sur ces ateliers est fourni par Ibn Batoutah, et remonte au milieu du XIV siècle)(5). Nous ne saurions leur attribuer une origine plus précise. En l'absence du bleu, qui semble constant dans les pièces sorties de Malaga, nous y verrions plutôt l'œuvre d'une fabrique du royaume de Valence, peut-être Manisès, dont les plaques de revêtements apparaissent comme une sorte de spécialité. Quoi qu'il en soit, le fait que, dans cette mosquée d'une résidence royale, deux de ces plaques ont été mises en place au rebours de leur ordre naturel, nous semble indiquer que nous sommes en présence d'une ornementation ajoutée à une époque de décadence où l'inscription était, pour ceux qui l'ajustaient, parfaitement illisible.



NOTES :

1- Elle reçut des colonnes provenant de Mansourah, telle, par exemple, celle conservée au Musée de la ville et portant sur le fût une inscription pieuse publiée par Brosselard (Revue africaine, mai 1860, p. 242 et suiv).
2- Cf. Revue africaine, mai 1860, p. 248 et suiv.
3- Parfois avec addition de Wabolough El-amal « et la réalisation des désirs» ou de wassa'd fi ikmâl, «et la prospérité parfaite» (Cf. Almegro Cardenas, Inscripciones de Oranada, 11, 37, 58, etc.; — Amador de los Hios, Inscripciones du Sevilla, 134. 135, 140, etc.)
4- Cf. Amador de los Rios, ap. laud., 135, 15B, 174, etc. — Almegro Cardenas, ap. laiud. 37, 176, 186, etc.
5- Ibn-Batoutah, IV, p. 361.



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