Algérie

Meriem Bellil, secrétaire générale de l'Association des producteurs algériens de boissons (APAB): «Nous revendiquons l'allègement des droits de douane, non leur suppression»



L'APAB est l'une des associations patronales les plus actives en Algérie. Elle compte parmi ses membres des noms prestigieux comme Hamoud Boualem, NCA Rouiba, Pepsi, Tchin lait, Danone, Cevital, Saida… Et défend une filière qui a réalisé à la fin de l'année 2009 un chiffre d'affaires de plus de 48 milliards de dinars et qui dispose de réelles facultés à l'export.

Tour d'horizon avec sa secrétaire générale qui évoque notamment les mesures d'urgence prises par le gouvernement…

Maghreb Emergent : La production de la filière boissons en Algérie était estimée à fin 2009 à près de 21, 5 millions d'hectolitres. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Meriem Bellil : Nous sommes à plus de 25 millions d'hectolitres avec une croissance annuelle de 10%. Les eaux minérales et eaux de source représentent plus de 41% de cette production, les boissons gazeuses sont de 41% également les jus de fruits, nectars de fruits et eaux fruitées 6 %, les boissons alcoolisées (bière et vins) 12%. La consommation de la filière est en croissance continue, en particulier dans la sous-filière des eaux minérale et eaux de source où les tendances enregistrées depuis des mois attestent d'un phénomène de consommation nouveau chez les Algériens. Les eaux embouteillées d'après les indications que nous avons et que nous publierons sont en phase d'être une sous-filière majeure du marché des produits alimentaires d'accompagnement. La consommation annuelle par habitant était de 22 litres environ en 2009, elle est plus forte en 2010 et le sera davantage en 2011.

Au lendemain des émeutes du mois de janvier 2011, le gouvernement a décidé de supprimer jusqu'à la fin du mois d'août prochain les charges et les taxes douanières sur les produits alimentaires dont les produits mondiaux ne cessent d'augmenter depuis janvier dernier. Satisfaits ?

Ce sont des mesures qui soulagent mais nous ne sommes pas particulièrement enthousiasmés par les actions qui sont prises dans la précipitation et l'urgence. Passer de 17% à 0% de charges ne nous paraît pas correspondre à la réalité économique à laquelle le pays aspire ni à la demande que nous faisons depuis au moins trois ans et qui consiste à revendiquer un allègement des droits de douane, jamais à leur suppression. Nous sommes des opérateurs qui ne cessent pas de suivre les cours boursiers et d'alerter les décideurs sur la montée fulgurante des prix de certaines denrées alimentaires en disant que l'Algérie doit absolument prendre des mesures structurantes évolutives pour prévenir l'inflation et éviter une tension sociale que personne ne pourra contenir. La démarche, selon nous, est de faire comme les autres pays : au Maroc, la TVA sur les produits agroalimentaires est de 7%, en Tunisie, elle est de 5% tandis qu'en France, elle est de 5%. Si on s'était inscrit dans une démarche graduelle, ça aurait suffi et il y aurait moins de contraintes pour le Trésor public. Au lieu de mesures réfléchies, on a eu des mesures hâtives parce qu'on a eu dans le passé beaucoup d'écoute mais trop peu de répercussions sur le terrain.

L'APAB et d'autres associations patronales ont pourtant eu gain de cause en obtenant l'instauration d'une «liste négative» de produits ne devant plus bénéficier des avantages douaniers prévus par l'accord sur la Grande Zone arabe de libre-échange (GZALE).

Nous avons à ce sujet constaté une grande sensibilité et une grande écoute des pouvoirs publics que nous n'avons pas observées au début. Avant la liste, les importations ont grimpé de 9% en moins de six mois. Après, on est revenu à une couverture nationale de 98%. Cela nous incite à insister sur la nécessité à l'avenir de consulter en amont les opérateurs sur certains choix pour éviter le préjudice. Nous ne sommes pas contre la concurrence mais il faut qu'elle s'opère dans les mêmes conditions. En Tunisie et en Egypte, tout exportateur bénéficie d'une subvention. En Egypte, on bénéficie d'un remboursement de 25% du coût de revient du produit exporté. Nous, nous n'avons pas ces mécanismes d'incitation et nous pensons qu'à l'avenir il faut réfléchir dessus.

L'une des grandes faiblesses de la filière, aujourd'hui, est qu'elle importe l'essentiel de ces intrants…..

Quoi qu'on en dise et en dépit de l'existence d'opérateurs qui sont sur le marché depuis une cinquantaine d'années environ, la filière est encore au stade de l'émergence avec tout ce que cette phase suppose comme difficultés et comme incertitudes. Ce n'est qu'avec l'ouverture du marché et l'engagement des PME du secteur dans les processus de modernisation et de mise à niveau de leurs moyens de productions qu'on a commencé à voir s'installer une dynamique visant à réduire les importants et à accélérer les processus d'intégration. Cet engagement est nouveau et contraint même. Cela dit, le gros problème auquel nous faisons face aujourd'hui est celui de la fragilité de l'amont agricole qui représente le maillon stratégique dans toute industrie agro-alimentaire, segment des boissons compris. Cette fragilité rend par exemple obligatoire d'aller chercher les arômes sur les marchés extérieurs parce qu'ils ne peuvent pas être produits localement. D'autres produits peuvent l'être à condition d'un vrai travail d'acquisition technologique et de savoir-faire mais ce n'est malheureusement pas le cas. L'emballage en verre qu'on peut fabriquer en Algérie n'existe pas parce qu'il n'est pas conforme aux normes. Un de nos opérateurs qui souhaitait travailler avec des unités algériennes publiques et privées de verre a eu 20% de déchets, ce qui est énorme à supporter en termes de coûts et oblige les producteurs à se rabattre sur les produits de Turquie et de Tunisie, moins chers et d'excellente qualité.

Les prix mondiaux du sucre, en dépit d'une relative stabilité, connaissent une tension comme les autres groupes de produits alimentaires et se répercutent sur la consommation dans beaucoup de pays. Quelle attitude auriez-vous si l'importation de cette matière n'était pas concernée par les mesures prises par le gouvernement en janvier dernier.

Nous avons signé avec Cevital des conventions nous garantissant des prix fixes pour une période déterminée. Certains producteurs ont des conventions portant sur un trimestre, d'autres sur un semestre. Si les prix augmentent sur les marchés tant mieux pour les producteurs, si les prix baissent tant mieux pour le fournisseur et ce sont les deux parties qui adhèrent à ce concept « win win ». Cela dit, les conventions sont revues sur la base des éléments du moment et en fonction du contexte. De juillet à décembre dernier, le prix du kilogramme de sucre en hors taxe était de 55 dinars. Depuis janvier 2011, nous enregistrons des augmentations de l'ordre de 150 à 200%. Ce qui fait qu'on n'est plus du tout sur le même ordre de prix que ceux du second semestre 2011 et que cela mettra après août prochain, quand les mesures prises par le gouvernement arriveront à échéance, une grosse pression sur les marges des producteurs si cette augmentation se poursuit.

L'APAB ne cesse d'alerter sur les dangers de l'informel sur la filière. Elle met en garde contre les risques d'une production « noire » à l'intérieur du secteur mais ne donne pas de chiffres précis sur le phénomène. Pourquoi ?

 L'association n'est pas encore outillée pour communiquer des chiffres précis sur le phénomène de l'informel. L'Etat lui-même n'en est pour l'instant pas capable et n'avance que des estimations sur lesquelles nous travaillons par ailleurs en ayant pour souci majeur, maintenant, la question de la santé du consommateur et des risques pour lui de consommer des produits « sauvages » et n'étant soumis à aucune forme de contrôle ni de traçabilité. Cela dit, pour revenir à l'estimation de l'étendue de l'informel, la consultation du fichier du Centre national du registre du commerce (CNRC) nous dit que la filière occupe quelques 1600 producteurs. Or, par expérience, nous savons bien que nous ne tournons à pas plus de 600 opérateurs, ce qui laisse une marge importante pour chiffrer l'informel qui serait selon nous à plus de 50% si le surplus existe réellement. Je dis cela parce que nous savons qu'au CNRC, les opérations d'actualisation sont tardives ou ne sont pas faites. Beaucoup d'entreprises arrêtent leurs activités mais ne déclarent pas leur cessation. La classification des opérateurs n'est pas rigoureuse non plus et un importateur d'arômes peut donc se retrouver dans la rubrique des producteurs de boissons.

De quels outils disposez-vous pour lutter contre l'informel ?

Nous ne sommes pas dans une logique frontale par rapport à l'informel. Nous nous disons, au contraire, que les fabricants qui y sont emploient des Algériens et résorbent à leur manière une partie du chômage et de la pression qu'il y a sur le marché de l'emploi. L'opacité sur le fisc s'accompagne très souvent d'une opacité sur la qualité du produit et cela peut-être d'un grand danger sur la santé du consommateur. Notre logique est d'Å“uvrer à leur intégration progressive dans la sphère réelle en insistant avec eux sur la qualité et la nécessité de travailler dans les règles et les normes de l'économie.

Les professionnels de la filière organisée sous l'égide de l'APAB sont engagés depuis plus d'une année dans une série d'actions pour une meilleure qualité des produits. Certaines d'entres elles doivent aboutir en ce début d'année 2011. Est-ce le cas ?

Notre fameux projet de labellisation est en cours de finalisation avec la collaboration et l'appui de la GIZ (ex-GTZ). Il devrait être fin prêt dans quelques semaines à la fin de ce 1er trimestre 2011 et permettre aux acteurs de l'APAB de gagner la bataille de la qualité dans laquelle elle s'est engagée. Nous travaillons également sur l'élaboration d'un manuel des bonnes pratiques d'hygiène en milieu industriel qui verra le jour dans les prochains mois ainsi que sur la mise en place d'une cellule de veille et de normalisation qui sera opérationnelle courant 2012. Nous veillerons à respecter le calendrier de ces actions parce qu'il n'y a pas d'autre choix pour nous que de mettre les meilleurs produits sur le marché et de positionner avantageusement la filière locale auprès du consommateur algérien.




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