Algérie

Monsieur le juge, assainissez vos rangs !



Par : NASR EDDINE LEZZAR
AVOCAT
"Une minorité minoritaire se cache derrière la robe d'avocat, s'adonne à beaucoup de charlatanisme et de courtage et doit être combattue", dixit le président du Syndicat des magistrats. Reprise par les réseaux sociaux, cette diatribe a déclenché une mauvaise polémique.
Des avocats et des avocates ont réagi en ch'ur, avec véhémence, et on les comprend. "Les avocats sont des intermédiaires entre qui et qui '" s'interrogent-ils.
En effet, le syndicaliste en chef en a trop dit ou pas assez ! Cette attaque, hors des règles, s'arrêterait-elle aux avocats "intermédiaires" dans l'acte de corruption ou impliquerait-elle sa corporation ' Car qu'on se le dise, il n'y a point de corrupteurs et d'intermédiaires sans corrompus. Sur cette vérité première, il n'y aura, sans doute, point de divergences entre gens de bonne famille et de bonne foi.
Apparemment excédé par les attaques répétées des avocats contre les juges, le président du syndicat s'estimant dans son rôle, s'attaque à toute une corporation, même s'il le fait avec une légère nuance en réservant sa flèche à "une minorité minoritaire". Cependant, cette dernière n'étant pas identifiée, la totalité se sent insultée. Le président du syndicat n'en est pas à son premier forfait contre les robes noires qui, de leur côté, sont assez critiques contre des juges.
En agissant comme il le fait, le syndicaliste en chef adopte une attitude clanique et sectaire qui consiste à défendre les juges, et non une posture haute et élevée qui défend la justice, dont la corporation est le socle.
Cette réaction est le signe, me semble-t-il, d'une erreur de combat et de cible. On ne défend pas les juges en traitant les avocats de "courtiers", car on les inculpe d'une façon ou d'une autre.
Cela rappelle un peu le général Hamel, ex-DGSN, qui, se sentant menacé de poursuites, a déclaré un jour : "Pour combattre la corruption, il faut être propre."
Pour défendre les juges, le syndicaliste en chef semble dire aux avocats : "Vous n'êtes pas propres !" Cette attaque "en dessous de la ceinture" contre toute une corporation rappelle ce classique et sempiternel débat qui consiste à savoir qui a précédé l'autre l''uf ou la poule '
Plus concrètement en l'occurrence : est-ce que la corruption existe dans la justice, parce qu'il y a des corrupteurs et des corrompus, ou bien ce sont les corrupteurs et les corrompus qui créent la corruption ' Pour éradiquer la gangrène, doit-on commencer par le corrupteur ou le corrompu ' Et aussi, qui précède l'autre dans la chaîne '
Le corrupteur, le corrompu ou l'intermédiaire quand il existe ' Et où est le rang de ce dernier dans ce cycle vicieux ' Est-ce l'intermédiaire dans la corruption qui crée le corrupteur et le corrompu et leur permet d'exister ' Ou bien est-ce que les deux parties dans la transaction créent l'intermédiaire pour s'en servir, car la fonction crée l'organe ' Est-ce que c'est le corrupteur qui démarche le corrompu ou est-ce l'inverse '
Ou est-ce plutôt l'intermédiaire, qui est à l'origine de l'opération, et donc sans lui, tout cela ne saurait exister ' Pour mettre fin à la corruption, doit-on commencer par éliminer le corrompu, le corrupteur, et l'intermédiaire disparaîtra de lui-même ' Ou bien, doit-on agir dans un ordre différent '
Autant de problématiques, quelque part philosophico-politiques, qui offriront l'opportunité d'une bonne délectation intellectuelle à l'occasion. J'éprouve toujours un profond respect pour celui qui, comme le président du Syndicat des juges, défend son métier, sa profession, sa corporation et qui le fait dans un esprit militant. Aussi, il y a des partis pris qui honorent ceux qui les adoptent.
Défendre la moralité de son corps professionnel est une bonne chose, mais il y a deux limites à ne pas dépasser. La première est de ne pas salir les autres, la seconde est de ne pas défendre inconditionnellement. Il faut toujours distinguer la corporation des personnes, hommes et/ou femmes qui la constituent. Il y a toujours le bon grain et l'ivraie ou qu'on aille et quoi qu'on fasse. L'être humain est un être humain, "c'est humain, trop humain", comme dirait Nietzche.
Dans cet ordre d'idées, il y a une barrière entre le bon corporatisme qui protège le corps professionnel en sacrifiant ses mauvaises composantes et le corporatisme de mauvais aloi qui entretient, défend les tumeurs malignes et, ainsi, provoque des métastases. Toutes les corporations ont leurs brebis galeuses qu'il faut à tout prix éloigner. Il faut se garder de verser dans la solidarité corporatiste de mauvais acabit qui consiste à défendre un collègue ou un confrère en adoptant un principe mafieux qui interdit de prendre le parti d'un étranger contre la "famiglia".
Dans le système judiciaire, la solidarité corporatiste effrénée détruira, moralement, le palais de justice qui est notre maison commune. Cette repartie que je livre n'est nullement dictée par une solidarité de corps, à l'instar de la diatribe à laquelle elle répond, mais par la réponse d'un avocat-citoyen profondément préoccupé par la grande misère morale et éthique de la justice de son pays.
L'obligation de réserve interdit d'attaquer sans nuance. Je n'irais pas jusqu'à jeter la pierre aux juges en soutenant, comme le font certains, que le corrupteur et l'intermédiaire ne naissent et ne sévissent que parce qu'il y a un corrompu. Aussi, je continue et m'obstine à croire et à soutenir que tous les magistrats devant lesquels je plaide, les parquetiers avec lesquels je collabore, les huissiers, les experts judiciaires jouissent d'une présomption d'honnêteté tout comme mes honorables cons'urs et confrères. Cette présomption est, toutefois, susceptible de fléchir devant la preuve contraire.
Le malaise moral profond que vit notre justice ne trouvera pas de solution dans ces affrontements à la fois puérils et stériles entre les différentes corporations ou corps de métiers qui composent le système judiciaire. Les déclarations du président du Syndicat des magistrats portent atteinte à tous les avocats et à tous les juges honnêtes. En traitant les avocats de "courtiers", il indique l'existence d'un marché et il doit le révéler, l'expliquer, le combattre et l'éradiquer. Il ne doit pas limiter son combat à "la minorité minoritaire" d'avocats, mais doit l'étendre à tous les acteurs de cet odieux commerce.
En traitant les avocats de courtiers ou d'intermédiaires, il reconnaît que la corruption existe dans sa corporation, par conséquent, il doit s'atteler à la combattre. Il est impératif d'assainir les rangs de la corporation, c'est la plus belle des façons de défendre les intérêts matériels et moraux des magistrats de ce pays. Si le Syndicat des magistrats a eu connaissance d'avocats intermédiaires, il y a lieu d'aller au bout de la logique et rechercher les autres éléments de la chaîne.
Il faut engager des procédures disciplinaires, des poursuites judiciaires contre les corrupteurs, les corrompus et les intermédiaires. Il y a lieu d'ouvrir des enquêtes et des dossiers contre tous les acteurs de l'opération. Il faut frapper sans quartier et sans clémence. En constatant et en dénonçant sans sévir et sans agir, le président du Syndicat des magistrats a jeté le discrédit sur toute la justice de notre pays. Il en a trop dit ou pas assez, il s'est limité à salir, sans plus ! Pour la réhabilitation de la justice de notre pays, chaque corporation de la famille judiciaire doit assainir ses rangs.


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