Algérie

MORTS D'ENFANTS…



Quand des écoliers se donnent la mort, il faut avoir l'humilité d'admettre que l'on est devant l'incompréhensible et l'inexplicable. On est saisi d'effroi et de compassion pour ces jeunes vies écourtées de manière si abrupte et si brutale. Mais dans notre esprit, on sait, faute d'une connaissance de proximité et des enchaînements qui ont mené à la tragédie, que l'on est dans un domaine où il est hasardeux de se prononcer.
Devant ces drames d'enfants qui se donnent la mort, les réactions «politiques» que l'on enregistrait déjà hier sur certains sites électroniques paraissent dérisoires. Comment établir une causalité politique immédiate, directe, à l'acte de ces enfants en début de vie avec un régime politique ' Cela relève d'une surpolitisation à l'extrême qui accuse sans expliquer. Nous ne pouvons presque rien dire sur le geste des enfants, mais nous savons que l'empressement de certains à en faire une lecture politique correspond à un état d'esprit qui existe et qui est profondément marqué du sceau de l'absence de confiance.
Le fait qu'il y ait eu trois enfants qui se sont suicidés en peu de temps commande aux parents, aux grands frères et s'urs et aux enseignants d'être plus attentifs et plus vigilants au comportement des enfants. En réalité, ainsi que l'indique une note de la Forem, le suicide des enfants est plutôt rare chez nous et c'est ce qui choque d'autant plus quand il arrive. On peut lire sur le site de la fondation des indications utiles sur les troubles dépressifs qui touchent l'adolescent. On y trouve une invitation à l'alerte devant «un enfant triste, toujours en retrait, souvent l'air absent, ou au contraire devant un enfant irritable, agité, souvent en opposition».
C'est en effet beaucoup plus important que de se risquer à de hasardeuses explications «politiques». Cela n'empêche pas d'admettre que de manière générale, la société algérienne connaît de graves problèmes de santé mentale qui sont, par maints aspects, liés à la politique. En 2007, la Forem (Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche) estimait à au moins un million le nombre d'enfants victimes de traumatismes liés aux violences de la décennie 90, mais que seuls 5% ont bénéficié d'une prise en charge psychologique appropriée.
Le professeur Farid Chaoui le constatait récemment dans un entretien à un confrère, que les Algériens présentent la caractéristique assez unique d'avoir été pris «en étau entre deux évènements traumatiques majeurs, la guerre de libération, d'une part, et la guerre civile, d'autre part». C'est une société où le stress post-traumatique, défini comme un «rendez-vous raté avec la mort», se transmet d'une génération à l'autre faute d'avoir été traité et géré.
Les gros problèmes de santé mentale que connaît l'Algérie sont silencieux. Et ils sont souvent un effet du silence imposé aux souffrances liées aux évènements traumatisants qui ont marqué l'histoire récente de l'Algérie. C'est une société qui a connu en cinquante ans deux traumatismes majeurs qui n'ont pas été ou si peu traités. Le choix politique de faire l'impasse d'une verbalisation du traumatisme subi durant les années 90 pèse très lourdement sur la société algérienne. Ce traumatisme continue à se transmettre sur fond d'incompréhension, de douleurs et de ressentiments.
Le silence n'est pas une médication, avait averti le professeur Chaoui. «Si l'on reste dans le déni au nom de la réconciliation, à dire qu'il ne s'est rien passé, que la tragédie nationale c'est fini… C'est une fausse solution pour un vrai problème…». Les comportements souvent déroutants de nombreux Algériens le montrent clairement.


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