Non, je n'habite
ni le treizième ni Belleville ! Je vis dans le dix-septième depuis ma
naissance. Comme tu peux l'entendre, je parle le français sans accent mais on
me posera toujours les mêmes questions débiles ! Oui, je parle chinois, non je
n'ai pas la nationalité chinoise, oui j'ai des parents en Chine, non je ne suis
pas marié à une chinoise ou à une française d'origine chinoise. Ma femme est
alsacienne, hé oui... Je suis français… comme Guéant ou Sarkozy. Je suis
français et j'aime la Bretagne,
la tête de veau et le PSG mais à chaque fois que je le dis, je vois, je devine
des sourires entendus. Même toi tu souris. Si, ne le nie pas ! Tu te dis, le
pauvre, il y croit vraiment. C'est vrai que j'y crois. Je me sens français même
quand on me fait sentir que je ne le suis pas. Même quand on veut me prouver
que je ne le suis pas vraiment. Qui ça ? Les Français de souche bien sûr, mais
aussi des parents, des amis, des gens comme toi qui viennent d'ailleurs…
Ces histoires de Chinois
qui s'intègreraient mieux que les Arabes ou les Africains, c'est de la
foutaise. Ce n'est pas parce que l'on se tait et que l'on ne dit rien que tout
va bien. Deux ou trois fois par semaine, j'entends des choses, j'en vois
d'autres, qui me mettent en colère ou qui me blessent mais on m'a appris à ne
pas faire d'histoire. Gamin, on m'a dit, c'est ton pays, il faut que tu fasses
des efforts. On m'a répété que cela ne servait à rien de hausser le ton. Alors
oui, je préfère le silence mais je n'en pense pas moins. Comment te dire ?
C'est un peu bizarre mais il m'arrive souvent de me sentir plus Français que
celui qui cherche à me convaincre du contraire. Oui, c'est bien ça. Je suis
plus français qu'un raciste du Front national. Ce n'est pas juste une manière
de me préserver ou de me raconter des histoires. Tiens, écris-le comme ça : je
suis plus français que Guéant, Hortefeux ou Le Pen.
Dans ma boîte, il
y a souvent des rumeurs de délocalisation en Asie y compris pour le service
recherche et développement où je travaille. La dernière fois, une collègue m'a
regardé avec des éclairs dans les yeux, comme si c'était de ma faute ! Et puis,
elle a fini par lâcher le morceau. Toi, tu n'as rien à craindre, tu pourras
toujours aller travailler en Chine, m'a-t-elle lancé. Je ne suis allé qu'une
seule fois en Chine. C'était il y a deux ans. Je devais y rester trois
semaines, je suis rentré à Paris au bout de quatre jours. Là-bas, ce n'est pas
mon pays. J'y suis étranger, je m'y sens étranger. Les gens… Les gens n'ont pas
les mêmes codes que nous.
Il y a aussi les
plaisanteries débiles sur les chats. Où que j'aille, il y en a toujours un qui
va faire le malin en se demandant à voix haute pourquoi les chats ont disparu
dans le treizième arrondissement. Une fois, j'ai perdu mon calme. C'était au
boulot, au moment d'aller manger. Tu sais comment ça se passe. On est cinq ou
six, on décide d'aller déjeuner ensemble et il faut choisir le restau. Une
collègue a dit on va au chinois d'en face et un autre lui a répondu qu'il ne voulait
pas manger du chat. Là, j'ai pété un câble. J'ai failli tout casser. Depuis, il
n'y a plus de plaisanteries sur ce sujet mais je suis sûr qu'ils en font
derrière mon dos.
Je n'ai jamais mangé de chat, je ne pourrai
jamais en manger. Ni de chien d'ailleurs et encore moins de lapin ou de
grenouilles. Mais je n'arriverai jamais à convaincre mes collègues même si
j'écris un livre du style je suis chinois mais je ne mange pas de chat. Tu
vois, ils sont persuadés que j'ai deux personnalités. Que ce qu'ils voient de
moi n'a rien à voir avec ce que je suis à la maison. C'était vrai pour mes
parents. Eux étaient chinois même s'ils n'ont jamais voulu revenir au pays.
Mais c'est différent pour moi. Je me sens comme les autres, les Français de
souche. Et j'élève mes enfants comme ça.
Oui, ils parlent
chinois. C'est plus grâce ou à cause de mes parents qui les ont gardés quand
ils étaient petits. Moi, je leur parle dans les deux langues. Ça dépend. Quand
je suis en colère, je crie en français. Non, pas en chinois, en français. Par
contre, quand je veux avoir des discussions moins sérieuses avec eux, je passe
par le chinois. Ça énerve ma femme qui n'a jamais réussi à le parler. Elle
croit qu'on se moque d'elle… Maintenant, il y a de plus en plus de collègues qui
me demandent si je connais un prof de chinois pour leurs enfants. Avant,
c'était l'anglais ou l'allemand. Là, maintenant, c'est le chinois. Je ne suis
pas sûr que cela serve à quelque chose y compris pour trouver du boulot en
Asie. Va savoir ce que sera la
Chine dans dix ans…
Là-bas, c'est de
plus en plus dur y compris pour les Français d'origine chinoise. J'ai des amis,
des cousins qui ont tenté l'expérience. Ils sont tous revenus en France. Le
choc a été trop dur. Il y en a d'autres, qui passent par un sas d'adaptation.
Ils vont à Toronto ou alors à Vancouver au Canada. Tu vois le tableau. Ils se
retrouvent minoritaires dans une minorité. Mais en même temps, ça leur permet
de comprendre beaucoup de choses de la
Chine et quand ils essaient de s'y installer, c'est moins
difficile qu'un choc frontal. De toutes les façons, c'est juste une histoire de
gagner de l'argent même si je commence à noter que le nationalisme fait son
chemin chez les jeunes. C'est normal, non ? Quand on parle à tort et à travers
de choc des civilisations, ça fait naître des sentiments ambigus chez les gens.
Les appels au boycott des Jeux Olympiques de Pékin a
énervé beaucoup de monde…
Je ne m'entends
pas très bien avec beaucoup d'Arabes et de Noirs. Je sais, c'est moche de le
dire de manière aussi brutale mais c'est comme ça. On pourrait être unis,
solidaires, parce qu'on vit la même galère, les mêmes problèmes. C'est tout le
contraire. Il y a des quartiers où c'est vraiment tendu comme par exemple à
Belleville. Les Chinois heu… les Français d'origine chinoise en ont assez de se
faire taper dessus, de se faire racketter. Ils se rebellent, ils se regroupent
en bandes et ont décidé de rendre coup pour coup. C'est un phénomène dont
personne ne parle mais tôt ou tard il va y avoir une grosse histoire. Ce
jour-là, les médias vont découvrir la situation et l'amplifier comme ils savent
le faire. Je te parie qu'un jour ça deviendra un débat national. C'est juste
une question de temps.
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Posté Le : 16/02/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid: Paris
Source : www.lequotidien-oran.com