Algérie

Mon voyage en Chine (avril 1975)(2)


Notre voyage en Chine a été une occasion mémorable de nous plonger dans l'histoire et les traditions millénaires d'un peuple qui a bâti l'une des plus brillantes civilisations humaines. Des provinces lointaines à Pékin, la capitale, et de la commune populaire Tatchai à la bouillonnante Shanghai, nous nous sommes retrouvés dans une réalité où le passé rejoignait sans cesse le présent tant l'héritage est immense et omniprésent. Héritage de palais à l'architecture si typique, bourrés de trésors et de mystères, racontant des règnes sanglants ou, au contraire, des gouvernances de générosité et de justice. Héritage unique sous la forme de cette interminable muraille dont nous avons parcouru quelques kilomètres avant d'abandonner devant des pentes éreintantes. Héritage d'un système de pensée complexe de prime abord mais si simple quand on essaye de s'y intéresser. Nous avons débarqué en Chine au moment où la révolution culturelle battait son plein. Mao Tsé Toung, aidés par les jeunes communistes qui voulaient en finir avec l'ancien système, mit le pays sens dessus-dessous, sans résultats apparents sur le plan économique. Certes, l'objectif premier se limitait à offrir à chaque Chinois un bol de riz. Ce fut fait mais sans rien de plus ! Les visées idéologiques, poussées à l'extrême, ne résolvaient pas les graves problèmes que rencontraient l'industrie et l'agriculture. Le tableau idyllique d'une société vivant sous la « dictature du prolétariat » ne trompait personne : derrière les beaux slogans, les gens vivaient mal et végétaient parfois dans un dénuement total.À la mort de Mao, la Chine a tenté, très vite, de changer de direction idéologique ou, du moins, d'apporter des réformes salutaires pour améliorer le rendement de son économie. Deux années après la disparition du leader charismatique, Den Xiaoping ? un moment en disgrâce mais réhabilité par la suite ?, se proposa pour succéder à Mao. En principe, ce dernier avait déjà désigné son successeur, peu connu : Hua Guofeng. Mais le véritable numéro deux, le Premier ministre Zhou Enlai, tomba malade et délégua son pouvoir à Deng Xiao Ping. Difficilement, le nouveau chef va s'éloigner, peu à peu, de l'orthodoxie du PCC pour s'engager sur une voie plus ouverte à l'initiative et à l'effort individuel. Quand il nous reçut, Deng Xiao Ping ne semblait pas avoir les faveurs du leader et la rencontre ne s'était pas éloignée des salamalecs protocolaires et de la photo-souvenir dont je garde une copie pour me rappeler ce voyage du bout du monde.
Deng Xiao Ping savait que Confucius, dont les idées furent combattues par le puissant Parti communiste chinois, restait très populaire et sa pensée ancrée dans la population chinoise. Il utilisa ses citations fort célèbres et se servit de sa philosophie pleine de pragmatisme et de bon sens pour apporter des rectificatifs à la ligne du Parti qui prônait l'interdiction de la propriété privée et le rejet de toute pensée qui s'éloigne des thèses collectivistes. Ce fut une dure bataille face aux inamovibles membres d'une nomenklatura qui ne voulut rien changer pour garder ses privilèges. Evidemment, c'est la fameuse révolution culturelle et ses retombées qu'il vise à corriger en premier. Sa grande bataille venait de commencer. Il engagea des réformes politiques qui se sont traduites par la fin du carriérisme pour les hauts dirigeants du pays et l'adoption d'une nouvelle Constitution.
Ce programme, connu sous le nom de « réforme et ouverture », va changer complètement le visage de la Chine et ses relations avec le monde. Lors de notre voyage, en 1975, nous étions les très rares visiteurs étrangers à nous rendre dans les coins les plus reculés. D'ailleurs, un seul vol hebdomadaire, celui d'Air France, reliait Pékin à l'Europe. Quelques années plus tard, la Chine devenait une destination prisée par les hommes d'affaires et les touristes. Les réformes de Deng Xiao Ping furent à l'origine d'une profonde mutation de la Chine qui passa de pays arriéré au stade de super-puissance économique rivalisant avec les Etats-Unis. Le fil conducteur fut le « compter-sur-soi ». S'appuyant sur un marché aux dimensions d'un continent, l'économie chinoise se développa rapidement en se fixant des objectifs intérieurs. Pour satisfaire les immenses besoins de sa population, il fallait produire et produire beaucoup. Parallèlement, des mesures radicales contre la bureaucratie et pour la facilitation extrême des procédures d'investissement ouvrirent les portes devant une armée d'hommes d'affaires attirés par la main-d'œuvre abordable, la disponibilité des matières premières et d'une infrastructure routière et portuaire modernisée. Les investisseurs accouraient de partout. Parallèlement, les Chinois avaient désormais la possibilité de gagner de l'argent dans les affaires privées. Certains réussirent très bien au point de devenir de véritables milliardaires dans un pays qui n'en comptait pas un seul il n'y a pas si longtemps ! Autre décision capitale allant dans le même sens : l'investissement concernait aussi la diaspora qui pouvait investir dans n'importe quel domaine et pour laquelle des facilités inimaginables furent accordées. Le Chinois de San Francisco ou de Londres n'avait plus peur d'aller dans son pays d'origine. Il était même accueilli à bras ouverts.
Le « compter-sur-soi » voulait dire aussi que le pays s'attelait à produire tout ce qu'il consommait afin de réduire la facture d'importation. Et ça commence par l'alimentation des familles, c'est-à-dire par le riz. Désormais, les Communes populaires n'étaient plus obligées de passer par le système bureaucratique ancien pour écouler leurs marchandises. Elles pouvaient vendre directement leur production dans les villages environnants. Par la suite, des familles bénéficièrent de terres à titre privé. Dans l'industrie, de très nombreuses petites et moyennes entreprises étatiques déficitaires furent mises à l'arrêt, mettant au chômage des millions de travailleurs. Ces opérations d'assainissement économique furent menées au niveau local sous la direction de commissions communales agréées par les hautes autorités. L'Etat se débarrassa également des unités locales rentables en les privatisant car il voulait garder seulement les grandes entreprises. Beaucoup de ces grosses entreprises du BTP qui font des miracles en Algérie et dans le monde sont des sociétés publiques. Mais leur réussite économique foudroyante a un nom : capitalisation boursière ! C'est loin d'être la privatisation made in Temmar ou celle de l'escroquerie nommée « Partenariat Public-Privé ». Cette capitalisation s'accompagnait par une totale autonomie de décision laissée aux dirigeants de ces entreprises. Grâce à l'esprit Confucius, les Chinois se sont posé la question de savoir pourquoi les sociétés occidentales étaient florissantes ' Fin de la bureaucratie, c'est-à-dire du pouvoir d'un ministère sur ces entreprises et gestion moderne à l'occidentale par l'adoption de méthodes managériales ayant fait leurs preuves à l'Ouest, telles sont les clés du succès. Nous avons tout intérêt à nous en inspirer.
M. F.
P. S. : la famille Barkat, dont j'avais signalé ici les souffrances et les difficultés pour rentrer au pays, vient de m'écrire pour me signaler qu'elle est, enfin, arrivée en Algérie. Bienvenue au bercail.
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