Algérie

Meurtre à huis clos à El Makarri



C'est l'histoire d'Islam qui s'est retrouvé à la cour d'assises d'Oran pour répondre de meurtre avec préméditation. C'est également l'histoire de Miloud qui a échoué dans le même box des accusés, poursuivi pour le même chef d'accusation. Mais c'est aussi l'histoire de Réda, victime du crime pour lequel les deux accusés ont été jugés en fin de semaine dernière.D'autres personnages encore -comme Yahia, accusé en état de fuite, Mohamed, frère de la victime et partie civile, Hamza, témoin... ont tenu un rôle dans ce drame très symptomatique de la désespérance d'une partie de la jeunesse algérienne.
Le coup de téléphone
Tout commence le 3 mars 2017 par un coup de téléphone reçu par un certain Hamza : «Va voir dans la maison d'El Makarri, ton ami Réda est blessé. Ton tour viendra !», lui recommande une voix qu'il ne reconnaît pas. Hamza, qui connaît Réda, un compagnon de beuverie, s'inquiète : c'est bien le numéro de mobile de son acolyte qui s'affiche mais la voix ne lui est pas connue.
Il alerte deux amis - également compagnons de soirées arrosées- et tous trois se rendent, directement à la maison en question, une construction abandonnée que des travailleurs occasionnels provenant d'autres wilayas, occupent. Ils y trouvent A. Réda, 45 ans, allongé, poings et pieds entravés, le pantalon sur les genoux. Ils courent vite alerter les services de police qui se rendent sur les lieux pour faire la découverte macabre : l'autre bout du fil qui entrave les pieds, entoure la gorge du mort dont la bouche est obstruée par un drap.
Les policiers constatent, également, de nombreuses et graves contusions sur le visage, les mains et les jambes du cadavre et présument qu'il a été torturé avant d'être tué.
L'enquête déterminera que la maison-repaire où Réda et ses amis se retrouvaient pour leurs soirées arrosées- était occupée par trois jeunes venus de divers horizons: Islam el Harrachi, Yahia Tipazi et Miloud. Grâce aux indications des témoins et les procédés d'identification, les enquêteurs parviennent à déterminer l'identité des suspects : Il s'agit de A. Islam, 19 ans, originaire, d'Alger, L. Miloud, 27 ans provenant de Aïn Defla, et B. Yahia, originaire de Tipaza. Des mandats de recherche sont délivrés et les investigations, confortées par des extensions de compétence, mèneront les enquêteurs à Bougerra, wilaya de Blida, où ils mettront la main sur Islam.
Islam: «Il a abusé de moi»
L. Miloud sera, également, arrêté mais B. Yahia disparaîtra dans la nature et la police n'arrivera jamais à le localiser. Il sera jugé par contumace. Au cours de leurs interrogatoires, Islam et Miloud reconnaîtront les faits mais nieront avoir eu l'intention de tuer Réda : «Il (le défunt) m'a agressé sexuellement deux jours avant, raconte Islam. La nuit du drame, il a également voulu abuser de moi alors Miloud et Yahia ont intervenu : Yahia a donné un coup de manche à balai à Réda qui me maintenait contre un mur.
Ensuite, nous l'avons frappé mais nous l'avons laissé en vie». Miloud fera quasiment les mêmes déclarations lors de l'instruction. Selon l'expertise médico-légale, la victime a reçu plusieurs coups (manche de pelle, barre de fer et même un bloc en ciment) mais a succombé à l'étouffement (drap enfoncé dans sa bouche et fil noué autour du cou). A l'issue de l'instruction, le parquet estimera que l'accusation disposait d'éléments suffisant pour inculper les trois hommes pour meurtre avec préméditation suivant les articles 254, 255 et 261 (alinéa 1) du code pénal.
Miloud : «Nous avons empêché le viol d'Islam»
A la barre, L. Miloud, également venu de Aïn Defla à la recherche d'un travail, racontera que le jour des faits, en revenant du marché de La Bastille où il avait l'habitude d'acheter à manger, il avait trouvé la victime qui tentait d'entraîner Islam à l'intérieur de la maison : «Il était 19h environ. J'ai arraché Islam à Réda et l'ai emmené dans un café voisin où nous sommes restés jusque tard dans la soirée. Je savais que Réda et ses amis étaient en train de boire et de fumer de l'herbe, et j'ai préféré rentrer le plus tard possible pour ne pas les trouver». Lorsque Miloud et Islam regagnent la maison, les amis de Réda sont, en effet, partis et celui-ci en train de dormir. Tout le monde se couche et 20 ou 30 minutes plus tard, Miloud est réveillé par les cris d'Islam : «J'ai vu que Réda maintenait Islam contre le mur alors Yahia lui a donné un coup de manche de pelle à la nuque. Il s'est retourné et a voulu m'attaquer, je l'ai frappé aux jambes 6 ou 7 fois avec le même manche. Il est tombé à terre, nous lui avons entravé les mains et les pieds.
C'est Yahia qui lui a mis le fil autour du coup et qui lui a enfoncé le drap dans la bouche. Mais quand, nous sommes partis, il était toujours vivant.» Il avouera avoir volé à la victime son sac à dos, une bouteille de parfum, de l'argent et une veste qu'il a revendue par la suite.
Des peines de 20 ans et la perpétuité requises par le parquet
De son côté, Islam a réitéré les déclarations faites précédemment en expliquant qu'il était venu à Oran pour chercher du travail et qu'il avait fait la connaissance de toutes ces personnes, une semaine après son arrivée.
Il confirmera, la voix basse, que Réda avait abusé de lui et qu'il le harcelait tous les jours. Sur sa participation au meurtre de son tourmenteur, il dira s'être contenté d'un coup de pierre : «Quand il était à terre, il a tenté de se relever, alors je l'ai frappé avec une pierre». Il affirme que sa participation s'est arrêtée là, et que c'est Yahia qui a enfoncé le drap dans la gorge de Réda. «Pourquoi n'es-tu pas rentré chez toi après la première agression '», demandera la présidente. Le jeune homme baissera la tête sans répondre. Appelé à comparaître, A. Mohamed, frère de la victime, a maintenu son intention d'être partie civile et de demander des dommages et intérêts pour la mort de son frère.
Dans son réquisitoire, le représentant du ministère public soulignera la gravité des faits et l'acharnement des accusés sur la victime, comme l'atteste le constat l'expertise médico-légale. Il se basera sur les conclusions de l'expertise et les aveux des accusés pour réclamer la perpétuité contre Miloud et 20 ans de réclusions contre Islam.
La défense plaide l'acquittement d'Islam et la clémence pour Miloud
L'avocat de la défense (en fait, avocat de Miloud qui a accepté de défendre les intérêts d'Islam, présenté sans avocat) tentera de plaider l'acquittement d'Islam et les circonstances atténuantes pour son propre client. Pour lui, c'est Islam qui est la victime dans cette affaire, victime des assiduités de Réda mais aussi de conditions sociales très difficiles : «Il est très jeune et c'est un enfant du divorce qui était pris en charge seulement pas sa mère. Et quand celle-ci est décédée, début 2017 des suites d'une maladie, il s'est réfugié dans la rue.» Etant donné les circonstances de cette affaire, «on devrait considérer qu'Islam était en légitime défense et lui accorder les bénéfices de l'article 39 sur les faits justificatifs». L'avocat - qui déclarera que rien ne prouve que le coup porté par Islam ait conduit au décès de la victime - s'interrogera, par ailleurs, sur la pertinence de la préméditation : «Où est la préméditation ' Les faits se sont déroulés, soudainement, rien n'avait été calculé». Concernant Miloud, il réclamera la clémence de la cour pour ce jeune homme qui a dit la vérité tout au long de la procédure, n'a pas fui comme Yahia et qui a seulement voulu protéger le frêle Islam contre les assauts répétés de la victime. : «Il n'y avait pas de volonté de tuer chez Miloud», conclura-t-il.
A l'issue des délibérations, les magistrats et le jury populaire constituant le tribunal déclareront les accusés coupables des faits incriminés mais leur accorderont les circonstances atténuantes : Islam écopera de 7 ans de prison et Miloud de 10 ans de réclusion. Quant à B. Yahia, il sera condamné à la peine capitale par contumace.


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