Algérie

Mohamed-Laïd Chouadria. Avocat, militant humanitaire et président du comité de wilaya du Croissant-Rouge à Souk Ahras: «J’ai vu de la chair humaine déchiquetée et accrochée à des branches d’arbres»





- Dans quel contexte peut-on évoquer les mines antipersonnel en Algérie et particulièrement à Souk Ahras?

La Révolution algérienne plaçait d’un côté un peuple qui refusait le joug du colonialisme et aspirait à son indépendance et d’un autre une autorité conservatrice et expansionniste qui sentait approcher l’heure de la répudiation. Le nombre impressionnant de mines antipersonnel s’inscrivait dans une logique de politique répressive, adoptée par les fanatiques de l’Algérie française. Soit. Nous devons aussi ajouter aux centaines de victimes des explosions de ces engins destructeurs, ces dizaines de personnes mobilisées par la force pour les besoins des lignes Challe et Morice. Plusieurs d’entre eux y ont perdu la vie.

- Au lendemain de l’indépendance, les gens parlaient de séquelles de la guerre de libération pour désigner, entre autres, les personnes mutilées. Qu’en était-il?

Je voudrais d’abord vous mettre dans l’ambiance des premières années de l’indépendance, pour vous dire que nous étions face à une crise humanitaire et un flux inattendu de réfugiés. Tous dans un besoin de prise en charge immédiate. Nous avions des malades, des SDF, des orphelins, des victimes de bombardements, en plus des personnes mutilées par les mines antipersonnel. Les scènes de ces handicapés moteurs, sans prothèse et qui marchaient sur leurs mains nous affligeaient, et c’est grâce aux efforts des organisations humanitaires, dont le Croissant rouge algérien et la Croix-Rouge, que nous avons pu dépasser cette étape. Les séquelles, nous en sommes encore victimes. Si les efforts consentis par nos braves artificiers de l’ANP, qui ont réussi au péril de leur vie à déminer environ 60% des zones affectées, où sont les 40% qui restent?

- Un détachement militaire a été affecté en 2010 à Souk Ahras pour le déminage des zones à haut risque, notamment dans la zone de Oued Echouk…

Un bataillon du Génie militaire est resté plus de 40 ans à Souk Ahras. C’est dire toute l’ampleur du phénomène et le risque permanent dans lequel vit notre population depuis les années 1950. En 1989, j’ai été moi-même témoin d’une scène que je n’arrive pas à effacer de ma mémoire. J’ai vu de mes propres yeux de la chair humaine déchiquetée et accrochée à des branches d’arbres. C’était une bombe antipersonnel qui a fait 5 victimes, tous des enfants.

Abderrahmane Djafri


Mines mouvantes à Ouled Driss et Taoura Le relief accidenté de la région de Ouled Driss, les éboulements dans certaines zones rocailleuses et la nature du sol ont favorisé le déplacement de plusieurs mines vers des endroits non suspectés par la population locale. Il y a cinq ans, des enfants y ont trouvé la mort, à quelques dizaines de mètres de leur maison. Le même phénomène a été signalé dans la région de Taoura et ses zones périphériques, après une découverte, il y a quelques années, de 13 mines non loin d’un établissement scolaire. La fermeture, immédiate, de ce dernier et l’arrivée des artificiers de l’ANP ont évité le pire à l’école. Cette situation a été à l’origine de beaucoup de drames aux premières années de l’indépendance, même en milieu urbain. Ammar Djabourabi, témoin oculaire, a rapporté à El Watan des détails contenus dans cette déclaration : «Souk Ahras, qui était considérée comme zone interdite, avait des limites, durant la Révolution, qui séparaient la ville du reste de la région au niveau de l’actuelle cité Bendada. De l’autre côté des fils barbelés, les habitants d’une agglomération naissante, l’actuelle cité Ahmed Loulou, les cas d’explosion de ces engins étaient fréquents. Je me souviens de deux jeunes gens sortis se promener de ce côté de la ville. L’un fut tué par une bombe et son frère perdit la raison (…). Depuis le temps, plusieurs autres victimes y ont été signalées et c’est, présume-t-on, les mines qui étaient emportées par les pluies qui tuaient le plus.» Notre interlocuteur a parlé aussi de cette période de grande disette, où des dizaines de jeunes organisaient des sorties à la recherche de ces engins mortels, non pas pour assainir la région, mais pour démembrer les mines et récupérer le cuivre qu’ils revendaient ou troquaient contre des produits alimentaires. Le président du comité de wilaya du Croissant rouge algérien, Mohamed Laïd Agouni, a étalé toute l’histoire du drame précolonial et post-colonial de la population de Souk Ahras. Des témoignages inédits sur des enregistrements chocs disent toute la férocité d’une machine de guerre mise en marche pour l’extermination des Algériens. L’adhésion de plusieurs militants humanitaires européens, dont l’emblématique Fischer de la Croix-Rouge et la condamnation explicite des crimes de guerre commis par l’armée française en terre algérienne, illustraient leur prise de position par des photos de personnes mutilées ou déchiquetées par les mines. Le crime était parfait, sa reconnaissance par l’Etat auteur ne l’est pas. Par Abderrahmane Djafri (El Watan.com du dimanche 21 avril 2013).
Akar Qacentina - Constantine, Algérie

24/04/2013 - 92398

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