Algérie

Merouane nous a quittéS discrètement...


«L'esprit oublie toutes les souffrances quand le chagrin a des compagnons et que l'amitié le console...» William ShakespeareLe chapelet s'égrène doucement, assurément, pareil à cette horloge qui nous compte les heures et les retire invariablement de notre existence. Ainsi, comme l'éternel sablier de notre vie, qui est retourné toujours à nouveau, la mort, une vérité incontournable et une leçon continue de la nature, nous apprend chaque jour, chaque instant que fait le Créateur, la disparition d'un des nôtres. Alors, nous disons, est-ce l'impulsion d'une vie difficile qui nous soumet constamment à de rudes épreuves ou est-ce cette étoile inexorable qui est en chacun de nous, et qui s'obstine à nous montrer que nous ne sommes que des créatures qui disparaissent avec cette logique d'une autre vie, dans une perspective consolante d'un bonheur éternel' Oui, la mort est là, présente en chaque être, et notre frère Merouane, qui luttait, depuis quelques jours, contre sa maladie, avec l'esprit du croyant, n'a pu échapper à son destin. C'est ainsi que le Tout-Puissant nous fait admettre qu'il n'y a, dans notre jardin, aucun remède à la puissance de la mort...
Mais est-ce notre sort, que de nous engager, chaque fois, dans une épreuve aussi pénible que difficile pour pleurer la disparition d'un de nos frères avec lesquels nous avons eu de grands souvenirs au cours de nos passionnantes années pour le devenir de notre jeunesse et de notre pays' N'est-il pas pénible de rédiger un papier, sous forme de thrène, à la hâte, pour pleurer le décès d'un intime, ce camarade de classe, avec lequel nous avons eu des liens de sympathie, de respect et de considération'
Les compagnons de la Médersa
Oui, c'est très pénible, surtout quand le défunt se trouve être un proche et, de surcroit, une âme sincère, qui croyait en ce qu'elle réalisait comme charge, tous les jours, pour voir sourire les autres. C'est d'autant plus pénible et contraignant quand il faut aller dans les détails pour revisiter la carrière de cet Homme de Culture, connu pour sa générosité de coeur, un homme qui marchait dans la voie droite et qui, jusqu'à ses derniers moments, tenait à vivre dans la vertu et la noblesse.
C'est vrai..., nous l'admettons; sa disparition est triste et cruelle. Mais, grâce à Dieu, nous trouvons aujourd'hui, nous, sa petite famille et l'autre... sa grande famille, faites de compagnons de la médersa de Ben-Aknoun, de militants des SMA, de joueurs et supporters de l'équipe de basket du Mouloudia et d'une légion d'enseignants dans le noble secteur de l'Education nationale, beaucoup de consolation et de compassion, car nous sommes convaincus de ce qui peut nous apaiser et nous réconforter: «La fin de Merouane Khellaf ne passe pas inaperçue...» En effet, sa disparition, avec la peine et la consternation qu'elle a engendrées, n'est pas anonyme, non pas parce qu'il fut un homme public, doublé d'un éducateur avéré, mais parce qu'il était présent, partout, par son altruisme et sa bonhomie, par son ardeur et sa clairvoyance, par ses activités extra-professionnelles et notamment par sa recherche de la vérité, enfin par la voix de sa nature profonde et de la pureté de son âme et de ses propos.,
D'ailleurs, il a de qui tenir, allez-vous me répliquer... Oui, il a de qui tenir! Son père, Si Mohamed Khellaf, un homme affable, toujours souriant et très respectable..., gérait un tout petit commerce au marché. C'était, par ce gagne-pain, très modeste, mais noble incontestablement, démontrant dans quel milieu baignait sa famille, que Mérouane et ses frères et soeurs, ont été élevés dans la décence, l'honnêteté et la grandeur d'âme. C'était cela, le milieu où immergeait Merouane, cet enfant bien né de l'antique Iol-Caesarea des rois Juba, à travers laquelle, depuis sa prime jeunesse, il respirait l'Histoire de ses glorieux ancêtres qui le comblaient de leurs valeureux souvenirs pour ce qu'ils étaient dans leur lutte pour la justice, le droit, dans leur imagination et leurs perceptions de la vie... Alors, de cette place - qu'on appelait la Romaine - aux couleurs chaudes et variées, et où se déploie le passé dans une chronologie sans intervalle, le potache en vacances, avait l'impression d'être constamment en relation avec l'Histoire de ses aïeux, une Histoire ô combien majestueuse. Et comment, ne l'avait-il pas quand, bien entouré d'hérauts de bon augure, il revivait les images hautement variées que lui léguaient des monceaux de gloire qu'il lui fallait conserver jalousement.
Le jeune Merouane à Alger
De là, de sa ville natale, ancienne capitale à la dimension civilisatrice - nous l'avons dit -, Merouane ira à Alger au Lycée franco-musulman de Ben-Aknoun, s'intégrer dans un nombre d'élèves qui venaient de différentes régions du pays. En cette année, notre peuple avait décidé de se libérer du joug colonialiste, et ce Lycée ou la Médersa, comme on se plaisait à l'appeler, pour paraître plus algériens, était un «nid de vipères», comme nous affublaient les tenants de la colonisation, à cause de notre adhésion précoce à la lutte de Libération nationale. Le voici donc, le jeune Mérouane à Alger, rencontrant d'autres «potaches» qui seront ses frères de combat - le terme n'est pas de trop - dans ce microcosme où il apprenait le «bel arabe» et les bonnes vertus, et où il faisait connaissance avec les chantres de la poésie antéislamique et d'autres de différentes périodes de notre culture. Et c'est là où le terme de «combat» ressemblait à un défi, en cette époque colonialiste. Ainsi, Merouane tombera amoureux de grands poètes de la «Djahiliya», parce que ces poètes ne pouvaient le laisser insensible devant l'élégance de leurs assonances et la splendeur de leurs redondances. Merouane fera connaissance, également, avec plusieurs autres savants et érudits et apprendra la magnificence de cet héritage culturel, le nôtre, que nos ennemis ont occulté pour nous laisser dans l'ignorance, loin de notre riche patrimoine. Et là, dans ce fameux sanctuaire du savoir et de la fraternité, aux côtés des Lakhdari, Boushaki, Stambouli El Hafedh, Boussalah, Djillali Moussali et autres, les Bayou Lakhdar, Ahmed Djebbar, Cherif Tayeb - ces trois derniers seront ministres dans les gouvernements algériens, après l'indépendance -, notre frère Merouane, assidu et engagé, se comportait comme tous ces militants, les vrais, les authentiques qui ne posaient jamais de questions sur le lieu de naissance de leurs amis. Par contre, il nous rappelait, dans sa pureté de l'enfant de la capitale de Juba II, le roi savant, quand nous nous réunissions, en petits groupes, dans «la cour des grands» après notre sortie du réfectoire, alors heureux de nous sentir au coude-à-coude, et heureux de faire fondre nos voix dans des répliques d'espoir... que le «colonialisme est un et l'Algérie est une». Grande sagesse de sa part, n'est-ce pas'
Homme de principe et pétri de qualités
Déjà, en ce temps-là, comme nous tous d'ailleurs, il réfléchissait à l'avenir de notre pays. On se parlait souvent, lui et moi, au domicile de nos parents à Belcourt (aujourd'hui Belouizdad) où nous nous joignions pendant les week-ends. Effectivement, nous abordions, alors que nous étions jeunes à cette époque-là, le dialogue autour de notre mission postindépendance, après nos études, si Dieu nous prêterait vie.
Nos rêves ont-ils été exaucés, au milieu de cette génération de «l'Istiqlal», et Merouane notamment, a-t-il transmis ce savoir dont nous avons été comblés, pendant les années de braise, par les «Cheikhs» Ould Rouis, Belgrade, Agha, Moulay Belhamissi, El Mechri Aouissi et autres Bekada, Causse et Oualid... Comment donc ces rêves n'allaient-ils pas se réaliser quand Merouane, homme de principe et pétri de qualités, ne pouvait s'arrêter au beau milieu du chemin' En effet, des années, après avoir fait de solides études dans ce sanctuaire du savoir, on peut dire que le rêve de notre frère Merouane s'est réalisé dans le cadre de cette noble mission..., la transmission du savoir aux enfants de l'indépendance qui avaient soif d'apprendre, soif de connaître l'Histoire de leurs ancêtres, longtemps recélée par un colonialisme abject.
Et ainsi, sur le plan professionnel, notamment dans le cadre de l'Education nationale, il remplira sa mission sur le terrain avec lucidité et conscience. Son premier poste était déterminant sur le plan de sa carrière, puisque d'emblée, il ira au Lycée Okba, exercer la fonction de surveillant général, une mission assez importante pour un jeune cadre versé dans l'enseignement secondaire. Il partira ensuite en Belgique avec un groupe de professeurs qui devaient perpétuer, sous l'égide de l'Amicale des Algériens en Europe (AAE), l'enseignement de la langue arabe, à notre communauté installée là-bas. De retour au pays, après avoir consommé sa mission au sein de l'Amicale, il sera appelé à diriger le CEM de Staouéli, ensuite celui d'El Mahem, à Cherchell, et enfin pour terminer sa carrière dans l'Education nationale, il accomplira quelques années de gestion à l'IPN, à Alger. Un beau parcours, n'est-ce pas, dans le sacrifice, l'abnégation et le don de soi'
Revenons à l'année 1962, et reprenons son autre parcours, politique et sportif, aussi efficace que productif. On peut dire donc, que l'indépendance, qui lui était un magnifique stimulant, permettait à ce fougueux jeune homme qui regorgeait de sagesse, de dévouement et d'esprit d'initiative, d'aller vers d'autres activités en encadrant et en sensibilisant les enfants de la Cité antique dans les rangs des SMA, avec plusieurs responsables qui aimaient, tout comme lui, la mobilisation de potentialités juvéniles au sein de cette organisation nationale. Il fera un long chemin avec eux, en tant que dirigeant, sans occulter son violon d'Ingres, le basket-ball, qu'il avait déjà pratiqué au lycée, dans le cadre de l'Office du sport scolaire et universitaire (O.s.s.u). Et là, on ne peut occulter sa présence comme l'un des piliers de son club, dans cette génération de la balle au panier. C'était du temps de l'âge d'or du basket-ball algérien, quand le Mouloudia de Cherchell, formé de parfaits coéquipiers à son image, et celles des Hamid Maâzouz, Smaïl Hamri, Mehaouchi dit Siki, Merouane Aguini et d'autres, jouait en division «Excellence» contre des clubs de renom.
Avec des anciens de Ben-Aknoun
Enfin, en revenant une autre fois à 1962 pour évoquer ces moments de cet été exceptionnel où l'espoir se mêlait aux nombreuses manifestations de liesse. Disons un mot sur cette période cruciale où nous nous sentions responsables de cette Ecole algérienne - la nôtre - qu'il fallait ouvrir, pourvoir en maîtres, et faire sentir à «ceux d'en face» que nous ne baissions pas les bras après leur départ massif. Je me remémore ces moments difficiles qu'a évoqués Merouane, comme par hasard, en marge de notre dernière rencontre au «Café littéraire» de Cherchell, ces rencontres soigneusement organisées par le jeune et dynamique orthopédiste, le docteur Rachid Bellahsène. Ce jour-là, avec des anciens de Ben-Aknoun, nous avons pris tout notre temps, autour d'un bon café, pour refaire le monde et, par ailleurs, aborder la situation de l'école algérienne.
Voilà ce qu'était Merouane Khellaf, durant toute sa vie. Un exemple de bonté, de calme et de loyauté. Alors, aujourd'hui, devant cette perte cruelle, nous pouvons lui dire: ah, quelle belle mission, mon frère Merouane, que celle où tu prenais au sérieux tes charges et ta place dans la société qui te consacraient, à juste titre d'ailleurs, au rang d'héritier des prophètes! Car, ne répétons-nous pas, souvent, dans notre culture, ce vers d'Ahmed Chawqi, le Prince des poètes: «Lève-toi pour ton précepteur et accorde-lui une totale déférence, celui-ci n'est-il pas presque à l'image d'un Messager»'
Mais, aujourd'hui nous sommes face à la Volonté de Dieu qui s'est exprimée. Alors, nous te disons, Merouane, tu nous quittes, mais tu laisses un grand vide dans nos coeurs meurtris..., et nous, tes amis, parce qu'ayant été élevés dans les bonnes vertus, nous ne pouvons qu'arborer, avec fierté, les grandes qualités qui ont été les tiennes et la réussite du parcours par lequel tu as marqué ta vie, en attendant demain, la reconnaissance du Tout-Puissant pour l'éducateur, le bon père de famille, et le Messager de la culture que tu as toujours été. Ainsi, par ces mêmes expressions, véhicules de notre profonde affliction, nous ne voulons pas te pleurer, même si les larmes demeurent le seul remède pour apaiser notre incommensurable douleur, nous préférons nous recueillir dans le calme et la dignité, en ayant à l'esprit que tu as laissé une partie de toi-même en chacun de nous.
Adieu Merouane!
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