Algérie

«Moi, Khaled Kelkal»



Comment devient-on l'ennemi public numéro Un '
Le nouveau roman de Salim Bachi, intitulé Moi, Khaled Kelkal, se lit comme une biographie romancée de celui qui fut désigné, dans les années quatre-vingt dix en France, comme l'ennemi public numéro un. C'est un exercice littéraire qui réussit bien à l'un des meilleurs auteurs algériens qui avait déjà fréquenté cette thématique. On se souvient de Tuez-les tous, où il raconte le parcours d'un des participants aux attentats du 11 septembre 2011 de New York. Avec cette toute nouvelle livraison, c'est l'âme du jeune de la banlieue lyonnaise qui a mobilisé toutes les forces de l'ordre de France, que l'auteur nous propose de pénétrer. Cette fiction emprunte à la réalité historique son déroulement implacable, où l'on voit les drames individuels et collectifs se muer en tragédie. Avec son écriture dépouillée et sobre, Salim Bachi parvient à restituer l'état d'esprit d'un jeune que la société a relégué dans les ténèbres de la bêtise humaine.
La trame du roman n'est pas linéaire et épouse les contours d'un cerveau torturé par l'incompréhension et les coups durs de la vie. Le narrateur, qui n'est autre que Khaled Kelkal, vadrouille dans sa vie comme un explorateur sans boussole. Les événements se succèdent pêle-mêle dans sa tête, puis une sorte de hiérarchie s'établit par elle-même et permet aux pièces du puzzle de s'agencer. D'emblée, on est au coeur de l'action. L'acte inaugural qui met au monde la dure légende de Khaled Kelkal. Elle va naître au coeur de Paris, dans une rame de métro à la station Saint-Michel. Dans cet attentat où les corps déchiquetés portent les stigmates d'une bombe fabriquée sur le tas, Khaled Kelkal et son compère Mehdi savourent à distance les relents sanguinolents d'une victoire longtemps attendue.
Au fur et à mesure que les souvenirs du premier s'égrènent, le lecteur fait connaissance avec une galerie de personnages atypiques. On apprend que Mehdi est l'artificier attitré des groupes armés intégristes en Algérie. Ses méfaits ont causé des centaines de morts à Alger. Devant l'étau des forces anti-terroristes qui se resserre autour de lui, il s'exfiltre en France. Il est chargé d'installer des cellules terroristes à Paris, Lyon et Lille. Il apprend à Khaled Kelkal comment fabriquer une bombe à partir de quelques composants rudimentaires et accessibles. C'est cette rencontre des deux jeunes hommes, Khaled et Mehdi, qui fait entrer en scène Khélif. Il est considéré par Khaled Kelkal comme son maître à penser. Ils se sont connus dans la prison où le futur ennemi public purgeait une peine de quatre ans.
Une condamnation qu'il a jugée disproportionnée par rapport au délit commis. Khaled Kelkal a osé voler la voiture du président de l'Olympique Lyonnais, puis de l'utiliser comme voiture-bélier pour commettre un vol. Lors de la confrontation avec le patron du club-phare, il se rend compte qu'on ne s'attaque pas impunément aux puissants. L'univers carcéral va l'aguerrir et lui faire perdre toutes illusions sur le genre humain. C'est dans ces espaces clos qu'il commet son premier meurtre : «Je me souviens que j'ai dû en planter un dans les douches parce qu'il voulait me voler mes pompes, elles lui plaisaient, il en rêvait, mais dans son cas, ce n'était qu'un prétexte, une entrée en matière, alors j'ai trouvé un autre damné qui m'a procuré une tige en métal».
Ce coup d'éclat l'aide à se faire respecter parmi les autres prisonniers. Après ce qui s'apparente à une grève de la faim, il tombe dans la même cellule que Khélif qui va l'endoctriner et l'initier à une pratique religieuse fondée sur le rejet de l'autre. Khaled Kelkal rejoint rapidement la légion des soldats de la foi prêts à en découdre avec tous les mécréants qui peuplent la terre. Bénéficiant d'une remise de peine pour bonne conduite, il retrouve Khélif qui lui facilite l'enrôlement dans la cellule terroriste de Lyon. Les attentats en France, en exploitant le désœuvrement et l'absence de repères des jeunes de banlieues, aideront à donner un second souffle aux maquis intégristes défaits en Algérie.
Il évoque aussi une autre personne qui a compté dans sa vie : sa femme, Linda, qu'il décrit comme le diable incarné. Il l'accuse même d'avoir tout fait pour le séduire afin qu'elle l'épouse alors qu'elle n'aurait été qu'une fille de petite vertu : «Linda était de cette qualité de femmes qui prolifèrent ici. Je ne les aime pas beaucoup. Ce genre sans opinion suit le troupeau et se fond dans le milieu comme un caméléon». Il se débarrasse d'elle et repart en Algérie pour prendre le pouls de son pays natal. Son séjour coïncide avec les années noires du terrorisme. Mostaganem et son cousin Faouzi achèvent une bonne fois tous ses espoirs de s'y installer. Faouzi fait tout pour le dissuader et le faire revenir en France.
Le dernier épisode de sa vie va se jouer sur l'échec de l'attentat à la bombe qu'il a posée sur la ligne TGV Lyon-Paris. La bonbonne de gaz n' explose pas au passage du train. La police scientifique entre en scène et retrouve sa trace grâce aux empreintes digitales. Sentant le danger, il s'enfuit dans les forêts environnantes du Rhône avant d'être abattu sous l''il des caméras de télévision. Avec le récit de cette histoire d'outre-tombe, l'auteur ne cherche à susciter ni émotion ni compassion, mais juste donner à voir une trajectoire terrible et criminelle en faisant éventuellement réfléchir le lecteur sur sa survenance. Salim Bachi a su restituer avec talent tous les avatars d'une vie tumultueuse et tragique.
*Salim Bachi. «Moi, Khaled Kelkal», Ed. Grasset, Paris, 2012.


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