Les réformes engagées il y a plus de
vingt ans en Algérie et dans les autres pays du Maghreb produisent des impasses
sociales et des crises politiques majeures. Mohamed Bahloul, économiste,
directeur de l'IDRH à Oran, identifie, avec beaucoup de clairvoyance, les
obstacles sur lesquels a buté l'ouverture de marché en Algérie et au Maghreb.
L'échec est colossal.
Tout en sachant que c'est un phénomène
devenu caractéristique de la société algérienne, est-ce que, néanmoins, cette
vague d'émeutes qui secoue le pays vous a surpris ?
C'est un mouvement social qui était prévisible. Plusieurs
analystes et observateurs ont pointé du doigt les menaces et les dangers qui
pèsent sur la situation sociale globale dans le pays, il y a déjà plus de 2 ou 3
ans. Les signes avant-coureurs de ce mouvement social s'exprimaient déjà avec
des micro-émeutes ou bien des émeutes de basse intensité, localisées dans des
endroits et régions différentes du pays. Ce mouvement social exprime une colère
et un ras-le-bol général dont l'issue n'est pas connue. Je ne pense pas que
l'issue de ce mouvement puisse être perçue par un quelconque analyste. La
situation évolue très vite.
On a pu faire le parallèle et la
similitude avec le soulèvement en Tunisie, comme si c'était une sorte d'enchaînement.
Est-ce que vous êtes de cet avis ?
Je pense qu'on peut faire le parallèle sur un point précis. A
savoir l'échec des réformes économiques et sociales dans l'espace maghrébin, de
manière générale et, au-delà, on peut y ajouter l'Egypte en intégrant l'Afrique
du Nord. Il est regrettable de remarquer que, sur ces 20 dernières années, tout
le travail d'investissement sur le changeant n'ait pas donné de résultats
escomptés. Ce qui est très important, c'est que, y compris la Tunisie, qui a
plus ou moins réussi sur le plan économique, se trouve aujourd'hui confrontée à
des mouvements de rue. Ce qui montre qu'il y a trois types de problèmes communs
aux pays maghrébins. :
Le premier c'est le chômage. Et ce n'est pas le taux de chômage
qui est alarmant. C'est la composition sociologique de celui-ci. C'est un
chômage de jeunes, instruits, généralement diplômés issus et localisés en
milieu urbain. Donc le chômeur maghrébin est un chômeur jeune, instruit et
urbain. Ce qui concentre et ramasse un potentiel de contestation et de
revendication extrêmement important. Donc c'est la composition sociologique du
chômage et la nature du chômeur qui posent problème. Et non le taux sur lequel
souvent on insiste. C'est cette composante sociologique qui présente un mélange
détonant et n'a jamais été traitée, que ce soit en Algérie, au Maroc, en
Tunisie ou même en Egypte.
Le deuxième problème est la question de la répartition des
revenus. La libération des forces du marché dans ces pays a donné lieu à une
répartition très inégalitaire des richesses et des revenus. On assiste beaucoup
plus à des logiques d'enrichissement que de création de richesses, des logiques
de précarisation que de stabilisation et d'intégration, d'inclusion, notamment
des jeunes et des forces sociales qui ont émergé à la faveur des réformes
économiques.
Le troisième point concerne surtout le mode de gouvernance. C'est
un mode de gouvernance excluant, désintégrant, même s'il essaie de financer la
paix sociale. On remarque que, plus on avance dans les réformes et l'économie,
il y a une désintégration du tissu social, une destruction des liens sociaux,
des formes de cohésion sociale. Les réformes économiques dans les pays du
Maghreb n'ont pas été travaillées par des échafaudages et une architecture de
mise en cohésion des forces économiques et sociales. Ce qui s'est fait dans des
pays émergents comme la Chine, l'Inde et surtout le Brésil. Plus on réforme,
plus on donne aux dynamiques économiques concurrentielles de la place et de
l'espace, plus on fabrique de la cohésion. Et cela pose le problème de la
formation d'un Etat capable de fabriquer des institutions qui régulent et
encadrent le marché. Là, on a échoué totalement, y compris en Tunisie.
En quoi la particularité du profil du
chômeur maghrébin aurait-elle des incidences sur le soulèvement que nous vivons
?
Comme je l'ai dit, le profil du chômeur
qui fonctionne actuellement est celui d'un type jeune, diplômé et urbain qui
concentre une culture et un esprit de contestation important. Ses besoins de
base en alimentation, en logement, en emploi, en revenu, sont importants. Mais
aussi ses besoins radicaux en termes de liberté d'expression, d'association,
d'organisation, de loisirs, etc…, le sont également. On n'a pas su répondre à
ces besoins jusqu'à présent.
Si vous permettez, il faudrait remonter à
assez loin, au moment où les réformes dont vous parlez ont commencé à être
mises en Å“uvre – dans les années 80 pour l'Algérie, il ne s'est pas trouvé de
voix ou si peu pour émettre des réserves et entrevoir les conséquences néfastes
possibles. Les élites locales n'ont-elles pas leur part de responsabilité ?
Je crois qu'il serait juste de dire qu'il
y avait des voix minoritaires pour mettre en garde contre les libéralisations
sauvages, contre la libération des dynamiques concurrentielles sans dessein et
sans régulation. J'étais parmi ces quelques économistes qui ont beaucoup
insisté sur la nécessité de construire l'espace de l'Etat qui, tout en
construisant l'espace du marché, régule et ne laisse pas tomber ses missions
régaliennes. Il n'y a pas de réformes du marché sans réforme de l'Etat parce
que, tout simplement, le marché, c'est un ensemble de règles et d'instituions.
Et lorsqu'on laisse des agents économiques fabriquer eux-mêmes des règles,
comme cela s'est fait ces derniers temps en Algérie, particulièrement, c'est
l'anarchie, le chaos. Sans l'Etat, le marché ne peut pas fonctionner, dans tous
les pays, y compris dans le capitalisme historique.
Vous voulez dire qu'en Algérie le marché
a élargi son territoire sans que l'Etat ne balise le sien ?
Nous, nous avons emprunté la voie du
consensus de Washington. C'est-à-dire le tout-marché après avoir fait le
tout-Etat. Ce qui veut dire qu'on n'a pas su trouver les équilibres
nécessaires. Tout le génie des réformateurs qui ont réussi c'est d'avoir su trouver
cet équilibre entre l'action des forces du marché et celle de l'Etat.
Une chose sur laquelle j'insiste : ce
n'est pas uniquement «la main invisible» du marché qu'il fallait faire
fonctionner, mais aussi «la main visible». La régulation, c'est la poignée de
main entre «la main invisible» du marché et «la main visible» de l'Etat. On n'a
pas su trouver cet ajustement nécessaire.
C'est un optimum pour fonder, à la fois,
les équilibres économiques et sociaux qu'on n'a pas su faire. C'est toute une
approche qui a fait défaut, en termes de savoir-faire, d'ingénierie mais aussi
de vision politique et économique dans notre pays et l'espace maghrébin. Parce
qu'il n'y a pas un mais des libéralismes. Celui qui s'est développé en Russie
n'est pas le même qui s'est développé en Chine, en Inde, au Brésil, en Algérie
ou au Maroc. Il y a donc des démarches et des stratégies différentes à mettre
en place.
Est-ce que vous pensez qu'il n'y a que
des paramètres économiques qui expliquent ces émeutes ?
Pas du tout. L'économie est politique et
particulièrement lorsqu'on est dans une période de changement institutionnel et
structurelle de l'économie A chaque fois qu'on engage des réformes, il faut
développer une stratégie de communication et d'institutionnalisation des conflits
qui naissent. Tout changement est porteur de conflits parce qu'il met fin à des
intérêts et en fait naître d'autres. La meilleure manière est, au moment de la
mise Å“uvre des réformes, de fabriquer des institutions pour réguler ces
conflits. Plus qu'une crise politique, nous vivons une crise du politique. Ce
qui est remarquable dans les pays maghrébins, c'est le fait que les dynamiques
de changements sont porteuses d'exclusion d'une frange importante et sensible
de la population, à savoir les jeunes et ceux issus du milieu urbain. C'est
pourquoi ces derniers versent dans le désespoir, le pessimisme voire le
nihilisme. C'est ce qu'expriment les formes de contestation auxquelles nous
assistons aujourd'hui.
Vous avuez participer à l'élaboration
d'un vaste projet de relance à moyen et long terme de l'économie algérienne.
Serait-il tombé à l'eau ?
Il est en stand-by. Il concerne la
stratégie industrielle et a pour objectif justement de relancer l'économie
nationale sur des bases sûres et durables. C'est-à-dire en réindustrialisant le
pays et en faisant appuyer la création d'emplois durables sur l'industrie et
les services et non pas sur l'économie informelle ou sur les investissements
publics tirés par le budget qui sont, malgré toute leur importance en terme
d'effet d'impact sur la vie des gens, inefficaces en matière de création
d'entreprises et d'emplois durables. La problématique fondamentale est de
fonder une nation manufacturière qui crée de l'emploi et répartit des revenus
équitablement. Et se met en situation de compétitivité par rapport aux autres
nations, dans un marché mondial de plus en plus ouvert et dur sur un plan
concurrentiel.
Est-ce que vous pensez que ça été une
erreur de la part des pouvoirs publics d'avoir brutalement intervenu par la
taxation sur le marché des produits de première nécessité ?
Il faut faire la part des choses. Nous
assistons à un grand retour de l'Etat pour récupérer ses périmètres de mission
régalienne. Et il a échoué à intervenir dans la régulation des marchés, dans la
restructuration de l'économie, notamment dans son poumon le plus nocif, à
savoir l'économie informelle. L'ensemble des mesures prises, y compris celle
d'utiliser le chèque à concurrence de 500 000 da, étaient destinées à affirmer
le retour de l'Etat. Sans lesquelles un marché productif ne peut se mettre en
place. C'est un échec total. Il faut revoir les choses de manière globale.
L'économie informelle ne peut pas disparaître par des démarches répressives.
Elle ne peut être réduite qu'à travers des démarches inclusives. Où les forces
économiques doivent trouver un interlocuteur et doivent pouvoir payer le coût
de la légalité, d'accès à celle-ci. C'est quoi un marché informel ? Les gens
qui fuient la légalité le font parceque son coût est élevé. Si on leur donnait
de s'intégrer dans l'économie formelle en payant un coût équitable, on pourrait
réussir le pari.
Il y a ce défi que s'est lancé le
gouvernement actuel de créer 200 000 nouvelles PME en cinq ans. Vous y croyez ?
C'est très difficile. Malgré les discours
optimistes, l'Algérie a aussi échoué dans son ambition de mettre en place un
climat d'affaires et une structure d'incitation qui permet, notamment aux
jeunes de se développer en tant qu'entrepreneurs et de créer des alternatives
en termes de création de PME. Il y a une situation telle que la classe
d'entrepreneurs mise en place n'arrive pas à se développer de manière
compétitive, à cause de déséquilibres concurrentiels importants, entre autres
le marché informel, les ouvertures sauvages, les incitations qui sont de plus
en plus détournées.
Les émeutes pour les grandes villes
algériennes ont démarré d'Oran qu'en est de cette image d'Epinal qui fait
d'Oran la capitale des affaires et du privé ?
Cette image d'Epinal est partie depuis
plusieurs années. Dans le développement économique, Oran a été déclassé. De la
première position elle est passée à la troisième. Avant, à part Alger, Oran
était leader dans la création d'emplois par le secteur privé. Les industries
qui y existaient (textile, plastique, cuir, agroalimentaire) n'ont pas résisté
à l'ouverture du commerce. Dès qu'on a ouvert l'économie, il y a eu une
hécatombe de ces industries avec les emplois.
Mohamed Bahloul est économiste
et analyste. Il est fondateur directeur
de l'Institut de développement
en ressources humaines (IDRH),
établissement privé qui, par ailleurs, organise régulièrement des activités
culturelles et débats qui attirent
des intellectuels oranais.
Bonsoir monsieur ; j’ai bénéficié d’un stage de courte durée en France ; toute les frais son a la charge de mon établissement mais j’ai contacte plusieurs université mais je n’arrive pas à obtenir une lettre d’invitation dans le domaine de GRH.
Si ses possible vous m’aidiez à trouver un lieur parce que je risque de perdre ce stage et même j’ai un avis favorable du visas.
Bien cordialement .merci
Turqui Fatima - Chef de service - université tiaret - Tiaret, Algérie
28/11/2013 - 152170
Bonjour,
Je vois que Monsieur Bahloul est le même narrateur accompli comme il y a six ans, avant que je ne vienne à Montréal.
J'ai un réel besoin de trouver les coordonnées de l'IDRH Oran, j'ai besoin d'un document prouvant que leur attestation de réussite est reconnue par l'État Algérien. J'ai besoin d'une adresse courriel de l'IDRH valide, merci.
farah - Montréal, Canada
27/01/2012 - 26194
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Posté Le : 11/01/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Brahim Hadj Slimane
Source : www.lequotidien-oran.com