Algérie - El Kantara

Mohamed Cherif Kheiredine L'ultime hommage au chirugien maquisard



Par Rachid Feloussi et Farouk Zahi
El Kantara,(wilaya de Biskra) vendredi 27 février 2015. A l'heure de la prière du Dhor, et sous un ciel lourd et menaçant, des policiers s'affairent à canaliser une dense et inhabituelle circulation au 'Village Rouge', l’ancêtre de l’agglomération urbaine actuelle, ainsi appelé pour la couleur de son sol et de ses habitations. Les mégaphones des mosquées, ajoutaient à la gravité du moment, une note, à la fois de tristesse et de recueillement. La foule dense était dans l’attente de l’inhumation d’un des meilleurs fils de la localité en l’occurrence, l’ex commandant de l’ALN Mohamed Chérif Kheiredine dit Si Chérif, décédé à l’âge de 85 ans des suites d’une longue maladie.

Venus des quatre coins du pays et en dépit des morsures du temps, ses anciens compagnons d’armes ont tenu presque tous, à assister à l’adieu solennel du « T’bib », père fondateur des services de santé de la wilaya VI historique. Ne pouvant accueillir autant de fidèles, la petite mosquée du quartier se vit adjoindre par le voisinage des espaces attenants augmentant ainsi les capacités d’accueil de celle ci



Dans la clairière du village et non loin de la maison du défunt et du cimetière qui allait l'accueillir, des Moudjahidine se rappellent l'homme, le responsable, ses prouesses et les 'miracles' de ses interventions chirurgicales et ses remèdes réalisés en plein maquis. La rencontre entre Moudjahidines qui ne se sont pas vus depuis des années a créé une ambiance irréelle où l’émotion se lisait sur les visages burinés par le temps.



Parmi les figures emblématiques présentes, on reconnait si Tayeb Melkmi, un

'novembriste' qui a servi sous les ordres de Si Cherif dans la zone sud des Aurès, Bachir Zaghez, Belkacem Didiche et de nombreux compagnons de la lutte armée tels que Si Tahar Laadjel et bien d’autres encore.

En homme de consensus, le Commandant Si Cherif qui a gagné la confiance du colonel Si El Houes qui l'a nommé à la tête du service sanitaire embryonnaire de l’ALN était, aussi, l'homme que le colonel Mohamed Chabani, a choisi pour transmettre ses dernières volontés avant son exécution et sans appel à la prison d’Oran où il était son codétenu, il réunit, aujourd’hui autour de sa dépouille mortelle tant d’hommes que l’adversité a parfois séparés.



Said Abadou, Secrétaire Général de l'Organisation Nationale des Moudjahidine,(ONM) en prononçant son oraison funèbre, rappellera les étapes de la vie du « T’bib » de la Wilaya VI ainsi que les différentes missions, brillamment accomplies aussi bien dans les rangs de l'héroïque Armée de Libération Nationale que dans les institutions de l’Etat en qualité de directeur d’hôpital respectivement à Bou Saada et à Khemis Miliana après le recouvrement de la souveraineté nationale.

Un documentaire d’anthologie diffusé par la télévision nationale, il y a de cela 3 ou 4 ans revient sur l’épopée de ces hommes, sachant à peine lire et écrire, braver tous les dangers et mettre sur pied des services médicaux de guerre, non conventionnels, mais dont les résultats participaient plus du miracle que d’une technicité avérée. Issu d’une modeste famille traditionnaliste Mohamed Chérif Kheiredine est né un 15 avril 1930. Enfant, il apprit les premiers rudiments de l’enseignement de la langue arabe et du Coran à l’école de El Hadi Bouraya de l’Association des Ouléma algériens pour rejoindre ensuite l’école coloniale entre 1936 et 1942.

L‘éveil nationaliste lui vint ensuite par son intégration dans les Scouts musulmans algériens de récente création. Adolescent, il ne reste pas insensible au pogrom de mai 1945 qui a endeuillé le pays occupé. Recruté comme garçon de salle à l’hôpital Lavigerie de Biskra tenu, à l’époque, par les sœurs blanches, il s’essaie au métier d’infirmier, il y demeurera pendant une dizaine d’année entre le service de chirurgie et le bloc opératoire. Son esprit vif lui permettra vite, d’assimiler les techniques opératoires dispensées par les deux chirurgiens coloniaux. Aguerri et le cœur bien accroché, il décide de rejoindre ses frères d’infortune dans leur combat libérateur et c’est ainsi qu’il atterrit en mars 1956 au Djebel Méharga au sud- est de Bou Saada où Si Ahmed Ben Abderrezak (Colonel Si El Haouès), le charge d’organiser le service de santé dans le maquis. Ainsi commence l’épique aventure de cet homme d’exception que rien, apparemment, ne destinait à cette lourde tâche. Le trait de génie du chirurgien-maquisard a été, sans nul doute, la création d’unités sanitaires mobiles au plus près des katibates (unités combattantes) et trois hôpitaux pour les quatre zones que comptait la wilaya. El Zaâfrania, tel était le nom du documentaire, est un pic montagneux boisé du massif de Messaad au sud de Bou Saada qui a toujours abrité l’Etat major de la wilaya VI, était le centre d’un véritable réseau sanitaire où l’administration et la formation allaient de paire. Si Chérif se rappelle de ces moments difficiles et intenables où le napalm faisait son entrée dévastatrice. Lui, qui ne recevait que quelques blessés par balle ou fragments d’obus recevait d’un seul tenant jusquà 40 brulés, tous, aussi atteints les que les autres. Ne disposant souvent pas d’onguent suffisant et de désinfectant, il recourrait au badigeonnage à l’huile d’olive et à l’aspersion des larges parties brulées par du mercurochrome à l’aide d’une pompe à insecticide. A la guerre comme à la guerre ! Comme le dit si bien l’adage. Dans des conditions d’asepsie approximative, des amputations de membres ont, miraculeusement, soustrait à la mort de nombreux grands blessés dont certains ont survécus bien longtemps après l’indépendance. Le commandant Si Chérif et ses pairs à qui va toute notre gratitude, ont été, sans aucun doute, les fondateurs du système de santé de l’Etat national ressuscité après sa longue nuit coloniale. .

08 mars 2015


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