Algérie

Messaaour Boulenouar Une oeuvre à la mesure du génie qui la portait



Messaaour Boulenouar Une oeuvre à la mesure du génie qui la portait
Publié le 19.11.2023 dans le Quotidien l’Expression

Nous allions le voir souvent. Nous prenions plaisir en sa compagnie. Il était poète et ses vers étaient aussi beaux que sa voix qui les lisait. Il ne cherchait pas à voir leur effet sur nous. C'était juste pour montrer la supériorité du vers libre sur le vers classique, aux règles si contraignantes. Ce jour-là, nous avions eu l'impudence de lui montrer un poème de notre composition. Il était conçu dans le respect de la prosodie classique. Aussitôt, il s'en empare, fait d'abord sauter la rime, s'attaque au vers dont il bouleverse l'ordonnance et nous montre le résultat. Etonnant, car, il nous a semble, qu'en l'écoutant lire, les mots ont acquis dans sa bouche plus de force et la phrase plus d'harmonie. C'était notre première leçon de vers libre.
Mais le maître du vers libre lisait aussi d'autres poètes. Celui qui semblait le passionner le plus était, au début de notre rencontre, incontestablement Pablo Naruda. Le poète chilien parlait de son pays sous la dictature. Messaour fermait le poing en scandant les vers, comme s'il tapait du poing sur une table pour se faire entendre d'un public endormi. Peut être Messaour Boulenouar se voyait-il dans le rôle d'un poète révolutionnaire? Mais lui dénonçait qui, quoi, dans ses vers? Pardi, le colonialisme, l'administration de l'époque qui l'avait envoyé en prison, la misère de l'homme exploité!
Un jour, en pleine saison d'hiver, et que, pour donner à notre visite une raison que nous jugions suffisante, bien qu'elle ait été inutile, ayant à tout moment du jour trouvé tout le temps sa porte ouverte, sauf vers les toutes dernières années, où ses forces déclinantes, ne pouvaient plus lui permettre de recevoir que vers la fin de l'après-midi, où il se réveillait pour se mettre au travail, un jour, disions-nous, nous arrivions chez lui avec un texte improvisé en cours de route. Nous pensions lui faire honneur en montrant que tous les conseils qu'il nous donnait pour nous convertir au vers libre étaient suivis à la lettre. Le maître avait certainement compris l'effort que nous faisions pour être digne de l'amitié dont il nous honorait. Et de fait, une amitié était née entre le maître que la presse encensait et le disciple qui n'avait pour se recommander à lui que son humilité et son amour des lettres.
O joie, pour ce dernier: le texte plut tel qu'il était, mais il était aux antipodes de toute forme de poésie connue.
Le recueil dont il parlait le plus et dont il était certainement le plus fier, car il était, à lui seul, une oeuvre gigantesque, un monument, c'est assurément «La meilleure force». Ce titre résume bien l'esthétique du maître du vers libre. Cette force qui rayonne comme un soleil entend éradiquer le Mal à l'oeuvre pour éteindre toute joie, tout sourire, tout bonheur sur terre. Nous en avons dit un mot ailleurs.
Nos liens d'amitié se renforçant, l'APW de l'époque avait été sollicitée par nos soins pour que le poète assiste à l'ouverture du festival de la poésie scolaire qui coïncidait avec les vacances de printemps. Une voiture alla le chercher chez lui et il passa toute la journée assis sur un banc à écouter des discours et de la poésie. Quel ennui et, surtout, quel manque d'égards! N'aurait-il pas été plus respectueux, s'agissant là d'un invité de marque, de lui tendre le micro pour quelques instants afin qu'il donne son avis sur cet événement culturel? Il garda de cette journée un souvenir détestable, ainsi qu'il devait nous l'avouer plus tard. Des souvenirs de nos visites chez Messaour, nous pourrions aussi parler de celle-là: le wali étant un jour en visite à Sour El Ghozlane, la ville native du poète, et ayant appris sa mort, manifesta le désir de présenter ses condoléances à sa famille. Comme il fallait dire quelque chose, après tout le monde, nous avons prononcé ce mot sur le poète: «...ennemi du vers rimé», provoquant un froncement de sourcil d'un de ses membres. Compréhension tardive: la poétique de Messaour Boulenaour n'a cessé d'évoluer vers une esthétique du beau et de l'harmonie qui intégrait tous les rythmes et toutes les formes. La preuve: le portrait géant de Baudelaire qui trônait dans son bureau juste au-dessus de sa tête!
L'anecdote que nous allons rapporter ici est d'un autre maître: Kaddour M'Hamsadji. Tous deux étaient de Sour El Ghozlane. Tous deux habitaient la cité du Génie. Et ces deux génies que l'art et les lettres rapprochaient par l'esprit, le hasard, peut être le même, rendait voisins. Un mur seul séparait leurs deux maisons. Or, nous confiait l'autre jour l'auteur de «L'épouse», au cours d'une rapide conversation au téléphone, dans la cour du romancier poussait un figuier. Et l'écrivain qui n'était alors qu'un enfant grimpait à l'arbre et, attirant l'attention de son ami dans la cour aussi, lui lançait des figues mûres que l'autre attrapait prestement au vol. Beaucoup plus tard, l'écrivain devait aider à la publication de «La meilleure force» en 1975.
Comment nous l'avons connu? Une telle question peut-elle se poser au sujet d'un grand poète. Messaour Boulenouar est mort en 2015, mais son oeuvre rayonne toujours et les mots qui la composent résonnent dans tous les coeurs.
Ali DOUIDI



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