Algérie

Mohamed Yacine. Spécialiste employabilité et entrepreneuriat : «La tendance à la hausse du chômage des jeunes universitaires dure depuis 15 ans»



De l'avis de Mohamed Yacine, consultant OIT et spécialiste en employabilité et entrepreneuriat, il y a une tendance à la hausse de jeunes universitaires et diplômés de la Formation et enseignement professionnels (FEP) sans emploi, et cette tendance dure depuis une dizaine d'années déjà.
-Selon le dernier rapport de l'Organisation internationale du travail (OIT), il y a une tendance à la hausse du nombre de jeunes non scolarisés, sans emploi ni formation. C'est le cas aussi en Algérie ; comment expliquer cette hausse à votre avis '
Si on considère les jeunes non scolarisés, ce sont ceux de niveaux pouvant intégrer les lycées, les centres de formation et enseignement professionnel plus les universités, je pourrai vous répondre surtout concernant les universitaires sans emploi, et de moindre mesure les élèves de la formation et enseignement professionnels (FEP), puisque mes travaux au niveau de l'OIT et même d'autres recherches sont dans ces deux cadres respectifs.
Il y a une tendance à la hausse de jeunes universitaires et diplômés de FEP sans emploi, et cette tendance dure depuis une dizaine d'années déjà, en effet, cela pourrait s'expliquer d'une manière générale par la masse importante de diplômés des universités qui entrent chaque année, on parle d'un chiffre tournant autour de 1,5 million d'étudiants entrant chaque année, avec près de 300 000 diplômés qui sont déversés sur le marché de l'emploi chaque fin d'année universitaire également.
Le taux de chômage chez les universitaires avoisine les 18%, et ce chiffre continue d'augmenter si on considère les universitaires non primo-demandeurs d'emplois qui ont été mis au chômage ou en chômage technique, en raison de l'année de perturbation et de stagnation de certains secteurs d'activité, c'est-à-dire emplois directs et indirects, notamment ceux qui dépendent fortement de la commande publique, ou d'autres comme les secteurs de la production ou de montage de produits d'électroménager ou de l'automobile, puisque c'est un constat factuel que nous avons fait sur certains projets avec l'OIT et visant à insérer des diplômés universitaires ayant des promesses de recrutement et qui n'ont finalement pas pu se faire, et on parle d'un pourcentage de 30% de prévisions d'embauche non aboutis, et cela on le rappelle par les effets de perturbation et de stagnation de l'activité socioéconomique qui a surtout généré une méfiance et une attitude d'attente des entreprises quant à certains investissements à faire notamment dans l'intégration de ressources humaines supplémentaires.
-Quels sont les autres facteurs qui confirment ce constat '
L'autre baromètre nécessaire à confirmer ce constat est celui du nombre d'entreprises créées dans le cadre des dispositifs d'aide à la création d'entreprises, notamment l'Ansej, toutefois les chiffres accessibles au niveau de l'Ansej s'arrêtent à l'année 2016, avec 66% des projets financés issus de jeunes de FEP et seulement 18% issus des universitaires, cela conforte le constat dégagé des travaux l'OIT en Algérie que les diplômés universitaires sont plus orientés vers une carrière dans des entreprises que par l'entrepreneuriat.
Bien évidemment, il y a un bon nombre de facteurs qui expliquent cette tendance à la hausse du chômage chez les jeunes, nous n'avons pas le temps de tous les citer, néanmoins il y a un facteur incontournable que nous avons observé dans nos nombreuses missions et travaux sur le terrain depuis plus de 5 ans, ce facteur qui impacte directement le chômage d'une manière générale, mais surtout la vitesse d'absorption des chômeurs, c'est le manque cruel de coordination et collaboration entre les différentes structures chargées de dynamiser et de faciliter l'insertion ou la création d'entreprises, que ce soit au niveau ministériel qu'au niveau local.
Pour finir, il est important de mentionner également le manque de maturité de nos entreprises en termes de vision managériale et de leadership, puisque nous l'avons constaté factuellement sur le terrain, que l'entreprise algérienne, bien évidemment il y a des exceptions, n'accorde pas d'importance au facteur humain comme potentiel de croissance, ce que j'appelle l'économie de la connaissance, puisque la connaissance démarre avant tout de l'humain qui lui-même par la suite la transpose sur les choses tangibles, que ce soit une machine à produire ou une interface de logiciel, et je peux vous dire que le potentiel existe dans certains de nos jeunes.
-Qu'en sera-t-il avec la crise actuelle sur le plan économique '
L'impact de la crise actuelle va forcément accentuer le chômage comme je l'ai déjà expliqué par rapport à la diminution de la commande publique, et la stagnation de certains secteurs d'activité, comme l'automobile, toutefois, je reste optimiste sur le fait que malgré la pression fiscale qui va sans doute s'accentuer sur les entreprises, il n'y aura pas d'autres choix que de miser sur la factrice humaine.
Cela va être encore dur à court terme, mais des solutions existent. C'est mon opinion, la crise actuelle est une opportunité pour s'approprier les vrais sujets, les sujets importants et utiles, le chômage en général pour moi n'est pas le sujet, les vrais sujets sont : comment capitaliser sur les structures existantes d'aide à l'emploi et la création d'entreprises '
Comment ces structures, ministères, universités, Ansej, ANEM, doivent s'organiser pour travailler sur des projets transverses existants ou pilotes à mettre en place pour pouvoir valider d'une manière précise l'efficacité de ces structures et projets, pour après les généraliser ' Comment faire en sorte que les entreprises une fois pour toute investissent et ne dépensent les taxes de 2% des formations dans le développement de leurs compétitives grâce au facteur humain '
-Si l'épidémie du coronavirus perdure, quels seraient les effets sur le monde de l'emploi, notamment en Algérie '
Je ne suis pas un expert dans le domaine de la gestion de crise, toutefois je pense que les effets négatifs de l'épidémie du coronavirus sur l'économie et l'emploi d'une manière générale sont accentués par un surcroît de communication et de médiatisation, et que l'approche de nos autorités est adéquate dans le sens où il y a une réelle volonté de mettre en place des mesures drastiques pour faire face à l'épidémie.
D'un autre côté, la réflexion et l'attention ne doivent jamais être abandonnées ou même temporairement dirigées ailleurs en ce qui concerne le développement de notre économie, je dirai que le nouveau modèle économique qui d'après mon humble avis doit être basé sur l'économie de la connaissance, au sens d'investir sérieusement et méthodiquement dans la capital humain, l'exploitation non seulement rationnelle mais surtout responsable des ressources naturelles de notre pays dans une logique et à travers des actions visant le développement durable et du bien-vivre de nos citoyens actuels et futurs.


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