Algérie

Meziane Meriane, coordinateur national du Snapest



Dans cet entretien, le coordinateur du Snapest revient sur la question de l'école à l'ère de la pandémie, en préconisant de mobiliser tous les moyens pour briser la chaîne de transmission du virus et de mettre tous les moyens de protection à la disposition des établissements. Il considère également que ce contexte est une opportunité pour engager une réforme globale du système éducatif.Liberté : Le Premier ministre a instruit les walis de veiller à "la mobilisation de brigades de contrôle pour effectuer un contrôle permanent et rigoureux" de "l'application du protocole sanitaire dans chaque établissement scolaire". Qu'en pensez-vous '
Meziane Meriane : C'est arrivé un peu tard, c'est vrai, mais entre le 1er septembre et le 29 octobre, on aurait dû mettre à profit tous les moyens pour prendre en charge la rentrée scolaire de façon efficace. Mais comme le dit l'adage "mieux vaut tard que jamais. Mais après 16h, l'élève sera happé par la rue qui, elle, il faut le dire, ne respecte pas le protocole sanitaire. On ne peut pas dissocier l'école de la rue ou de la famille.
Pour casser la chaîne de transmission de ce virus, il faut mobiliser tous les moyens, l'école, la rue et la maison. Je le dis et le répète à qui veut bien l'entendre : dans le transport scolaire, nos enfants sont comme des sardines.
Quel que soit le protocole que vous déploierez à l'intérieur des établissements, à 16h, c'est le retour à la case départ car, malheureusement, les élèves sont face à une autre réalité, celle de la rue. Et dans la rue, les mentalités sont ce qu'elles sont. Il y a même certaines personnes qui ne croient pas à l'existence du virus. C'est vraiment dangereux. Donc, il faut réfléchir sérieusement sur la manière de prendre en charge l'école et son environnement.
Le gouvernement s'est opposé à la fermeture des écoles, jugeant que les statistiques ne plaidaient pas en faveur de cette décision. Est-ce justifié, selon vous '
Non, pas du tout. Ce que je viens de dire justifie ce que je vais ajouter : la rue risque de fermer les écoles. Le virus sera transmis de la rue à l'école, et nous serons dans l'obligation, ce que nous ne souhaitons pas, de fermer les écoles, car il faut d'abord prendre en charge la rue avant de prendre en charge l'école. Le danger pour l'école risque de venir de l'extérieur. Je crois qu'il y a un cercle de transmission réciproque.
Ceux qui n'ont pas fermé les écoles ont mis en place un confinement strict et respecté, et vous risquez une pénalité si vous ne respectez pas les mesures sanitaires. Dans notre "rue", actuellement, c'est l'anarchie, les marchés et les supermarchés sont ouverts et les gens ne mettent pas le masque.
Donc, comment voulez-vous que nous n'arrivions pas un jour à la fermeture avec la recrudescence de cette pandémie ' Nous voyons une courbe exponentielle, donc, nous risquons de fermer malgré ce qui se dit, à savoir, il n'y a aucun pays qui a fermé ses écoles.
Je regrette, les pays qui n'ont pas fermé les écoles ont respecté les consignes de sécurité à l'extérieur et à l'intérieur des écoles. Des moyens colossaux ont été mis en ?uvre avec la sensibilisation permanente de élèves et du personnel de l'éducation, ce qui ne se fait pas chez nous.
Le ministère de l'Education a décidé d'allouer une enveloppe financière pour les établissements confrontés à divers problèmes pour acquérir des moyens de protection. La décision n'arrive-t-elle pas en retard '
Je vous signale que dans certains établissements, ce sont les enseignants qui ont cotisé pour acheter les thermomètres. À l'heure où je vous parle, beaucoup d'établissements n'ont pas d'outils de contrôle de la température, mais la question qui se pose est : où sont les responsables des établissements '
Ils auraient dû faire des achats à crédit ou à découvert en attendant l'arrivée de ces budgets. On ne doit pas attendre l'arrivée de ces budgets pour prendre en charge ces établissements devant un danger de mort. Ils avaient trois semaines pour préparer la rentrée scolaire, mais rien n'a été fait. Idem pour les établissements moyens et secondaires. Maintenant qu'on met les moyens, cela va soulager.
Mais si l'environnement de l'école ne lutte pas convenablement contre le coronavirus, l'école ne pourra pas échapper à cette contamination. La situation est dangereuse et il faut prendre les choses au sérieux, et que tous les moyens soient mis à la disposition des établissements. Donc, nous devons être sur nos gardes, comme si nous étions en temps de guerre.
Certains corps de l'éducation ont soulevé la question du financement des soins et des tests au profit des personnels et des élèves...
Je crois que devant des situations exceptionnelles, le responsable doit aussi être à la hauteur pour prendre aussi des décisions exceptionnelles. Il y a l'argent des ?uvres sociales qu'on utilise pour le tourisme et pour la Omra. Je crois que c'est le moment pour que des conventions soient signées avec des polycliniques et des cliniques spécialisées pour la prise en charge des malades du coronavirus, d'une part.
Et, d'autre part, pourquoi ne pas prendre en charge quelques besoins de certains établissements ' Il n'y a pas de honte à dire que les caisses sont vides, afin que les gens se prennent en charge, pour que des âmes charitables aident l'école à s'en sortir et pour que les associations des parents d'élèves puissent utiliser aussi l'argent des cotisations pour une prise en charge des élèves et du personnel. La situation est très simple : le vaccin n'est pas pour demain, d'après les spécialistes, donc, le seul remède est la protection à travers le respect des gestes barrières.
Malheureusement, certains établissements ayant beaucoup de charge de travail ont divisé par groupes les élèves seulement à l'intérieur de la salle de classe, mais tout l'effectif au complet est à l'intérieur de l'établissement, il est donc impossible de faire respecter la distanciation physique dans la cour et dans les couloirs. C'est le cas également dans certains réfectoires. Voilà les dangers qui guettent. Quels que soient les moyens mis en ?uvre, s'ils ne sont pas suivis d'une application rigoureuse de tout le protocole sanitaire, nous reviendrons à la case départ.
Le MEN a décidé d'unifier les programmes et les volumes horaires. Cela suffira-t-il à régler les dysfonctionnements '
Pas du tout. Et là, permettez-moi de parler des compétences de certains responsables. Lorsque l'on parle de diviser la classe en groupes, c'est pour une classe de plus de 30 élèves, mais j'ai discuté avec le directeur d'une école primaire où l'inspecteur de la circonscription l'a obligé à diviser une classe de 8 élèves en deux, cela veut dire qu'il y a des groupes de 4 élèves. C'est une aberration. Regardez où l'incompétence peut mener.
Le responsable d'un établissement doit être clairvoyant et ne pas suivre certaines directives qui ne s'appliquent pas au cas de son établissement. Concernant le programme, le volume horaire de l'enfant étant divisé par deux et le fait de travailler par groupe ? certains chapitres et certains programmes nécessitent un certain volume horaire ? rendent difficile son achèvement. Nous avons déjà un trimestre de retard. À cela, il faut ajouter le retard qui va s'accumuler.
Ce que nous avons suggéré, c'est de changer les méthodes d'enseignement pédagogiques, d'appliquer celles utilisées pendant les crises et les guerres : passer de la méthode expositive et académique actuelle, où le cours se transmet de façon magistrale à l'enfant, à une méthode qui est déjà utilisée avec d'anciens inspecteurs, c'est-à-dire la méthode interrogative où on résume le cours et dans lequel on transmet le maximum de connaissances à l'élève dans un résumé retreint, puis l'aider à l'apprentissage avec des questionnements.
Malheureusement, elle n'est pas appliquée. Donc, quel que soit le taux de travail, on n'aura travaillé que la moitié du volume horaire. Il y a lieu de s'adapter à la nouvelle situation avec la nouvelle méthode d'enseignement avec l'aide des inspecteurs de la matière et pourquoi pas un modèle de cours pour chaque matière afin d'aider les nouveaux enseignants à s'adapter à une nouvelle situation.
Cela contribuerait aussi à la réforme du système éducatif ...
Tout à fait. Je crois que c'est une occasion de revoir le système éducatif de fond en comble et d'utiliser cette opportunité pour nous engager dans une refonte ou réforme globale. Pourquoi ne pas commencer par le secondaire qui est l'enseignement pré-universitaire et s'engager dès à présent sur une réflexion en évaluant ce qui est passé et en constatant toutes les erreurs que l'on est en train de traîner '
Et pourquoi ne pas s'engager dans la réforme et la refonte du baccalauréat qui est très lourd, stressant et qui occupe beaucoup de temps en mobilisant beaucoup de moyens ' C'est une occasion pour engager des réflexions avec les spécialistes des sciences de l'éducation. Pour les enseignants, je crois qu'ils doivent être ménagés. L'enseignant est la matrice principale de transmission du savoir, donc, le surmener risque aussi de se répercuter sur son rendement et sur les connaissances des élèves.
Ce que nous avons suggéré, c'est de procéder à un recrutement pour faire face à la situation. L'enseignant risque de tomber malade, surtout que l'immunité nécessite qu'il soit en bonne santé. Nous avons tiré la sonnette d'alarme dans le communiqué de l'intersyndicale et on doit nous écouter, sinon, l'enseignant risque de terminer l'année scolaire sur les genoux, ce qui n'est pas dans l'intérêt de l'enfant. Et là, nous ne resterons pas les bras croisés.

Entretien réalisé par : AMAR R.


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