Algérie - Azazga

Mohand Harrache, Écrivain, à L’Expression «Je parle du courage et de la résistance des Algériens»



Mohand Harrache, Écrivain, à L’Expression «Je parle du courage et de la résistance des Algériens»
Publié le 02.09.2023 dans le Quotidien l’Expression
Par Aomar mohellebi

L'Expression: Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?

Mohand Harrache: Je suis né en 1969 dans un village de la commune d'Azazga (Tizi Ouzou). Après des études d'ingénieur à l'université «Mouloud Mammeri» de Tizi Ouzou, mes deux années du Service national et quelques années sans un travail stable, j'ai quitté l'Algérie en 2001 pour m'installer en France.

Vous êtes ingénieur et en même temps, un amoureux des lettres. Comment, d'après vous, peut-on concilier deux domaines complètement différents?
Beaucoup d'écrivains ne viennent pas du milieu littéraire. On n'a pas à concilier les deux domaines car pour moi, ils ne sont ni contradictoires ni incompatibles. Je considère qu'être amoureux des lettres, c'est comme être amoureux de la musique par exemple. Lire et écrire est un monde accessible à tous et pour cela, il suffit de l'aimer et de prendre du plaisir. On peut être médecin, ingénieur ou astronaute et écrire des romans.

À quand remontent vos tout premiers écrits?
J'ai toujours aimé manipuler les mots et jouer avec leurs sous-entendus. Dès mon adolescence, j'écrivais pour moi et pour le plaisir des petits billets sur tout ce qui me passait par la tête. Puis à la fin de mes études, au début des années 90, j'ai commencé à écrire des textes plus longs dont quelques-uns ont été publiés dans le journal «Le Matin». Ces derniers étaient plus dans la réaction à une situation ou à une décision prise comme celle d'arabiser l'école.

«La rose et la tempête», est votre premier roman, il paraît aux éditions «Talsa». Pouvez-vous nous dire comment est née l'idée d'écrire ce roman?
Écrire un roman dont l'histoire s'est déroulée pendant la décennie noire était une évidence pour moi. Je voulais que les prochaines générations sachent que notre pays a traversé l'une des périodes les plus difficiles de son histoire et qu'il s'en est sorti grâce à ses enfants. Je sais que les historiens allaient écrire sur cette période mais moi, ce qui m'intéressait, c'était la vie et le quotidien des Algériens, leurs idées, leurs rêves, leurs angoisses, leur résistance, leurs contradictions. Je voulais raconter comment ils s'accrochaient à la vie malgré une situation intenable et essayer de comprendre pourquoi la sauvagerie et la terreur ont pu s'installer en Algérie. En plus de cela, ayant vécu cette période comme beaucoup d'Algériens, le sujet s'est imposé tout seul.

Est-ce facile d'écrire un roman sur la période des années 90 en Algérie?
Ce n'est jamais facile de ressasser les moments douloureux mais c'est un mal nécessaire et cela pour deux raisons: la première est que si ce n'est pas nous qui écrivons sur cette période, d'autres le feront à notre place et le feront à leur manière suivant leurs intérêts sans peut- être se soucier de la vérité; la deuxième est que cela nous permettra d'avancer en évitant de commettre les mêmes erreurs.

Selon vous, faut-il beaucoup de recul afin de pouvoir écrire sur cette période de notre histoire?
La lecture ne doit pas être la même selon que le texte est écrit à chaud ou avec du recul. Le recul c'est comme la sagesse, il permet d'être objectif dans l'analyse de la situation en ne se basant pas seulement sur les émotions, les haines et les blessures passées et cela sans pour autant les renier. Il permet aussi de faire certains compromis nécessaires pour avancer ensemble dans le même sens. Pour revenir à votre question, il faut beaucoup de recul pour tirer les enseignements d'une tragédie comme celle vécue par notre pays.

Quels sont les aspects de cette période que vous faites ressortir le plus dans votre roman?
Le courage et la résistance des Algériens qui continuaient à vivre presque normalement malgré tout ce qui s'y passait. Les enfants continuaient à aller à l'école, à jouer au football, les familles en Kabylie, par exemple, à cueillir les olives et les plages étaient toujours fréquentées. J'ai aussi mis en évidence les différentes tendances idéologiques présentes au sein de la société algérienne dont certaines sont inconciliables.
À travers le personnage principal, Karim, j'ai aussi parlé de cette jeunesse qui ne demandait qu'à vivre en paix dans son pays et qui s'était retrouvée dans une situation où rester en vie était un miracle.

En écrivant ce roman sur ces moments difficiles vécus par notre pays, avez-vous voulu également transmettre des messages aux lecteurs?
En parlant de la terreur, je veux que la génération future sache la valeur de la paix dans un pays et fera tout pour la préserver. Je veux que tout le monde prenne conscience que pour préserver la religion des manipulations, elle doit être tenue loin de la politique.
Je souhaite aussi que nous comprenions une bonne fois pour toutes que la violence n'a jamais été et ne sera jamais la solution.

L'écriture de ce roman a-t-elle été une sorte de thérapie pour vous, vous qui aviez 20 ans en 1989?
Je ne dirai pas que c'est une thérapie, c'est plutôt une sorte de témoignage sur cette période.

Comment s'est effectuée l'édition de votre roman aux éditions «Talsa» de Tizi Ouzou, est-ce que ça a été facile, connaissant les difficultés inhérentes à l'édition de livres de manière générale?
Ce livre, même s'il s'adresse à tout le monde, est surtout destiné aux Algériens. Après avoir récupéré mes droits, je cherchais un éditeur en Algérie et «Talsa» éditions, un écrit correspondant à sa ligne éditoriale. Il se trouve que l'équipe de «Talsa» avait déjà lu mon roman qui lui a plu. Donc tout s'est passé d'une façon simple et nous sommes tombés d'accord assez rapidement. Je profite de cette occasion pour remercier toute l'équipe de «Talsa» éditions pour son professionnalisme et sa disponibilité. C'est une équipe qui travaille avec passion et qui croit en ce qu'elle fait. Je lui souhaite tout le succès.

Pouvez-vous nous parler de votre deuxième roman, intitulé: «Quand les autres s'en mêlent»?
C'est l'histoire d'un être d'une planète lointaine qui vient sur terre pour apprendre davantage sur ses habitants bizarres et compliqués. Il découvre donc ce que nous sommes avec nos guerres, nos injustices, nos inégalités, nos sentiments... On peut dire que c'est un livre de science-fiction qui garde les pieds sur terre.

Quels sont les écrivains universels qui vous ont le plus marqué?
Mes lectures sont variées et mes choix ne sont pas spécialement conditionnés par la notoriété de l'écrivain. Mes lectures peuvent aller de Paulo Coelho à Nora Roberts, de Yasmina Khadra à Guillaume Musso, de Fred Vargas à Agatha Christie...

Quel est le romancier algérien qui vous a le plus marqué, voire inspiré?
«La terre et le sang» de Mouloud Feraoun est l'un des premiers romans que j'ai lus. J'étais impressionné par sa description de la société kabyle de l'époque. Il l'avait fait avec une grande fidélité et sans complaisance.

Que pensez-vous de la jeune littérature algérienne de ces vingt dernières années?
Chaque livre paru a le mérite d'exister. Chaque livre paru est une lumière qui reprend un peu d'espace à l'obscurité. Je préfère voir l'avenir du domaine littéraire en Algérie avec optimisme. Je profite de cette occasion pour lancer un appel aux maires afin que chaque ville ait sa bibliothèque et son salon littéraire.
Aomar MOHELLEBI



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