Algérie

MOSQUEE DE SIDI BOUMEDIENE



Le porche. — Une grande arcade en fer à cheval, déformée au sommet par une brisure non exprimée, forme le cadre somptueux du porche monumental de la mosquée(2). Onze marches permettent l'accès du niveau de ce porche et font à cette arcade une base majestueuse. L'écartement des pieds droits est de 3 mètres et la distance du sol de la cour au haut du cintre dépasse 7 mètres. Un triple feston de briques divise le cadre en deux parties : l’une, formée par une large bordure circulaire pourtournant le cintre et prolongée au-dessous de sa naissance, pendant plus d'un mètre; l'autre formée par deux écoinçons. La garniture de ce cadre est faite d'arabesques en mosaïque de faïence à quatre tons, blanc, brun, vert et jaune de fer, et bordée par un filet vert. L'élément qui les compose est la palme double formant un entrelacs, régulièrement répété, suivant un axe médian pour le tronçon vertical qui orne la partie des pieds droits (fig.45), suivant des axes rayonnant au centre d'appareillage pour la bordure du cintre. Une bande courant au-dessus de cet encadrement rectangulaire porte sur fond blanc, en beaux caractères andalous, l'inscription suivante : « Louange au Dieu unique : l'érection de cette mosquée bénie a été ordonnée par notre maître le sultan serviteur de Dieu, Ali, fils de notre seigneur le sultan Abou-Said Otsmân, fils de notre maître le sultan Abou-Yousef Yaqoub, fils d'Abd-el-Haqq, — que Dieu le fortifie et lui accorde son secours — en l'année 739 » (1339 de 1ère chrétienne)(3).
Un décor géométrique de briques incrustées de plaques d'émail brun et de filets verts constitue, avec ses cinq rosaces rayonnantes autour d'étoiles à huit pointes, une frise robuste à ce portail. Un auvent de tuiles la couronne, porté par une série de consolettes géminées. La douelle de l'arcade porte un revêtement régulier blanc jaune et brun. Sur le cavet d'encorbellement se lit l'inscription suivante : « Fondé par notre maître Abou El Hassen serviteur de Dieu, Ali». La bande qui la porte est formée de six plaques de terre cuite primitivement vernissée au brun de manganèse, que l'on a enlevé au burin dans les fonds, de manière à détacher l'ornement sur la terre rosée [fig. 47). Ce procédé s'observe dans certains monuments d'Orient et du Maroc(4).
Les degrés de l'escalier, en briques posées le champ(5), occupent aux deux tiers la baie profonde du porche. Une petite porte s'ouvre dans chacun des murs latéraux; celle de droite donne accès dans une chambre pouvant servir de dortoir à des pèlerins, celle de gauche sur un escalier qui monte à la salle d'école coranique. Au fond s'ouvre la porte de la mosquée proprement dite.
La décoration de plâtre ne commence qu'à 1 m ,70 du sol; c'est une des créations les plus heureuses que nous aient laissées les gypso plastes maghrébins. Elle se compose à droite et à gauche de deux étages de petits panneaux (fig. 48, 57) inscrits dans de fines arcades; elle se continue en haut par une grande coupole à stalactites. Une double bordure la limite en bas et forme l'encadrement des deux petites portes ; l'une de ces bordures, dont on trouvera un fragment reproduit ici (fig. 55), porte une inscription coufique d'un très beau style.
De massifs vantaux de cèdre revêtus de plaques de bronze repercé séparent ce porche de la mosquée(6). Le tambour dans lequel ils s'ouvrent porte comme frise une répétition en grands caractères andalous de l'inscription dédicatoire du portail (7) (fig. 36 A).
La mosquée: Plan, dimensions— Deux nouveaux degrés permettent d'accéder au sol de la mosquée proprement dite. La cour, qui mesure 10 m, 20 de longueur sur 1 m ,35 de large, est entourée de portiques à une seule nef. Les deux galeries flan- quant le tambour sont relevées de 1 m ,75 au-dessus du niveau de la cour et portent de petites balustrades de bois ; on les dit réservées aux femmes.
Cinq nefs divisent la salle de prière, large de 19 mètres et profonde de 15, par des arcatures perpendiculaires au mur du fond. Ces nefs ont une largeur de 3 m ,10; la nef principale a 3 m ,50. Les arcs sont portés, comme ceux des portiques de la cour, par des pieds droits(8) ; une coupole précède le mihràb. Une porte placée à droite donne accès dans la salle des morts. Quatre fenêtres éclairent la nef transversale du fond, en plus des ouvertures qui couronnent le mihrâb et font pour ainsi dire partie de son cadre, deux s'ouvrent dans les murs latéraux, deux autres dans le mur du fond de charpie côté du mihrâb. Deux grandes portes latérales font communiquer la salle de prière avec l'extérieur.
Les nefs sont, ainsi que la plupart des dépendances de l'édifice, couvertes de plafonds portant des revêtis de plâtre, formant des caissons d'une grande variété de formes. Les combles et les toits de tuiles qui les couvrent ont été relevés, par l'Administration française, de m 0,75, pour isoler les plafonds, qui étaient gravement endommagés par l'humidité. L'auvent de tuiles sur maçonnerie qui fait le tour du çahn marque la place du toit primitif. Le sommet de ces plafonds est élevé de près de 7 mètres au-dessus du sol. Les arceaux, dont les pieds droits ont 2 m, ,65 d'écartement, comptent 2 m ,10 du sommet à la naissance du cintre. L'encorbellement en forme de cavet a m0 ,20 de hauteur.
La salle de prière se trouve établie sur une tranchée pratiquée dans la pente rocheuse de la colline; un passage de 4 mètres environ demeure libre dans cette tranchée, à l'Est, au Sud et à l'Ouest de la salle de prière, et permet de circuler autour de l'édifice. Des côtés de l'Est et de l'Ouest, des arceaux jetés sur ce passage jouaient le rôle de contreforts extérieurs, et peut-être aussi permettaient l'établissement de treilles ; le passage était ainsi transformé en un petit cloître à toit de verdure, analogue à celui qu'on trouve à l'Orient de là Grande Mosquée. A l'Ouest, à l'entrée de ce cloître, une voûte d'arête reliant deux arceaux couvrait la sortie de la porte latérale de la salle de prière ; une petite chambre, dépendance de la musquée, faisait face a la porte et était adossée à la masse rocheuse qui sert de base à la Médersa. Une galerie couverte faisait suite à cette chambre sur toute la longueur du passage, et bordait le cloître de l'Ouest, en face de la mosquée. Les portes en arcades largement ouvertes la faisaient directement communiquer avec le cloître. Avec le temps, et par l'effet de la négligence turque, les terres, les rochers éboulés avaient partiellement obstrué ce passage ménagé autour de la salle de prière. Les arcades des contreforts tombaient en ruine. L'administration des Monuments historiques apporta, vers 1876, de sérieux remaniements à ce cloître extérieur de la mosquée de Bou-Médiène. Il abattit les contreforts du côté oriental, boucha du côté occidental les portes qui ouvraient la galerie couverte, déblaya le chemin, et par des travaux de soutènement empêcha de nouveaux éboulements de la paroi rocheuse qui domine la tranchée. Le passage fut rétabli dans un état assez analogue, à ces quelques modifications près, à ce qu'il avait dû être primitivement. Les arcades extérieures de l'Ouest existent donc seules aujourd'hui, ainsi que la voûte d'arête qui couvre, de ce coté, la sortie de la porte latérale. L'écartement des arcades y est de 3m, 50(9).
Composition du décor— Les arcs des nefs et du cloître, dont la brisure n'est qu'une déformation supérieure, sont enveloppés par un cercle plus grand, dentelé et soutenu par deux colonnettes engagées (fig. 54). Les trumeaux portent des motifs à répétition. Quant aux écoinçons, les garnitures de rinceau, parées en leur centre de disques à inscriptions cursives, y alternent avec un décor régulier toujours bâti sur le thème du réseau formé par superposition de palmes.
Le mihrâb est composé suivant le plan déjà décrit ; on y trouve le cintre à claveaux, les écoinçons, qui y portent un motif centra] en relief semblable à celui de Sidi Bel-Hassen, les inscriptions coufiques du cadre et de la cimaise et les trois fenêtres à claires-voies géométriques. La niche porte la coupole à stalactites sur les arceaux habituels. La coupole qui précède le mihrâb est ajourée et garnie de vitraux colorés, jaunes, bleus, verts et rouges. Elle se relie au plan carré non par l'encorbellement ordinaire, mais par un plan horizontal jeté sur l'angle et décoré d'un défoncement profond. La fragilité de cette coupole a dû d'ailleurs nécessiter des réparations fréquentes ; le style des reperçages semble de très basse époque et apparenté au style turc des revêtements de la qoubba.
Ajoutons enfin que les murs de la mosquée sont entièrement garnis à partir de 1m, 60, d'un décor régulier très simple et analogue à un des motifs de Sidi Bel-Hassen, et que des frises géométriques de deux types différents courent au haut de tous les panneaux (fig. 51 et 52).
Chapiteaux— Les deux seules colonnes d'onyx de la mosquée, qui portent l'arc du mihrâb, sont munies de chapiteaux d'une grande élégance de forme et d'exécution très habile. Ils offrent cette différence avec les chapiteaux de la même époque que les reliefs en sont plus forts, les profils plus souples et plus hardis, la silhouette générale plus nettement accusée. Ils comportent d'ailleurs les éléments essentiels des types primitifs; on y retrouve l'astragale spiralée, le méandre à crochet, les palmes et les volutes d'angle, le turban et le tasseau quadrangulaire supérieur. Le tailloir, très large, se relie directement au reste du chapiteau ; comme lui, il est recouvert de fins décors en relief rehaussés de couleur. La courbe des crochets, l'importance et la disposition des volutes, dont l'axe est perpendiculaire aux diagonales du tailloir, rattachent bien plutôt ces chapiteaux mérinides aux vieux types du XII siècle qu'à ceux des édifices de Mansourah. Ils se distinguent encore plus nettement des chapiteaux de l'Alhambra par le galbe général, la proportion de leurs différentes parties et la compréhension du modelé. C'est donc là une des créations les plus originales et les plus heureuses de l'art arabe occidental. Le style des ornements superficiels les rattache, d'ailleurs, d'une manière étroite au décor du reste de la mosquée et l'inscription du turban leur assigne une date indiscutable. « Ce monument, dit le chapiteau de droite, est l'œuvre qu'a commandé de faire notre maître l'émir des musulmans Abou El Hasen, fils de notre maître l'émir des musulmans Abou-Yaqoub. » Et le chapiteau de gauche ajoute : « Ce qu'il a ambitionné, c'est de se rendre agréable au Dieu tout-puissant, et il espère en sa récompense magnifique. Que Dieu, à cause de cette œuvre, daigne lui réserver ses grâces les plus efficaces et lui donner la place la plus haute.»(10).
Il convient de mentionner également ici les petits chapiteaux de plâtre des colonnettes engagées qui font partie du décor des cintres (fig. 54). Ils présentent une simplification curieuse et assez fréquemment employée du chapiteau moresque. Ils se composent d'un méandre inférieur très long et de deux palmes doubles enveloppant une feuille simple. Leur comparaison avec un chapiteau beaucoup plus grand (B) du Tocador de la Reine à l'Alhambra, fera connaître les dispositions qu'ils schématisent. On pourra aussi en rapprocher un ornement de plâtre (A) qui, dans les monuments mérinides, remplit des panneaux entiers et dont on chercherait en vain l'analogue dans tous les autres décors floraux.
Les stalactites— La mosquée de Sidi Bou- Médiène présente, avec la voûte de son porche, l'exemple le plus important qui soit à Tlemcen de la coupole en ruche d'abeilles. Préparée par l'encorbellement de quelques coupolettes qui s'isolent de la masse supérieure par une frise méplate, elle présente les dispositions ordinaires de ces genres de décor. Elle fait intervenir le rectangle décoré ; mais on n'y trouve pas la stalactite proprement dite, rattachée par son sommet seulement à la construction générale. Elle a eu fort à souffrir des passages à la chaux qui ont empâté la ciselure de ses arêtes et ont fait disparaître en partie le décor gravé, peut-être peint, qui l'enrichissait. Cependant elle met encore dans l'ombre chaude de la baie la voûte somptueuse de ses facettes où se jouent les reflets du pavé.
Décor épigraphique— L'élément épigraphique tient une place très importante dans le décor de plâtre. Non seulement l'écriture cursive forme de longues et minces bordures à l'entour de presque tous les panneaux(11), mais encore elle s'étale en de plus grandes proportions (fig. 56, A) et avec un caractère plus décoratif sur le tambour d'entrée, où elle reproduit l'inscription dédicatoire. Un rinceau très élégant court au- dessous des lettres du type andalou, dont la tournure rappelle avec beaucoup de bonheur la liberté du qalam.
Le coufique fleuri y est représenté par plusieurs exemples intéressants, au décor du mihrâb, et sur les murs latéraux du portail où il se mêle intimement au décor floral, formant de larges bandes de 0m, 27 de haut. Ce dernier spécimen est un des plus beaux décors épigraphiques que nous aient laissés les artistes mérinides. Nous en donnons un fragment ici (fig, 55). Il se compose de deux lignes superposées : la ligne d'en haut, en petits caractères, répète deux fois la formule : « Louange à Dieu » ; la ligne du bas, en caractères plus grands et plus sobres, complète par la mention « pour ses bienfaits», une seule fois exprimée ; et ces deux lignes sont disposées de telle sorte que la ligne d'en haut sert a celle du bas de couronnement régulier. Cette variété de coufique apparaît déjà à Sidi Bel-Hassen en de courts fragments. L'Alhambra en présente quelques exemples importants (cour de l'Alberca, irise de la cour des Lions, etc.) ; enfin, nous devons signaler l'analogie de ce motif décoratif de Bou-Médiène avec un de ceux du patio de las Doncellas à l'Alcazar de Séville, qui reproduit dans la même disposition une eulogie à peu prés identique(35). Les artistes mérinides firent de ces groupements scripturaux de très ingénieuses applications en des décors étendus. Ce genre de coufique, que nous appellerions volontiers coufique architectural, se distingue du coufique à entrelacs de Sidi Bel-Hassen et d'Oulâd el-Imâm par l'introduction de formes rappelant l'arcade dentelée et les toits à deux versants. On remarquera aussi le fleuron médian surmontant les Lams ou les Alifs et qui résulte de la soudure de palmes affrontées telles qu'elles se présentent à Sidi Bel-Hassen (fig. 30).
Décor géométrique— Le revêtement de plâtre ne réserve pas une grande place à la géométrie : les claires-voies et les frises, auxquelles viennent s'ajouter les plafonds et leurs caissons, tels sont les seuls emplois qu'on en observe. Nous verrons tout à l'heure que le décor de bronze et la céramique y trouvent au contraire d'abondantes formules décoratives.
Décor floral— La mosquée de Sidi Bou-Médine marque un nouvel appauvrissement de la flore ornementale arabe. Il n'y a plus ici de palmes décorées, comme dans les édifices de la fin du XIII siècle. On peut dire que la feuille lisse, divisée en deux lobes inégaux ou sans découpage et marquée parfois d'un sillon angulaire qui en désigne l'origine, est devenue l'unique élément des entrelacs curvilignes. Elle est le plus souvent assujettie à une tige très longue et très souple, et tend, en s'amaigrissant, à s'assimiler au trait de l'écriture ornementale. L'exemple ci-joint (fig. 57) mettra en lumière ces rapprochements curieux et les échanges qu'ils occasionnent. Parfois une ligature réunit deux feuilles, parfois un troisième lobe inférieur, se détachant de la base de la feuille, donne lieu à une soudure médiane. Les figures 48 et 56 donnent un exemple de cette soudure et de la réunion qui l'a engendrée.
A côté de la feuille lisse, il faut mentionner la feuille courte à nervures, toujours détachée de son pied, et servant invariablement de remplissage (fig. 51, 52). Cependant, si le nombre des éléments floraux est extrêmement restreint, si les formes initiales qui décorent les surfaces se réduisent à deux ou trois, il convient d'admirer d'autant plus les ressources de l'imagination décorative, qui a su varier les combinaisons au point d'écarter toute monotonie de cette répétition incessante. Tel semble être en effet le but des gypso plastes maghrébins, et nous signalerons à ce propos un ingénieux procédé employé par eux pour introduire la variété dans les multiples reproductions du même motif. On peut l'observer aux rosaces (fig. 55), qui, dans le porche, marquent l'angle des tronçons coufiques déjà décrits. Ce procédé, analogue à celui qu'employèrent les miniaturistes dans le coloriage des manuscrits, consiste à varier un même dessin plusieurs fois répété, par le reperçage, dans un exemplaire, de certaines parties que l'on a réservées dans un autre, ce qui déplace les noirs et change complètement l'effet de l'ornement. Les portes de bronze (fig. 58) — Suivant l'abbé Barges, les portes de bronze avaient été, jusqu'à 2 mètres du sol, dépouillées de leurs revêtements par des soldats français. Une habile restau- ration leur a rendu leur splendide aspect primitif. Des tringles, se croisant suivant de grandes rosaces à quatorze pointes, se détachent sur des plaques repercées d'entrelacs floraux. De petits fragments soudés servent au treillis formé par ces entrelacs, de transparents colorés. La jolie légende qui veut que ces portes, promises au sultan mérinide comme rançon d'un captif chrétien, et confiées au flot, soient venues par cette voie d'Espagne jusqu'au rivage maghrébin, bien qu'elle ne porte naturellement pas le caractère d'une grande authenticité, semble attribuer à ce travail une origine étrangère. Il est curieux, en effet, de constater qu'à part le grand lustre et la couronne de la Grande Mosquée, à part quelques pentures, quelques marteaux de porte de faible dimension, quelques clous assez adroitement ciselés, on ne retrouve à Tlemcen aucun spécimen de cet art qui exige une longue pratique et une grande habileté technique. Si, d'autre part, on examine un travail espagnol analogue, la Puerta del Pardon de la cathédrale de Cordoue par exemple, on trouve ses vantaux revêtus d'une combinaison simple de parallélogrammes à six cotes, décorés de motifs estampés dans le bronze. Ces motifs sont de style fort hétérogène ; on y rencontre des entrelacs arabes, un écusson chrétien, des imitations de sentences coufiques, enfin l'inscription espagnole : « Sereedificaron ano 1539. » Celte indication épigraphique, venant à l'appui de ce que dit Maqqari des vieilles portes de la mosquée de Cordoue(12), établit peut-être l'existence antérieure d'une œuvre se rapprochant des portes actuelles comme composition, sinon semblable comme exécution, dont les portes de Sîdi Bou-Médiène nous donnent une idée assez exacte, et dans laquelle l'estampage pouvait bien être remplacé par le reperçage et la ciselure. Le rapprochement des heurtoirs qui les décorent avec ceux de la mosquée maghrébine (fig. 58 C) indique une inspiration très proche parente, et probablement une origine commune. On sait, d'ailleurs, par les poignées d'épées, les casques et les boucliers moresques, le degré de perfection auquel les artistes d'Espagne étaient parvenus dans l'art de ciseler et de graver les métaux. Il se peut que les panneaux qui nous occupent ne soient qu'une belle œuvre de plus sortie de leurs mains et que la légende n'ait pas complètement menti.
Quoi qu'il en soit, la disposition géométrique chère aux artistes de Tlemcen, le style des remplissages, qui présentent une grande analogie avec le décor de plâtre avoisinant, et la parfaite convenance des proportions avec le reste de l'édifice semblent indiquer que, si le travail ne fut pas exécuté sur place, il le fut du moins d'après un carton soigneusement établi par le décorateur maghrébin(13).
Le minaret. — S'élevant au dessus de l'ensemble des pavillons qui couvrent les nefs, le porche et les coupoles [fig. 59), le minaret, par l'élégance de ses proportions, la variété introduite dans les classiques dispositions de ses garnitures, enfin la richesse du revêtement céramique qui en décore le sommet, nous apparaît comme, un des plus jolis spécimens subsistants de ce genre d'édifice.
La composition en est très simple. Toute la base étant engagée dans les dépendances de la mosquée (chambre des pèlerins, la décoration ne commence qu'au tiers de sa hauteur totale avec une arcade festonnée. Elle se continue par un réseau d'arcs entrecroisés. Ces deux formes consacrées de tous les minarets d'Espagne et du Maghreb affectent, sur les différentes faces, de curieuses modifications [fig. 60 A B). L'arc inférieur qui enveloppe les fenêtres donnant jour à l'escalier présente, au Nord, une intéressante disposition d'arcades lobées rayonnantes, dont on retrouve l'analogue à la Kotoubîya de Marrakech. Le réseau, que des fragments de céramique incrustés dans la maçonnerie parsemaient de fleurons brillants, cloisonnait un champ revêtu d'enduit où couraient des ornements peints en brun rouge. Quelques morceaux, visibles à la base, permettent de supposer quelle pouvait être l'élégance sobre d'un panneau ainsi décoré.
Il convient de signaler, sur le mur de la mosquée enveloppant la base de la tour, un ornement carré (fig. 60 C) composé de morceaux de terre émaillée verte incrustés dans la brique. C'est le seul exemple tlemcenien et probablement un des rares exemples occidentaux de ce genre de décoration épigraphique si fréquent en Orient appelé coufique quadrangulaire(14). Nous le lisons: Bibarakati Mohammed «Par la bénédiction de Mohammed ».
Une frise en mosaïque de faïence composée, pour chaque côté, de quatre rosaces (fig. 61) on plutôt de trois rosaces entières accostées de deux demi-rosaces se continuant sur les autres faces, remplace au sommet la fausse galerie habituelle des minarets espagnols et maghrébins. L'entrelacs des filets blancs limitant les surfaces où le noir domine, niais où se rencontre aussi le vert et le jaune de fer, forme une étoile à vingt-quatre pointes, entourée de lignes brisées qui l'inscrivent dans un carré.
Il nous semble difficile de déterminer le point de départ d'une telle substitution. Peut-être la connaissance plus complète des monuments du Maroc nous révéler a-t-elle la conception voisine qui donna l'idée de ce décor, ou même les premiers essais qu'on en fit(15). L'histoire des emplois de la céramique comme revêtement extérieur présente encore bien des lacunes. Le grand portail de Sîdi Bou-Médiène montre bien que les artistes mérinides étaient en possession d'une technique très perfectionnée quand ils arrivèrent à Tlemcen. Cette virtuosité les entraîna sans doute à remplacer, sur le minaret, un élément consacré, classique, par un élément nouveau, moins solide et moins logique que le premier. L'événement a prouvé, en effet, qu'un revêtement ainsi exposé aux intempéries et non maintenu sur les côtés par des cloisons ou des rebords saillants devait se désagréger peu h peu et se détacher du mur qui le portait. Peut-être le minaret qui nous occupe fut-il l'occasion d'une tentative. Mansourah ne comporte point de décor semblable; nous le retrouverons au minaret de Sîdi El Halwi, mais déjà sensiblement modifié comme composition.
Une rangée de nierions couronne le corps principal de la tour; ils portaient eux-mêmes un décor de mosaïque bien attaqué par le temps. Enfin, l'édifice terminal présente, dans l'encadrement de son petit arc dentelé, un joli revêtement céramique d'entrelacs floraux en deux tons : brun sur blanc.
Trois boules de cuivre, dont la plus grosse est dorée et mesure 1 m ,50 de circonférence, surmontent ce campanile. La taille imposante de ces boules et l'aspect brillant de l'une d'elles ont donné lieu à diverses légendes, sur leur origine, leur valeur et leur miraculeuse intangibilité, qui leur attirent le respect des âmes simples, tout en les protégeant contre l'audace improbable des malfaiteurs.


NOTES :
1- Notre vue est prise des terrasses qui rejoignent la maison de l'oukil au tombeau du Saint.
2- Brosselard, les Inscriptions arabes de Tlemcen (Revue africaine, août 1859, p. 403); à l'époque ou Barges visita Tlemcen, L'inscription commémorative disparaissait encore sous un badigeon de chaux datant de l'époque turque (Cf. Tlemcen, ancienne capitale, p. 297).
3- A Tauris. dans un monument, l'émail bleu turquoise a ainsi été enlevé (J. Dieulafoy. la Perse, ap. Tour du Monde, 1883, I, p. 30). Au Louvre, on peut voir un revêtement provenant du palais de Tanger, dont la bordure est également en brun et se détache sur le fond de terre.
4- On peut voir un escalier semblable à la Puerta del Sol de Tolède, qui présente de très ingénieux emplois de la brique.
5- Notre photographie présente au premier plan le pavage du çahn en briques, à gauche un des battants de la porte de bronze (fig. 58), plus loin le pavage de tuiles vernissées du porche, formant la dernière marche de l'escalier, le beau décor de plâtre sculpté garnissant les murs et, encadrant la petite porte latérale (fig. 48, 55, le départ des stalactites de la voûte, la garniture en mosaïque de faïence du cadre intérieur et de la douelle de l'arcade principale (fig. 47), enfin l'arrière-plan montre, de l'autre coté de la cour, l'auvent abritant l'entrée du tombeau, à droite, l'angle de la qoubba.
6- Avec quelques variantes : « Ceci a été édifié par l'ordre de notre maître, l'émir des musulmans, le serviteur de Dieu. Ali, fils de notre maître, émir des musulmans qui a livré le bon combat dans le sentier de Dieu Abou-Said Otsmàn, fils de notre maître le prince des musulmans, qui a livré le bon combat...»; elle couvre trois des faces du tambour; sur la quatrième, le plâtre est tombé.
7- Les deux piliers de droite et de gauche de la nef centrale, en avant du mihràb, portent enchâssées les tables des habous de la mosquée, l'une datant de l'époque du fondateur, le Mérinide Abou El Hassen, l'autre du temps du Zeiyânide Abou-Abdallah Et-Tsàbiti (commencement du XVI siècle) (Cf. Brosselard, Revue africaine, août 1859, p. 410-419;— Barges, Tlemcen, ancienne capitale, p. 301 et suiv).
8- Un dessin du cloitre extérieur de Sidi Bou-Médiène (partie orientale disparue?) ligure ap. Piesse et Canal, Tlemcen, p. 17.
9- Cf. Brosselard, Revue africaine, 1859, p. 403.
10- Elle reproduit une formule fort simple et extrêmement fréquente sur les monuments d'Andalousie : El-moulkou’d-daîmou lillâh El-izzou'l-qâimou lillâh : « L'empire durable est à Dieu, la gloire stable est à Dieu » (Amador de los Rios, Inscripciones de Sevilla, p. 135, 2 in. 243, etc. ; — Almagro Cardenas, Inscripciones de. Granada, 10. 149, 113, etc. ; le mur oriental de la mosquée de la Pêcherie, à Alger, est aussi orné d'une inscription analogue : « L'empire durable est à Dieu; l'opulence stable est à Dieu», non comprise par l'auteur du Corpus des inscriptions arabes de l'Algérie. 1. 54). A Tlemcen, elle figure sur tous les monuments mérinides.
11- Cf. Amador de los Rios, Inscripciones arabes de Sevilla. n 71, p. 130, avec une planche reproduisant le cartouche de l'inscription.
12- « Elles sont toutes recouvertes de cuivre jaune merveilleusement travaillé» (Analectes de l’histoire d'Espagne, 1, 361, in fine—Cf. Moralés, Anliguedades de Espana, au chapitre Côrdoba, p. 5 S cl suiv).
13- Le revêtement de portes en bronze se rencontre, au reste, dans d'autres édifices mérinides (Cf. Léon l'Africain, éd. Schefer, 11. p. 75, in principio).
14- Cf. Bulletin de l'Institut égyptien, 1881, p. 100; 1890, p. 61 — Van Berchem, Matériaux pour un «Corpus», p. 139, et pl. XXX. N 2.
15- Sur la reproduction d'une porte de Chella (époque mérinide), qui figure dans la Grande Encyclopédie à l'article Maroc, nous croyons discerner un cadre fait de grandes rosaces semblables à celles de Sidi Bou-Médiène.



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