Algérie

Monde du travail: Marasme social et idéologie


La fête des travailleurs s'est confondue cette année avec un certain nombre de grèves qui dénote un profond malaise social «marqué par le jeu trouble d'idéologies diverses».Le constat est du sociologue Zoubir Arous, enseignant universitaire et chercheur au CREAD. Contacté hier par nos soins, il dresse un tableau peu reluisant d'une Algérie qui, dit-il, «depuis deux ans a perdu de nombreux repères déjà bien malmenés depuis des décennies». Il rappelle que l'Algérie vit depuis quelques jours au rythme de mouvements de protestation qui, faut-il le dire, ne sont pas nouveaux pour le monde du travail. Cependant, pour cette année, ils s'inscrivent dans un contexte tout à fait différent de par l'arrivée d'équipes dirigeantes nouvelles à tous les niveaux hiérarchiques institutionnels, le poids de la crise sanitaire qui dure depuis deux ans et les ravages provoqués par la Covid-19 dont on ne connaît pas encore les conséquences, l'assèchement des ressources financières publiques en raison de la chute du prix du pétrole, l'envolée des prix des produits de consommation, la faiblesse de la pluviométrie et les niveaux alarmants de nombreux barrages, la hausse du taux de chômage, la condamnation de plusieurs hommes d'affaires dont les entreprises ont été fermées laissant sur le carreau des milliers de travailleurs, l'arrêt des grands investissements publics et le manque de plans de charge pour les grandes entreprises publiques qui ont commencé à rétrécir les rangs de leurs travailleurs par la mise au chômage de beaucoup d'entre eux... «Ce sont les travailleurs qui trinquent de situations aussi complexes les unes que les autres. Ce qui a fait de ce samedi 1er mai -une date qui célèbre chaque année le travail à travers le monde-, un rendez-vous en évidence raté mais surtout annonciateur de conflits qui risquent de fragiliser davantage la cohésion sociale», estime le sociologue.
«C'est très grave de voir la protection civile faire grève»
Le sociologue rappelle que ces jours-ci, plusieurs grèves sont déclenchées à l'exemple de celle des différents corps de l'éducation nationale, un peu avant, celle des paramédicaux, suivie récemment du débrayage du corps des douanes et de celui de la protection civile, depuis deux jours l'arrêt de travail marqué par l'Agence Nationale d'Appui au Développement de l'Entreprenariat, l'ANAD ex-ANSEJ, ceci sans compter les multiples mouvements de protestation «spontanés» qui surgissent quotidiennement ici et là à travers le pays, devant les diverses administrations. «C'est très grave de voir les personnels de la protection civile faire grève alors qu'ils peuvent être appelés à n'importe quel moment pour sauver des vies humaines, des émanations de gaz, des incendies, des accidents de la route..., les vies des citoyens dépendent de ce corps d'intervention(...) !», s'est-il exclamé. Arous pense que «ces débrayages dans le monde du travail ne sont pas uniquement le résultat de décisions de syndicats mais reflètent le désarroi de toute la société». Il estime que «ce ne sont pas seulement quelques corporations qui se plaignent de leurs conditions de travail mais c'est la majorité des citoyens qui crient à la décadence sociale».
Aux gouvernants qui ont reproché aux syndicats «de déclencher des mouvements de contestation le 1er jour de Ramadhan pénalisant ainsi des familles entières», le sociologue répond «il est évident que les syndicats choisissent le moment qu'ils jugent propice pour faire plier les employeurs, autrement il ne leur servira à rien de faire une grève dans des périodes d'aisance et de confort (...)». Au-delà de la chose syndicale, Arous tente de «disséquer les images des différentes grèves» pour souligner qu'«en général, ceux qui les fomentent sont connus de par leur idéologie, ils sont connus notamment dans l'éducation nationale où ils mettent en avant des revendications certes légitimes mais emploient le marasme social -qui est réel- pour servir les idéologies qu'ils nourrissent et veulent véhiculer au sein de la société». Le gros problème aux yeux du sociologue est que «ceux qui gouvernent le pays sont en train d'approfondir les problèmes sociaux en les laissant s'entasser pendant que d'autres les utilisent pour des objectifs qui n'ont rien à voir avec la défense des droits des travailleurs ou l'amélioration des conditions des citoyens défavorisés».
«Des travailleurs qui touchent 17.000 DA !»
Arous reconnaît que «la cherté de la vie a atteint des niveaux inimaginables, intolérables, il y a des travailleurs dans certains secteurs qui touchent un salaire de 17.000 dinars, même pas le SNMG qui, lui, a été élevé à 20.000 DA, mais aucun responsable ne s'en inquiète ni mène des enquêtes dans le monde du travail pour savoir comment évoluent les salaires». Ce sont là, dit-il, «des vérités vraies, parce que les lois sont une chose et les réalités du terrain en sont une tout autre, elles sont totalement différentes et contredisent l'optimisme des décideurs».
Il explique que «par ces écarts monstrueux, nous allons transformer la catégorie sociale moyenne en une catégorie démunie des conditions de vie les plus basiques, elle va toucher le fond de la malvie, le risque plane dangereusement sur le pays». Il s'en réfère à l'intérieur du pays, à l'Algérie profonde pour affirmer que «ce qu'il y a dans la poche du citoyen en général va pousser à ce risque de transformation de la catégorie sociale moyenne en une catégorie des plus fragiles, on sait qu'une fois disloquée, cette catégorie aura des réactions dangereuses, réactions qui pourraient ébranler jusqu'aux fondements de la société tout entière».
Le sociologue se tourne vers le «hirak» qui, dit-il, «était à ses débuts un mouvement de contestation uniquement politique mais il va devenir social sous les fortes pressions de populations en mal de vie décente, ce qui pourrait mener le pays au chaos». Il revient aux gouvernants pour interroger «je ne sais pas s'ils savent ce qu'ils doivent faire en urgence pour sauver le pays de cette poudrière, tout porte à croire qu'ils perdent pied(...)». Les urgences pour régler les problèmes, «ce n'est pas d'avoir de l'argent qui manque certes», estime le sociologue, «mais c'est l'urgence politique d'élaborer une stratégie réfléchie, intelligente, pragmatique, rationnelle qui par sa mise en ?uvre devra faire travailler et rentabiliser le peu de ressources que nous avons entre les mains pour créer ce qui nous manque le plus (...)».
Ces dangers qui guettent le pays
Il explique que «l'Algérie s'est engouffrée dans des problèmes inextricables au temps de l'aisance financière inégalée qu'elle a engrangée grâce au prix du pétrole qui avait augmenté très fortement, elle a été plongée dans une corruption généralisée dont tout le monde est responsable, gouvernants et gouvernés, parce que tout le monde a voulu accaparer des richesses qui ne sont pas le fruit de son travail, de ses efforts propres, productifs». Il est convaincu que «le discours politique populiste qui a pris de l'ampleur aujourd'hui, a fait le reste, tout le reste, à travers la distribution de logements gratuits, les inaugurations de nombreuses infrastructures et la création de millions de quartiers minés par de graves problèmes sociaux, les promesses de régler les problèmes qui ne voient jamais le jour, le calvaire des retraités pour toucher leur maigre pension en témoigne...». Un populisme qui empêche, selon lui, le citoyen algérien d'assumer ses responsabilités économiques et sociales, parce qu'il a totalement galvaudé la notion du travail, les Algériens ne travaillent pas, ne produisent rien, l'esprit rentier a été bien entretenu». Il s'inquiète devant «ces longues files de citoyens qui se forment quotidiennement pour l'achat d'un sachet de lait... frelaté parce que laissé sous le soleil dans des caisses en plastique».
Zoubir Arous accuse le pouvoir «de ne pas agir comme il se doit devant les dangers qui guettent le pays». Le sociologue en appelle «aux véritables décideurs pour tracer une vision claire d'une gouvernance avertie, alerte, qui sait réagir au moment opportun, qui doit anticiper les problèmes pour éviter une déflagration sociale, du sachet de lait, au manque de liquidités, en passant par la cherté de la vie pour assurer et consacrer le respect des libertés individuelles et collectives dont les atteintes ces derniers temps laissent présager le pire...».
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