Méthode

«Il vaut mieux avoir une méthode mauvaise plutôt que de n'en avoir aucune.» Charles de Gaulle«D'ailleurs, vous avez fait dans la série sans le savoir!
- Un peu comme M.Jourdain qui faisait de la prose......
- Votre Boudjemâa que vous avez promené sur les routes de Kabylie ou du Titteri, cc'est déjà de la série. Mais dans le choix d'une série, il y a plusieurs difficultés: la première est sans doute le choix de la période historique dans laquelle vous allez faire évoluer vos personnages... Comme j'ai déjà lu une de vos chroniques où, assis à l'ombre d'un caroubier, appuyé contre le mur d'un marabout en ruine, vous donniez libre cours à votre imagination en laissant planer votre regard sur un paysage de votre enfance imprimé dans votre tête, je pense que vous serez tenté par la période romaine.... Mais, là, attention! Il faut être sûr de votre coup. Il faut vous documenter sur les costumes de l'époque, les habitudes alimentaires des montagnards, les outils et accessoires disponibles alors ainsi que la faune et la flore. Vous devez vous en douter que les choses n'étaient pas comme elles sont: chaque envahisseur a amené des choses nouvelles et détruit certaines qui lui préexistaient. Des animaux et des plantes ont disparu, d'autres ont été introduits. Beaucoup s'imaginent qu'un paysage est immuable. Il n'y a qu'à s'absenter pendant vingt ans d'un endroit pour voir la différence. Ne parlons pas des lois, des us et des coutumes. Vingt siècles ce n'est pas rien! Mais, si vous voulez mon avis, pour vous épargner un immense mais instructif effort de documentation, je vous conseillerais de prendre notre époque: ainsi tout le monde se reconnaîtra dans les situations que vous mettrez en scène. Une fois que vous aurez opté pour la tranche d'histoire donnée, le plus difficile sera de présenter une famille type. Inutile évidemment d'introduire une de ces tribus que l'on rencontre dans ces cités surpeuplées où trois à quatre générations d'individus s'entassent dans un minable trois-pièces causant des nuisances sonores intolérables pour les voisins qui ne rêvent que d'aller planter leur tente ailleurs... Non! Il est préférable de choisir une famille dont la taille moyenne est de cinq ou six personnes. C'est la crise économique qui a imposé ce modèle et c'est plus pratique pour un narrateur (et pour le lecteur aussi) de mémoriser les portraits et les caractères des protagonistes du drame ou de la comédie que vous allez mettre en scène. Après ceci, il vous faudra mettre au point les tranches d'âge des principaux acteurs. Là aussi, il faut être non seulement réaliste, mais aussi prévoyant: les époux seront-ils encore dans la force de l'âge, éprouvant l'un pour l'autre de légitimes et passionnants sentiments d'amour conjugal, avec des enfants qui vont encore à l'école ou bien un couple bien mûr voit avec angoisse ou sérénité poindre l'automne de leur vie et dont les enfants sont sur le point de prendre leur envol pour une aventure individuelle' Ces deux cas de figure sont aussi intéressants l'un que l'autre et, moi, je préférerais le premier cas, quand les enfants vont commencer à recevoir l'éducation qui fera d'eux les citoyens de demain. Car il ne faut pas oublier que tout récit doit avoir un but moral sans prétendre en donner des leçons. C'est là que votre talent doit intervenir, la société est assez riche en exemples de situations édifiantes qui ont fait de nos compatriotes ce qu'ils sont aujourd'hui. Et là, je ne veux pas vous influencer sur la méthode à suivre. Vous n'avez qu'à vous inspirer des événements marquants d'une vie pour la restituer le plus fidèlement possible. Evidemment, je ne vous conseillerais pas de prendre la biographie de cette famille attachante d'une manière linéaire, mais de la prendre à un moment précis, comme dans un instantané photographique.»