Algérie

Mohamed Dorbhan, un romancier insolite



Mohamed Dorbhan, un romancier insolite
Nul, comme lui, n'aura réussi à transcender même la mort pour venir nous raconter une vie chargée d'émotion. Neuf jours pour l'inspecteur Salaheddine, que l'on pourrait aussi appeler les neuf vies de l'inspecteur Saladdin, tant Mohamed Dorbhan se confond avec ce personnage historique.
Mohamed Dorbhan a, de sa vie, été un personnage hors pair, attachant, sérieux, artiste et souvent scientifique avisé. Il restera à vie' à mort cet éternel potache à l'humour lucide et à l'ironie au goût acétique. Apre regard sur le monde, ironique appréciation des situations qui faisaient le monde. Mohamed Dorbhan est parti trop tôt, mort dans une explosion absurde. Il était chroniqueur, journaliste, dessinateur talentueux, une sorte d'homme orchestre brillant qui avait la vie comme viatique et l'écriture comme pratique. Il revient de son paradis étrange et de par les limbes évanescentes, le voilà qui vient titiller nos âmes en peine pour nous mener vers une aventure dont seuls les chats et leurs neuf vies peuvent partager le secret. Un roman, un roman posthume pour nous livrer une enquête mystérieuse, dans une ville poussiéreuse et torride qui n'a de cesse d'avoir la peau de ce trivial Salaheddine embourbé dans neuf jours épiques comme les sept plaies d'Egypte que l'auteur décline à la manière des «âm ejjrad» ou «âm ettiffouss» (littéralement l'année des criquets et l'année du typhus). Mohamed Dorbhan, écrivain laborieux, a travaillé longuement sur ce roman qui fait penser aux mille et une années de la nostalgie de Vargas Llosa, il en a travaillé les détails jusqu'à plus soif, écrivant et décrivant jusqu'aux plus fins détails les scènes et les ressorts dramatiques. Mohamed Dorbhan dont c'est le premier et le dernier roman, semble avoir tout dit dans cet opus. Il situe la trame dans une ville qui ressemble étrangement à Alger, avec une somme de scènes qui illustrent un vécu historique aussi flamboyant qu'éteint par l'amnésie. Son personnage est une sorte d'anti-héros fatigué, usé par son mariage avec une harpie suspectée de le tromper, suite à la découverte d'un ticket vert dans un endroit incongru. Nous sommes à l'orée des années 1990, la première révolution de novembre s'est faite, la deuxième de 1988 est encore fraîche dans les mémoires. Salaheddine est embourbé dans une curieuse enquête autour du vol mystérieux d'un autobus, la référence au néo-réalisme italien n'est pas étrangère à ce traitement littéraire. L'inspecteur suit ses instincts en scrutant sa ville, triturant ses artères comme un médecin légiste ; guettant le détail pour trouver l'issue à cette intrigue insolite. Tout cela, sous le joug d'un commissaire apparatchik trop enclin à plaire au pouvoir occulte qui dirige cet étrange pays de cocagne. Salaheddine se plaît dans quelques écarts autobiographiques de ce cher disparu qu'est Dorbhan de nous faire inscrire nos noms dans la grande histoire du monde, entre batailles épiques, dont Saladdin et les autres se sont faits les héros. Ce roman touffu et labyrinthique laisse le souffle court par la charge dramatique qui le caractérise. L'atmosphère y est torride, l'écriture est lancinante, souvent limpide, mais entrecroisée, comme des lianes de cette impénétrable Amazonie. Mohamed Dorbhan se permet un luxe de détails entre la double intrigue de savoir si sa femme l'a trompé ; et de dénouer ce fil rouge d'un vol d'autobus que l'on ne sait même pas s'il est avéré. L'écrivain s'est fait aussi le plaisir de nous décliner son art sur neuf chapitres envoûtants. Le jour du commencement, le jour du soupçon ; le jour du fléau ; le jour du doute, le jour du désarroi, le jour du chiffre, le jour du jasmin, le jour du meurtre, le jour du miracle' tous ces chapitres laissent pantois par tant de force. L'inspecteur se repose entre les seins de la belle Aïcha, au parfum de cannelle et aux tatouages si explicites. Il trouve dans son affection le remède à ses doutes tortueux et à ses craintes de voir cette ville aussi adorée qu'honnie se déliter dans un nuage de mouches venues de nulle part. Entre mystères obscurs et amours interdits sur fond de mutations monstrueuses, on se laisse guider par la main rude de cet écrivain posthume qui dépasse la mort même pour nous raconter une vie trépidante dans une ville jamais soumise, le style est riche en images. Les incursions dans la grande histoire sont fabuleuses, Mohamed a su transmettre son amour pour les grandes batailles héroïques et les envolées lyriques des poètes comme Benmessyeb, Bentriki ou Benkerriou. L'écrivain a ainsi décliné son art de la narration dans un dernier élan généreux. Jusqu'à l'aboutissement final, inattendu et passionnant, le livre se déroule comme un magnifique manuscrit aux multiples facettes, il reste d'une lecture agréable avec ce mystère qui fait que, lorsque l'on prend ce livre en main, une sensation mystérieuse nous prend. En effet, si l'on regarde du côté gauche, une sorte de vide émerge par la note de noir qui illustre la couverture, un roman de plus dans cet inextricable jardin de mots. «Les neufs jours de l'inspecteur Salaheddine», prendra sa place dans le panthéon de ces personnages illustres qu'ont été Djaout et les autres, mais Mohamed Dorbhan grâce à son talent ultime et grâce à l'amitié de A. Dahou qui a relu et édité ce roman posthume prend une place particulière dans cette formidable scène littéraire algérienne. Paru aux éditions Arak, le livre est disponible dans toutes les bonnes librairies. Plus qu'un bon polar au style efficace et pointu, ce roman est un plaidoyer pour l'amour contrarié, dédié à toute cette histoire féconde qui, aujourd'hui, fait que ce que nous sommes, nous l'assumons. Mohamed Dorbhan a longuement travaillé ce livre, par delà la mort, il nous a offert un cadeau précieux, celui d'une intimité qui ne démentira jamais son sens de l'éthique. Son roman est à lire d'une traite, cul sec' Les neuf jours de l'inspecteur Salaheddine, roman posthume de Mohamed Dorbhan, paru chez Arak Editions, Alger, 2011.


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