Algérie

Mohamed Benhalima lanceur d'alertes algérien assigné à résidence



BILLET DE BLOG 1 FEVR. 2022
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Mohamed Benhalima, militaire algérien dissident de 32 ans, a été placé en garde à vue, jeudi 28 janvier 2022 et ce pendant 24 heures. Il était demandeur d'asile en Espagne. Pour ne pas être, comme le gendarme Mohamed Abdallah, remis aux autorités algériennes, il est venu en France. Il a su protéger ses sources lors de sa garde à vue qui s'est achevée par une assignation à résidence.
kbenniniAbonné.e de Mediapart
Mohamed Benhalima, un avant et un après la garde à vue © Benhalima
Mohamed Benhalima, lanceur d'alertes algérien, aura réussi au terme d'une garde à vue de 24 heures à ne pas céder, à l'image de Amir DZ avant lui en décembre 2019 aux tentatives d'accès à ses données. Il n'aura pas permis que l'on prenne connaissance du contenu de son carnet d'adresses et de ses échanges et aura su protéger ses sources, malgré toutes les difficultés et les pressions exercées sur lui par les policiers avec plus ou moins de subtilité lors de sa garde à vue. Nul n'est censé ignorer la Loi, mais le jeune militaire dissident Benhalima a semblé bien connaître ses droits au commissariat de Saint-Ouen. Le militaire devenu cyberactiviste a vécu, à son insu, l'expérience dont on parle dans les livres sur les méthodes policières d'interrogatoire et que l'on voit si souvent dans les séries policières, celles du « Good cop/Bad cop », littéralement méchant/ gentil flic.
L'affaire de cet opposant politique dépasse les limites du contrôle d'identité dicté par le seul hasard, puisqu'en Algérie le Hirak, important mouvement populaire, brouille les radars d'une oligarchie militaire moribonde. Le Hirak connait certes soubresauts et périodes de latence, à cause d'une répression intensifiée et désinhibée par les conditions dictées par la Covid-19. Cependant, sa force de nuisance reste importante pour le pouvoir en place, en raison des relais militants dans la diaspora algérienne. Les cyber-opposants, sont pour eux des influenceurs de masse, des empêcheurs de tourner en rond que le Régime d'Alger entend désamorcer au prix d'une diabolisation et de mandats d'arrêts internationaux, tel est le cas de Mohamed Benhalima.
Le militaire dissident algérien de 32 ans, a été appréhendé et placé en garde à vue, jeudi 28 janvier 2022 en fin de journée, alors qu'il venait, après une consultation dans un hôpital parisien, de s'installer dans un restaurant de Kebabs. Les policiers en treillis n'ont même pas remarqué que le restaurateur ne portait pas de masque, ils ont tout de suite demandé à Mohamed de retirer ses mains de ses poches, d'ôter sa capuche et de leur présenter des pièces d'identité. L'ancien adjudant-chef de l'Armée algérienne leur a tout de suite présenté son pass sanitaire et sur son téléphone une photo de son récépissé de demandeur d'asile en France. En sortant du restaurant, il a rapidement été arrêté par deux individus en civil qui lui ont demandé ses documents, il leur a présenté le récépissé sur lequel apparaissait le numéro de son dossier OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Voyant que cela ne leur suffirait pas, il leur a donné son permis de conduire. L'un des deux hommes a dit que c'était un faux document et a annoncé à Mohamed Benhalima qu'il allait devoir les suivre au commissariat de Police de Saint-Ouen. Le jeune opposant politique a alors déclaré vouloir voir leur badge de policier, ils ne lui on rien montré d'autre qu'un brassard estampillé « Police », avant de l'embarquer dans une voiture banalisée.
Mohamed Benhalima ne s'est assuré qu'il s'agissait de véritables policiers qu'à l'instant où ces derniers ont installé un gyrophare bleu sur le capot du véhicule.
Une fois arrivé au Commissariat de Saint-Ouen, le cyber-activiste a été auditionné et menotté, les vexations étaient au rendez-vous, comme quand l'opposant politique au Régime de la junte algérienne a exprimé avoir des problèmes de santé qui nécessitaient des soins réguliers, et qu'il était à ce moment là en plein malaise. Les policiers se sont montrés goguenards disant que c'était « un commissariat, pas un cabinet médical », ce à quoi Mohamed Benhalima a rétorqué qu'il ne s'attendait pas qu'en France, pays des Droits de l'Homme et des principes de Liberté, Egalité et Fraternité on puisse se moquer ainsi de lui dans un commissariat de la République.
Au moment de venir le chercher, l'officier de police qui allait l'auditionner ce soir là a lancé « Il est où celui des Droits de l'Homme'! ».
Quand le lanceur d'alertes a demandé à contacter ses proches, son téléphone laissé entre ses mains quelques instants lui a été arraché, parce qu'il tentait de composer son code à l'abri des regards. On lui a intimé l'ordre de griffonner le précieux chiffre sur un papier « non, je suis un opposant politique et je dénonce la corruption des dirigeants en Algérie. Dans mon téléphone, Il y a les noms, les coordonnées ainsi que des échanges avec mes sources ». Un policier arabophone lui a lancé, de l'autre bout de la pièce en langue arabe « puisque vous refusez de nous donner le code, ce sera ajouté à votre dossier! ». Du tac au tac, le cyber-opposant a asséné « je ne vous donnerai le code de mon téléphone que dans le cas où un juge statue et vous remet une commission rogatoire! ». Mohamed Benhalima a tendu aux policiers les cartes de visite de deux avocats, récupérées sous la coque de son téléphone, l'officier de police a alors plaisanté en découvrant les noms de ténors du barreau « mais vous êtes un vrai Pablo Escobar vous! ».
Un officier de permanence est arrivé des bureaux à l'étage et a demandé de qui il s'agissait, on lui a alors répondu « ce sont les services extérieurs qui nous l'ont amené ».
Cette nuit de garde à vue, point d'avocat, alors que le gardé à vue ne cessait de le réclamer. Le médecin du commissariat auquel il a fini par être présenté a déclaré au lanceur d'alertes « ici vous avez une marge de liberté, vous pouvez tout me dire » avant d'ajouter « mais ce serait bien si vous leur donniez le code de votre téléphone, vous savez, pour les médicaments? ». Le militaire dissident s'est vite rebiffé, puis abattu il a répondu « c'est bon merci, ne me soignez pas! ». Après une trentaine de minute passée dans le dortoir équipé des mineurs, le prévenu a été conduit pour la nuit en isolement, dans une cellule truffée de caméras bien visibles, mais sans toilettes ni lit. Il a dû dormir à même le ciment, avec pour seule couverture sa veste sans n'avoir pu prévenir personne.
Après des heures éprouvantes face à ce que l'on appelle dans les séries policières « Bad cop », c'est à dire le méchant flic, le lanceur d'alertes a été auditionné par l'archétype du « Good cop », le gentil flic?
Prévenant et servant lui-même les verres d'eau que la gorge asséchée par le stress et la fatigue de Mohamed Benhalima nécessitait, l'officier de police de ce nouveau jour n'avait rien à voir avec ses collègues de la veille. Attentif à l'histoire de vie du cybermilitant et demandeur d'asile, l'officier de police a recueilli avec une bienveillance manifeste les détails d'un gardé à vue qui, comme par magie, n'était plus considéré comme un dangereux personnage ou un banal voyou. Le policier a saisi ses dires et l'a interrogé comme le militant pour un Etat de Droit qu'il est, un militaire qui a mis sa vie en péril pour dénoncer le Régime de l'oligarchie de la junte en Algérie. Un policier présent dans le bureau a dit « nous n'avons jamais vu quelqu'un comme vous, vous êtes resté calme, vous n'avez pas crié ni posé le moindre problème »?
Le cyber-opposant a répondu qu'il était pacifique et que son seul but était de combattre le Régime militaire en Algérie, pas de se disputer ou de donner du fil à retordre à des policiers dans un commissariat en France.
Une avocate commise d'office lui a enfin été désignée le deuxième jour, alors que l'un de ses avocats attitrés et qui connaissait son dossier attendait à l'extérieur. La veille, ceux qui tenaient le rôle classique des « Bad cops » ne lui avaient fait signer aucun papier ni n'avaient accédé à sa demande d'appeler un proche et un avocat. À la fin de la journée du vendredi 29 janvier 2022, une assignation à résidence lui a été notifiée, au terme des 24 heures de garde à vue prévues par la Loi. Parmi l'une de nos sources, un expert qui nous a expliqué que cela ne se faisait qu'en présence « de cas très lourds » et que le compte à rebours pour formuler un recours auprès de la Cour nationale du droit d'asile CNDA avait démarré, dès la notification de l'assignation à résidence. Une mission bien compliquée pour les avocats, puisque la notification a été prononcée une veille de weekend, alors que le délai d'un tel recours s'achève après 70 heures, soit lundi matin après deux jours non ouvrés plus neuf heures.
Tout comme le gendarme dissident et lanceur d'alertes Mohamed Abdallah, expulsé en août dernier par l'Espagne vers l'Algérie où il subit la torture en prison, le cybermilitant est passible de la Cour martiale, la perpétuité et même la peine de mort. Mohamed Benhalima et Mohamed Abdallah étaient devenus amis dans leur exil espagnol, ils dénonçaient la corruption et sont devenus, à l'instar de Amir DZ et Mohamed Larbi Zitout, la bête noire du Régime des généraux algériens. Ces cyber-opposants et quelques autres réunissent un public massif et divulguent des affaires d'Etat, provoquent des arrestations et font éclater des scandales relatifs aux plus hauts gradés de l'Armée, ainsi qu'aux hommes politiques les plus puissants.
Dès l'annonce de sa mise en garde à vue, le cyber espace algérien était en émoi, personne ne savait où il se trouvait, jusqu'au lendemain, quand un avocate commise d'office lui a été présentée.
Le diplomate algérien dissident réfugié à Londres, Mohamed Larbi Zitout, lui a consacré un live, quand personne ne savait encore s'il se trouvait dans un CRA (centre de rétention administrative) ou un commissariat de police. À sa sortie, Mohamed Benhalima a relaté les faits, lors du live de ML Zitout de vendredi 29 janvier, en soulignant avec sa naïveté toute juvénile mais les trais tirés par l'effroi, les conditions de sa garde à vue qui n'étaient pas à proprement parler irréprochables. Le jeune homme ne semblait pas connaitre, au travers de ses dires, la structure bien rodée du Good cop and Bad cop qui était bien reconnaissable, si l'on en juge par les moqueries de la veille, le refus de le laisser appeler des proches ni même son avocat le premier jour, les conditions déplorables de son installation pour la nuit, sans parler du médecin « prescripteur » de l'ouverture du smartphone aux policiers. Avant de quitter le commissariat de Saint-Ouen, Mohamed Benhalima a été raccompagné jusqu'à la porte pas « l'officier libérateur », le Good cop. Après une chaleureuse poignée de mains, les deux hommes ont échangé quelques amabilités « merci, vous êtes un vrai policier professionnel, vous avez été très respectueux envers moi, je vous tire mon chapeau? », et le Good cop de répondre avec un large sourire, « mais c'est normal, à bientôt! ».
Mohamed Benhalima assigné à résidence, devra se présenter tous les deux jours au poste de Police pour une signature. À chaque fois, il craindra de se faire cueillir comme Mohamed Abdallah le gendarme dissident qui a été livré en août 2021 par l'Espagne aux geôliers des prisons militaires algériennes, soumis à la torture et à l'oubli.
Yasmina-Karima Bennini


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