Âgé de 22 ans, Mohamed Abdellah vient de signer aux éditions Casbah, à l'occasion du 24e Salon international du livre d'Alger, son troisième roman intitulé Aux portes de Cirta. Dans cet entretien, ce jeune mathématicien à la plume élégante et alerte revient sur certaines grandes lignes de la construction de ce roman historique.
Après deux précédents romans, vous venez de signer votre troisième intitulé Aux portes de Cirta. Un roman historique qui revient sur la lutte entre Syphax et Massinissa. Pourquoi cet intérêt pour ces deux personnages historiques '
Aux portes de Cirta est un roman historique qui se passe dans la terre de la Numédie antique. C'est un roman qui suit plus particulièrement la lutte entre Syphax et Massinissa. Et l'accession de Massinissa au pouvoir et la manière dont il va régner pendant un demi-siècle sur la Numidie. M'intéresser à ces deux personnages historiques, je pense que c'était une question de sympathie personnelle, en particulier pour Massinissa qui est le personnage central du roman. Je trouve qu'il y a un mélange fascinant d'un personnage historique, à l'?uvre immense. C'est quand même l'identification de la Numidie comme une contrée unifiée.
Et en même temps, il y a quelque chose de très humain dans sa destinée. Il y a les difficultés qu'il a connues déjà pour arriver au pouvoir, même sur la petite portion de la Numidie qu'il gouvernait à l'époque. Quelques années plus tard, il en fut chassé. On ne sait même pas où il était. Il était probablement aux confins de la Numidie. On avait pratiquement perdu sa trace. Et tout d'un coup, il ressurgit. Il devient roi et il conquiert son trône. Je trouve que c'est quelque chose qu'il le rend profondément humain. Le fait de voir les difficultés qu'il a pu endurer, cela m'a paru présenter un mélange très saisissant.
Aux portes de Cirta se targue d'être un roman historique, mais certains chapitres sont traversés par une bonne dose de fiction '
Je dois dire qu'il y a beaucoup de fiction. C'est un roman historique. Je ne prétends pas avoir les qualifications pour écrire un ouvrage académique. C'est vraiment un roman qui se place dans l'histoire. J'ai pris une certaine liberté d'interprétation de l'histoire comme le font tous les auteurs qui s'intéressent à l'histoire. De cette manière là, je voulais présenter une porte d'entrée plus accessible vers l'histoire de la Numidie en respectant au maximum les faits tels qu'ils étaient avérés.
Vous vous êtes aussi autorisé à inclure des personnages et des événements?
Il est tout à fait juste que je me suis autorisé à inclure des personnages et des événements. A titre d'exemple, j'ai beaucoup parlé de la mère de Massinissa. C'était une prophétesse et une femme mystique dont on ne connaît pas le nom. J'ai voulu aussi intégrer des personnages tels qu'un lieutenant de Massinissa qui s'appelait Zilalsan. C'est le nom d'un vieux roi numide qui avait même précédé Massinissa de plusieurs siècles. Il se trouve être son jeune compagnon, celui qui suit Massinissa dans ses périgrinations. Il y a aussi deux autres généraux, Adas et Bernis, que j'ai voulu montrer un tout petit peu en rivalité. Une rivalité à l'intérieur du camp Massyl. Il y a également la mère de Zilalsan qui a un rôle secondaire, mais qui sera assez important par la suite. J'ai voulu varier ces personnages qui ont réellement existé. Mais là, ce sont des personnages que j'ai créés. Il y a d'autres personnages historiques qui apparaissent, entre autres Scipion l'africain et Hannibal Barca qui apparaissent dans des contextes que j'ai moi-même voulu mettre en place.
Votre livre a été tissé de telle manière à faire découvrir cette partie de la Numidie méconnue par un certain public?
Absolument, c'est un peu cela que j'ai voulu mettre en valeur. Surtout pour les jeunes lecteurs qui, peut-être, sont moins plongés dans cette partie du patrimoine algérien. Essayer de faire l'effort de le présenter d'une manière plus accessible. En général, il est important pour une nation d'avoir des repères historiques. Il est important aussi de ne pas se laisser dicter son histoire par des ouvrages venus d'ailleurs. Je pense que c'est quelque chose de très important en matière de cohésion sociale. D'avoir un petit peu un imaginaire collectif dans lequel on puise nos repères. J'ai voulu faire ma petite participation.
Dans le chapitre La plaine et le soleil se leva sur les grandes plaines, vous démontrez, preuves à l'appui, que Massinissa était le représentant de la Numidie?
C'est un chapitre qui est centré sur les grandes plaines et sur le rôle joué par Massinissa aux côtés de Scipion pour montrer qu'il n'était pas seulement son lieutenant, mais qu'il était le représentant d'une puissance importante qu'était la Numidie de l'époque. Le fait qu'à la mort de Massinissa les Romains se soient donné tant de mal pour diviser le royaume entre ses fils, cela montre bien que la présence de la Numidie était un peu inquiétante dans le bassin méditerranéen. C'était, pour eux, une sorte de danger à neutraliser. La dynamique de force avec Carthage en Afrique du Nord est aussi très intéressante parce que Carthage pendant un certain temps a préféré simplement traiter de loin avec les royaumes de l'intérieur de l'Afrique du Nord et se retrouve confronté avec cette puissance montante. C'est très intéressant de voir ce rapport là et de montrer le rôle de premier plan joué par les Numides dans ces conflits.
Si votre roman Aux portes de Cirta s'ouvre sur la mort de Massinissa, il se referme sur le personnage de Jugurtha?
Je voulais mettre en valeur toute l'?uvre de Masinissa. De toutes les façons, comme c'est un roman historique, ce n'est un secret pour personne qu'à la fin de son règne Massinissa meurt en laissant la Numidie dans un tel état. Je voulais commencer par Massinissa pour montrer ce qu'il a accompli et je l'ai refermé sur Jugurtha. Je voulais commencer en plongeant dans les souvenirs de Zilalsan qui rappelle l'épopée de Massinissa à laquelle il a participé et a assisté.
Je voulais montrer aussi tout ce qui a été accompli afin que le lecteur puisse voir ce contraste là en ayant en tête ce qu'avait accompli Massinissa. Et en le voyant quelques pages plus loin essayer simplement de maintenir sa royauté en vie. Pour ce qui est de Yugurtha, je pense que c'était une manière de s'ouvrir sur un autre grand roi numide et de montrer que le cycle des difficultés et des triomphes est éternellement recommencé. C'était une manière aussi d'ouvrir déjà sur le prochain roman que je suis en train d'écrire à propos de la Numidie antique. C'était une sorte de clin d'?il, un lien entre ces deux grands rois numides.
A travers votre livre, vous avez tenté de montrer en filigrane l'unité algérienne qui est perceptible plus que jamais ces derniers mois en Algérie?
Il est tout à fait exact que d'une certaine manière j'ai voulu montrer l'unité algérienne que l'on sent plus que jamais ces derniers mois. En tous les cas, c'est un point d'orgue de cette unité. Il faut souligner que cette unité ne date ni d'hier, ni d'il y a un demi-siècle mais plus de mille ans. Le fait que sur les frontières est-ouest du royaume de Massinissa et avant celui de Syphax pendant quelques années coïncidait pratiquement avec les frontières de l'Algérie actuelle. Une autre des thématiques que j'ai voulu aborder dans cet état d'esprit est de montrer l'unité de l'Algérie déjà à cette époque. Les contraintes ont pu changer d'une époque à une autre. A l'époque de Massinissa, la simple géographie du pays rendait les tentatives d'unité très ardues à mettre en place.
C'est là que réside le génie de Massinissa d'avoir instauré une telle unité sur plus d'un demi-siècle. Il y a toujours cette difficulté pour les Etats pré-modernes dans l'antiquité et au Moyen-Age d'établir une unité durable quand il y a des chaînes de montagnes, des hauts-plateaux et des côtes. C'est toujours un élément très compliqué à dompter. De cette manière-là, j'ai voulu montrer à quel point l'?uvre de Massinissa était importante.
C'est aussi une réflexion sur le rapport qu'on a l'histoire, à la nature. Je pense qu'on ne se rend pas compte à quel point la géographie façonne les peuples, leur histoire et leur culture. Je pense qu'il y a certains points qui sont d'actualité, comme par exemple la question de la stabilité, de la prospérité et sur le rapport à l'agriculture. Je trouve qu'il y a des enseignements à tirer. Je pense qu'il est primordial de réhabiliter le passé sans en faire un obstacle pour construire l'avenir. Je pense au contraire qu'il faut apprendre à garder les choses dans leur contexte et à interpréter le passé de la manière la plus utile pour présenter l'avenir. Cela peut être très intéressent de s'y plonger.
Quand je vante l'?uvre de Massinissa, je n'appelle pas à la création d'une monarchie absolue en Algérie. L'interprétation doit toujours être d'actualité, mais il y a des problématiques auxquelles il a été confronté et certaines des adversités qu'il a eu à affronter, sur certains points, ressemblent aux problèmes que connaît l'Algérie.
Je pense aussi que certaines problématiques sur la légitimation du pouvoir peuvent être retrouvées d'une époque à une autre. Finalement, Massinissa a trouvé sa légitimité pas seulement dans le prestige militaire de ses victoires précédentes, mais aussi dans la manière d'améliorer la vie des Numides. Ce guerrier a changé le visage de la Numidie, notamment en favorisant le développement de l'agriculture, et ce, en mettant en valeur avec les moyens de l'époque le potentiel agricole de l'Algérie.
Vous continuez d'écrire et d'avancer sur d'autres projets puisque vous avez d'autres manuscrits au fond de vos tiroirs?
C'est tout à fait juste que je continue d'écrire et d'avancer sur d'autres projets. J'ai toujours plusieurs chantiers littéraires lancés en même temps. J'avance au gré des inspirations, surtout que j'aime beaucoup me plonger dans l'histoire et faire des romans historiques. Il y a des projets qui sont plus sur la période de la moitié du XXe siècle et d'autres qui sont plus sur l'antiquité. Je suis en train d'avancer sur l'écriture du prochain roman sur le parcours de Yugurtha.
D'ailleurs, c'est un peu petit peu annonciateur de ce roman-là. Je pense que c'est vraiment une période de l'histoire de l'Algérie qui est méconnue et qui est souvent négligée. C'est-à-dire que si on regarde bien les écrits, même de fiction qui sont consacrés, c'est souvent sous l'angle du point de vue de la civilisation occidentale.
Propos reccuillis par Nacima Chabani
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Posté Le : 02/11/2019
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Nacima Chabani
Source : www.elwatan.com