Algérie

Mme Bekkouche Amara (architecte et chercheur)


« En urbanisme, la qualité se paye » « Est-ce qu'on veut mettre l'argent nécessaire pour payer les meilleurs concepteurs ? », s'interroge Madame Bekkouche Amara, architecte, chercheur et auteur de plusieurs études, dont la plus récente parle de « dégradation du cadre bâti ». L'universitaire est également auteur de plusieurs contributions à « Insaniyat », une revue du CRASC d?Oran où elle exerce. De quoi nos villes auront-elles l'air dans dix ans ? Je ne fais pas de prophéties. En 1994/95, il y a eu création d'un conseil national de réflexion en urbanisme. Mais qu'est-il devenu depuis ? Nos villes ne souffrent ni de constats de carences ni de recommandations, mais de l'application et du suivi des décisions. L'éternel problème est lié au manque de coordination. Travailler ensemble sur un problème précis est une chose que nous ne savons pas faire. On travaille dans l'urgence. Une des critiques faites aux urbanistes, c'est qu'ils se sont toujours trompés dans leurs études. « Les cités-dortoirs »...oui. C'est effectivement un drame. Il peut être compréhensible que cette dégradation touche le vieux bâti, mais la même interrogation se pose également pour les nouvelles constructions. Différents acteurs s'accordent à reconnaître les signes de défaillances en matière de production du cadre bâti où l'architecture renvoie manifestement l'image de la société et symbolise ses valeurs. Que pensez-vous de la politique urbaine appliquée dans nos villes ? Parler d'une politique urbaine est un grand mot. Est-ce qu'il y a d'abord une politique urbaine ? Moi, je ne le pense pas. Beaucoup d'indices montrent que l'urbanisme n'est pas un champ où tout le monde se sent à l'aise. Les prémices du PDAU, par exemple, datent de 1995, sous l'ère des DEC : on y a certes créé du logement social pour lequel une prime a été accordée. S'y ajoutent les opérations menées sur les quartiers d'habitat social. L'ensemble est socialement utile mais ne peut pas constituer toute l'ambition urbaine d'une métropole comme Oran. L'urbanisme qui s'y dessine est plus discutable, certes, mais le problème se situe comme suit : après avoir emporté les marchés, est-ce que les bureaux d'études ont respecté le cahier des charges ? Ce n'est pas un jugement de valeur, mais c'est une question de moyens. Est-ce qu'ils ont recruté les meilleurs concepteurs qu'il fallait payer au prix fort ? Ça coûte beaucoup d'argent. Est-ce qu'on veut mettre les moyens pour améliorer l'image de nos villes ? Pour moi, valoriser les études est un point essentiel. La production du cadre bâti est le résultat coordonné d'actions multiples où s'investissent différents acteurs et où les intérêts ont pour finalité commune de construire et d'aménager un espace de vie. Ces actions reposent sur des moyens dont les ressources sont d'ordre financier et créatif. Elles suggèrent l'hypothèse que la qualité de la production du cadre bâti est fonction des moyens mis en œuvre et des procédures engageant les différents intervenants dans l'acte de bâtir (financiers, techniques, économiques et culturels). Si l'informel prédomine sur l'économie, la construction illicite en fait de même à l'urbanisme. Où sont les économistes qui s'intéressent aux problèmes urbains ? Partagez-vous le constat qu'il y a peu de jardins dans nos villes ? A l'inverse d'Alger qui est assez boisée et même si à l'origine elle n'était pas une ville verte, Oran a été tout de même construite autour d'un espace vert qu'elle protégeait. Un espace nourricier et ludique. Il fallait planter davantage. Mais, comme elle est connue pour être une ville en manque d'eau récurrent, il fallait y cultiver des espèces particulières. Mais cela génère des conflits. Je cite un exemple : des chauffeurs de camions-citernes d'eau, qui allaient arroser des espaces verts, se faisaient détourner par une population qui n'avait pas d'eau dans les foyers. Par-delà tout cela, il faut dire que le manque d'entretiens quotidiens des espaces verts a grandement dégradé ces lieux. Les politiques ont mené, depuis quelques années, une politique urbaine où le ton est donné, par exemple, avec l'érection du Sheraton... Qu'en pensez-vous ? A ce sujet, une question me semble intéressante : qu'est-ce qui a été prévu à la place du Sheraton dans le PDAU ? Quelquefois, la réalité dépasse les prévisions. C'est l'économie qui gère l'urbanisme. Tout est lié. Êtes-vous pour l'uniformisation des couleurs des façades des immeubles ? Je suis plutôt favorable à la diversification, mais encore faut-il avoir la compétence de gérer cette diversité. Car je pose la question suivante : est-ce qu'on a fait appel aux artistes et aux coloristes pour repeindre nos villes ? Et surtout, est-ce qu'on a fait circuler, par exemple, un questionnaire aux citoyens pour avoir une idée sur la couleur ? La couleur reflète une dimension culturelle et identitaire d'une société. Quelles solutions préconisez-vous en terme de normes architecturales ? Il y a d'abord les normes parasismiques. Nos villes étant situées sur des zones hautement sismiques, la prise en compte de cette donne est plus qu'une nécessité. Cela dit, il y a des choses positives dans tout ce qui a été entrepris. Il suffit de le valoriser. Je crois au débat, mais pas à l'idée qui mettrait uniquement les politiques et les économistes dans la locomotive des responsabilités. Tout le monde est concerné par l'action urbaine : les architectes, les hauts fonctionnaires, les spécialistes...doivent entourer les projets. La coordination de tous s'impose. La ville est un bien commun qu'il faut gérer ensemble.
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