Algérie

MÉTIERS D'ÉTÉ A TIPAZA : Vivre sa passion de photographe coûte que coûte



MÉTIERS D'ÉTÉ A TIPAZA : Vivre sa passion de photographe coûte que coûte
« Certes mon job me procure depuis maintenant 20 ans satisfaction. Non pas parce que je gagne bien ma vie, mais surtout je vis pleinement ma passion. L'été c'est, à l'évidence, la saison où l'industrie du tourisme bat son plein. Les hôtels, notamment ceux de la côte, affichent souvent complet, les chiffres d'affaires des restaurants, pizzérias et autres salons de glaces explosent. Bref, les grandes vacances riment avec la grande moisson, celle de l'argent s'entend. Mais parmi ceux qui vivent ou plutôt survivent à  la lisière de l'industrie du tourisme à  Tipasa, Mouloud Tadjouri, un photographe quinquagénaire. Sa passion à  lui ce n'est pas l'argent mais son métier. Sa satisfaction et son unique consolation depuis qu'il a été absorbé par le « milieu » est justement d'avoir fait de la passion qu'il voue à  l'art de la photo son gagne-pain.Un gagne-pain qui, vingt ans durant, ne lui a pas permis de subvenir aux besoins des siens.En revanche, en deux décennies de métier, il a immortalisé un nombre incalculable de séquences de l'été tipasien, à  telle enseigne que les innombrables photos prises de ses clients,  en souvenir de leurs vacances à  Tipasa, ornent pratiquement des albums de familles des quatre régions du pays. « On le trouve quasiment partout. Il sillonne les plages, à  pied évidemment, de Chenoua, des fois jusqu'au CET en passant par Matarès et le port de la ville. D'ailleurs, il est rare de ne pas le croiser au moins une fois de la journée », atteste Ramzi, un habitué des plages. Mis à  part quelques rides qui commencent à  buriner son visage, il garde toujours cette dynamique juvénile et surtout la volonté et le sourire courtois qu'il a invariablement su garder depuis ses débuts dans la profession ». A vrai dire, Mouloud ne passe jamais inaperçu. Muni constamment de son Polaroid et d'un autre appareil ordinaire, suspendu à  son cou, il ne diffère nullement, même dans les moindres détails de sa tenue vestimentaire, de l'idée que l'on se fait couramment du reporter-photographe type.Comme seule protection contre les dards du soleil brûlant de l'été, une casquette qui lui sert accessoirement d'éventail durant les haltes qui ponctuent son long et épuisant parcours quotidien en quête d'éventuels clients. «J'aimerais bien savoir, à  titre de curiosité, combien de casquettes a-t-il usées depuis 20 ans ' », se demande Chafaâ, un agent qui travaille au musée de Tipasa.A cette interrogation, Mouloud, qui s'est abrité sous l'ombre d'un arbre juste à  proximité, lui répond avec simplicité : « ce sont les aléas du métier ». A écouter son récit, le dicton qui énonce qu'«avec des mains noires on mange le pain blanc » prend toute sa signification. « Au contraire des vendeurs ambulants de beignets ou de glaces qui attendent l'été pour travailler, moi j'exerce toute l'année. A la saison estivale je me lève tôt pour ne rentrer souvent qu'à 1h00 ou 2h00 du matin. C'est bien simple, les horaires de mon travail sont flexibles et proportionnellement liés à  la présence des touristes», raconte-t-il.LE DECLIN D'UNE PROFESSION Toutefois, depuis la seconde moitié des années 2000,  avec l'apparition des téléphones portables équipés de caméra et la chute des prix des appareils photos numériques, son activité bat de l'aile. « Avant 2005, rares sont les estivants qui possédaient un appareil numérique. Cette situation profitait en quelque façon à  mon activité.Les clients qui me sollicitaient alors étaient nombreux. Seulement, ces dernières années, ce que je gagne en deux jours, je le brassais jadis en une demi-journée », dit-il. Alors Mouloud éprouve les pires difficultés à  subvenir aux besoins de sa famille. Malheureusement pour lui, ce n'est pas le seul inconvénient qui s'érige entre lui et sa profession, car il a été aussi contraint ces dernières années de limiter son parcours d'action au niveau de la ville. Le diabète l'empêche désormais de se mouvoir comme il le faisait auparavant. « Avant je sillonnais Chenoua plage, Matarès, le parc archéologique, la rue piétonnière et ses cafés et restaurants, le port et alentour, je poussais les limites de mon circuit jusqu'au complexe touristique le CET. J'accomplissais tout ce trajet d'une traite. Je ne m'arrêtai que pour prendre des photos à  la demande des clients. Et il faut dire aussi que les beaux paysages de notre région qui me servent heureusement d'arrière plan pour les photos m'incitent à  chaque fois à  donner le meilleur de moi-même », évoque-t-il avec nostalgie.Désormais  même s'il  prolonge ses heures de travail, en été, au-delà de minuit, il se contente généralement de bosser en ville. Depuis, sa tournée quotidienne se limite aux cafés, restaurants, artères et à  l'esplanade du quartier du port. Heureusement pour lui et sa famille, ces endroits connaissent toujours en pareille saison et même durant le reste de l'année une grande affluence. Sinon il se serait résigné à  accrocher ses appareils photo. Chose que personne ne souhaite ici à  Tipasa. Car au fil des ans, il fait désormais, si l'on peut dire, «Â partie des meubles de l'été », dira un de ses amis.  Mouloud, philosophe, face au déclin de son métier lance : « je garde toujours foi en Dieu, puisque c'est Lui qui nous comble de ses bienfaits. Alors malgré toutes les contraintes, je continue à  gagner dignement mon pain ».Cette persévérance ne se justifie pas seulement par le besoin de nourrir sa famille ; elle s'explique aussi par sa passion pour la photo. « C'est plus fort que moi, l'amour de la photo coule dans mes veines. Ce qui m'intéresse le plus ce n'est pas uniquement l'argent que je gagne. Le cauchemar que je redoute le plus est de rater une prise, d'où d'ailleurs mon caractère méticuleux au travail. Je prends toujours le temps pour réussir la photo. Il m'arrive, ainsi, des fois de conseiller les clients sur la meilleure position qui les fait ressortir le mieux par rapport à  la lumière et à  l'arrière plan », soutient-il.DE CESSER MON MÉTIER ME TOURMENTE»En termes d'argent justement, combien facture-t-il une photo '  « 200 DA pour la photo minute et 50 DA pour la photo ordinaire que j'envoie tout de suite après son développement à  l'adresse dudit client », apprend-il. Et d'ajouter : «lorsqu'une photo n'arrive pas, via la poste, à  l'adresse du domicile de son propriétaire et elle fait l'objet de retour à  l'envoyeur, je prends constamment le soin de l'avoir dans ma sacoche, car sait-on jamais, je peux croiser la personne concernée à  tout moment. Ainsi je peux la lui donner. D'autant que cela m'est arrivé à  plusieurs fois ». Sur ce sujet, Mouloud ne manque pas d'anecdotes. Dans sa besace, une pile d'enveloppes contenant des photos est soigneusement rangée. Pour quelques-une d'entre elles, elles sont là depuis quatre ans. Elles appartiennent en majorité à  des touristes venus du sud. Cela dit, Mouloud n'est pas pour autant près de les archiver à  la maison. Sa conscience, comme il le soutient, ne lui permet pas ce genre de manquement. « Il faut toujours garder et prendre le soin d'entretenir de bonnes relations avec sa clientèle, du moins pour donner une bonne image de soi et aussi pour la fidéliser», insiste-t-il. Avant d'achever sa phrase, deux jeunes venus de Biskra l'ont sollicité pour prendre une photo. Question d'immortaliser leur passage à  Tipasa. Immédiatement, Tadjouri dégaine d'un geste rapide et précis son appareil prompt à  en faire usage. Avec son éternel sourire, il prolonge la discussion avec ses deux clients, notamment pour leur indiquer les meilleures plages de la wilaya ainsi que les autres sites touristiques qui valent la peine d'être visités. « Avec moi c'est toujours comme ça. Une belle photo et des informations utiles en bonus», lance-t-il.« Certes mon job me procure depuis maintenant 20 ans satisfaction. Non pas parce que je gagne bien ma vie, mais surtout je vis pleinement ma passion. Seulement les années passent et je vieillis. Ce qui est naturel. Sincèrement je pense au moment où je ne pourrais plus exercer mon métier. Car sans retraite ni une rente régulière en perspective, je me demande comment je ferai pour vivre. Rien qu'à l'idée d'y penser je me sens tourmenté », conclut-il.


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