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Michel Dubost. Evêque d'Evry : «Il faut se rencontrer pour parvenir à ne plus avoir peur» France-actu : les autres articles



Michel Dubost. Evêque d'Evry : «Il faut se rencontrer pour parvenir à ne plus avoir peur»                                    France-actu : les autres articles
Si la relation islamo-chrétienne n'est pas en péril, les politiques de rejet anti-musulman à droite et à l'extrême droite ont bouleversé le paysage ces dernières années. La montée en puissance de groupes radicaux musulmans rend un peu flou le regard porté sur l'Islam. Michel Dubost, évêque d'Evry, président du Conseil inter religeux pour la conférence épiscopale française, participera, samedi et dimanche prochains, au deuxième Forum islamo-chrétien à Lyon.
-Il semble que le dialogue interreligieux a du mal à trouver un deuxième souffle. Y a-t-il malaise ou seulement quelques difficultés '
Ce dialogue est important pour nous, puisque cela fait 40 ans que nous avons un service des relations avec l'Islam. Nous allons fêter ces quarante ans dans un an. Les mots relation et dialogue sont des mots capitaux pour nous, catholiques. En 40 ans, l'histoire a évolué et le contexte dans lequel ce dialogue s'exprime doit être précisé. Le premier problème est la mondialisation et la place de la France qui évolue, et, pour beaucoup, cette place n'est plus la même qu'il y a quelques décennies. La démographie a changé. Il y a quarante ans, le nombre de musulmans en France était le tiers de celui qu'il est aujourd'hui, l'origine algérienne en représente la moitié. Il est clair que certains Français ont mal à la nation. On voit bien qu'il y a des extrêmes qui s'en saisissent, mais même les non extrémistes s'en préoccupent, et c'est l'une des conditions du dialogue islamo-chrétien.
Une autre question est la question économique. Les migrants les plus récemment arrivés sont les plus grandes victimes du chômage...
Autre problème, celui de la sécularisation. La place du catholicisme en France change. Les musulmans donnent une image très vigoureuse de leur religion, même parfois trop vigoureuse, qui interroge les catholiques. Enfin, beaucoup de musulmans habitent en banlieue et une image négative se répercute sur les non-musulmans. Nous sommes une ancienne nation coloniale, mais ce qui n'a pas changé c'est que nous sommes en bordure du monde musulman et que, de fait, l'actualité quotidienne nous montre peut-être encore plus le monde musulman dans un univers médiatique qui a évolué, avec par exemple l'arrivée de chaînes comme El Jazeera.
-Même les gens engagés depuis des années dans le dialogue islamo-chrétien émettent des doutes. Y a-t-il donc une crainte de ce que le cardinal André XXIII, président de la Conférence épiscopale a appelé «le danger du choc des civilisations» '
Ce que je vois avec terreur, comme du reste mes amis musulmans, c'est l'amalgame. Dès que quelqu'un à consonance arabe fait une bêtise, c'est tout le monde arabe qui l'a faite. Quand c'est un Européen, c'est lui tout seul. Les gens avec qui je travaille, ou que je vois tous les jours, souffrent autant que moi des exactions, des crimes, et il est tout à fait intolérable qu'on amalgame cela, c'est un vrai problème. Mais je pense qu'il est vrai qu'un certain nombre de gens ont intérêt à promouvoir l'idée du choc des civilisations. Il leur faut trouver un bouc émissaire. Nous, nous essayons de démontrer que la réalité est complexe, qu'il faut admettre cette complexité. Il ne faut pas se laisser aller à satisfaire l'islamophobie de certains qui voudraient dénoncer tous les musulmans, alors que c'est ridicule. Il ne faut pas non plus se laisser démonter par des gens qui disent qu'au fond, il n'y a pas de vrai problème. Il y a des questions que posent certains et que ne pose pas la grande majorité.
-Malgré ce constat, n'y a-t-il pas une lassitude à continuer le dialogue '
Les craintes se nourrissent de faits réels qu'on ne peut pas nier et que nous avions mis sous le boisseau. Il y aura toujours des gens qui nous reprocheront des choses tant que la liberté de conscience n'est pas reconnue, le droit à la conversion, tant qu'on demande des certificats de coutume dans certaines municipalités, etc. Il y a un certain nombre de problèmes à résoudre, et ce ne sont pas les musulmans de France qui peuvent les résoudre, mais les politiques, par la demande de réciprocité entre les Etats.
-Votre mot d'ordre serait donc : pas d'amalgame, et soyons conscients de l'importance des problèmes...
Oui, et une autre chose, dans les cours de récréation, dans les supermarchés, chariot contre chariot, au boulot, dans les clubs, il y a des amitiés très fortes entre les musulmans et les chrétiens, les agnostiques, et cela c'est un trésor. Nous pouvons vivre comme concitoyens sans problème, c'est possible, et nous le démontrons. Par rapport au choc des civilisations, c'est la meilleure arme. Notre manière d'être chrétien, c'est le dialogue, et nous voulons le promouvoir. Cela ne veut pas dire qu'on va se laisser faire par quelques bandes de fascistes extrémistes de tout bord et les excités qui se servent de l'Islam pour faire des choses invraisemblables.
A Lourdes, récemment, lors de la conférence des évêques, vous avez employé le terme d'enclave. Vous avez peur de l'enclavement '
Tout le monde veut vivre une vie de citoyen normale, en pratiquant sa foi. Et il y a quelques-uns, dont une partie de salafistes, qui cherchent à construire une espèce d'enclave politico-musulmane en France. Cela crée tous les antagonismes.
-Il y a des associations musulmanes qui disent vivre l'islamophobie et ont lancé une campagne pour sensibiliser l'opinion. Il y a peu, un responsable du Conseil français du culte musulman a demandé au président de la République une déclaration solennelle pour la dénoncer. Que dit l'Eglise à ce sujet '
Le mot phobie, c'est une peur, et c'est vrai que beaucoup de nos concitoyens ont des peurs. Il faut se former pour se rencontrer pour parvenir à ne plus avoir peur et accepter de vivre entre gens qui ne pensent pas la même chose. Je n'aime pas employer le terme d'islamophobie, il suscite les peurs que l'on craint. Il faut lutter contre cela par la rencontre.
Comment voyez-vous votre mission à Rome, où vous avez été nommé par le pape au Conseil pontifical pour le dialogue inter religieux '
-Votre expérience chrétienne de vivre en présence d'une forte communauté musulmane en France sera-t-elle utile dans un monde où on a pu rapporter beaucoup d'exactions antichrétiennes, notamment au Moyen-Orient, ou au Nigeria'
Ce qui est vrai, c'est que pour le moment il y a davantage de morts musulmans dus à l'extrémisme islamiste que de morts chrétiens. Le nouveau pape des coptes récemment élu dit que «cela fait quatorze siècles qu'on vit ensemble, je ne vois pas pourquoi on ne continuerait pas.» Cela ne veut pas dire qu'on ne se chamaillera pas, c'est autre chose. Donc, je veux dire qu'il faut garder raison. Par contre, il faut lutter ensemble contre les extrémismes, de quelque bord qu'ils soient.
-Cela peut être le fruit d'une expérience française...
Oui, il faut aussi que le gouvernement français et les gouvernements démocratiques fassent pression pour qu'il n'y ait pas d'extrémisme et nous devons faire en sorte que personne ne se sente agressé et que le droit à la liberté de conscience, le droit à la liberté de conversion, le droit à pouvoir épouser quelqu'un d'une autre religion soient respecté, c'est évident.


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