Le phénomène des mères célibataires est une réalité criarde. Mais le jugement
d'une société qui refuse d'admettre ce fait social, qui prend de plus en plus
d'ampleur, finit par contribuer à l'aggravation de ce phénomène et condamne les
enfants nés sous X. La majorité des mères célibataires rejettent leurs enfants
de peur d'être rejetées par leurs familles et par la société. Les sociologues
affirment que ce phénomène a pris de l'ampleur, ces dernières années, pour
diverses raisons : la pauvreté qui a poussé des jeunes filles à la prostitution,
l'ouverture médiatique, la moyenne d'âge du mariage qui dépasse les 28 ans pour
les filles et 33 ans pour les garçons, ce qui les poussent à chercher des
relations hors mariage, car ils n'ont aucune perspective de pouvoir fonder, un
jour, un foyer à cause, notamment, de la crise du logement et du problème du
chômage.
Selon la direction de l'Action sociale, 172 enfants abandonnés ont été
recueillis par la pouponnière l'année dernière. Alors que depuis le début de
l'année une quinzaine d'enfants ont été placés dans cette structure. En fait, ce
chiffre ne concerne que les plus «privilégiés» d'entre les nouveau-nés
abandonnés, à savoir ceux laissés dans les maternités ou encore ceux déposés
volontairement par leurs mamans au siège même de la pouponnière. Car par manque
d'informations, les mères célibataires, de crainte d'être reconnues et
identifiées, au lieu de s'adresser au centre d'accueil des enfants ou aux
pouponnières, préfèrent abandonner leur progéniture dans la rue. Devant des
conditions climatiques difficiles, ces nourrissons finissent par périr. Cette
année 10 nouveau-nés ont été découverts dans les rues d'El Bahia. La plupart
ont été découverts morts et leurs dépouilles évacuées vers la morgue. En 2011, une
trentaine de cadavres de nourrissons ont été découverts abandonnés dans les rues
et les quartiers de la wilaya d'Oran. Constituant des proies pour les animaux
errants et victimes des mauvaises conditions climatiques, certains bébés ont
été découverts en état de décomposition très avancé, mutilés,
morts par strangulation ou par hypothermie. Le cas le plus stupéfiant est celui
d'une jeune maman et son nouveau-né découverts en état de décomposition très
avancé dans la «Forêt des lions», dans la localité Benyebka . Un nouveau-né de
sexe masculin a aussi été découvert dans une valise devant un bain maure à Sidi
El-Bachir. D'autres ont été découverts dans des
décharges ou des gares routières entre autres.
VICTIMES ET REJETEES PAR LA
SOCIETE
Ce sujet encore peu évoqué en Algérie, car une grossesse illégitime qui
constitue un tabou sur le plan social est également un péché du côté religieux.
Or, le nombre d'enfants nés de relations hors mariage ne cesse d'augmenter. A
Oran, la situation est devenue plus que jamais inquiétante. Des nouveau-nés
sans vie sont souvent découverts par la gendarmerie nationale ou la police. Selon
une étude faite par Mme Yamina Rahou
chercheur au centre de recherche en anthropologie, sociale et culturel (CRASC) d'Oran,
«parler des mères célibataires dans notre pays, c'est parler de la
transgression d'un tabou, de la violation d'un interdit celui de la grossesse
hors mariage. Les mères célibataires sont une réalité occultée, niée mais
figurant sur les registres et les statistiques des hôpitaux et de la direction
de l'Action sociale, à travers l'abandon de l'enfant. Les jeunes filles, femmes
venant dans la plus part des cas accoucher dans l'anonymat, en milieu
hospitalier, sont appelées dans le milieu médical : cas social. Leur sort, leur
devenir n'intéresse officiellement personne, ni les structures de l'Etat ni les
services sociaux. Leur nombre est de plus en plus croissant. Le paradoxe d'une
société patriarcale : incriminer la mère et de déresponsabiliser le père. La
société incombe la responsabilité de la grossesse uniquement à la femme. Dans
cette situation, le rapport à l'homme est exclu. La loi d'inspiration moraliste
et religieuse nie la femme devenue mère célibataire. Certes si l'interdit
touche l'homme et la femme, l'attitude de la société est plus tolérante et
permissive envers l'homme. Elle reflète une société qui cultive la culture de
la ruse. Les normes et les règles qui régissent notre société sont ébranlées
par l'existence des mères célibataires, une catégorie qui d'ailleurs a toujours
existé mais dont la régulation s'est faite par des stratégies qui tentaient
d'atténuer et de rendre invisibles le phénomène, à travers le mariage précoce, infanticide.
Actuellement face aux mutations de la société : l'allongement de l'âge du
mariage, l'instruction, le travail, la mobilité des femmes et les exigences de
leur aspiration en tant qu'individu font que les modes de régulation anciens et
traditionnels, même s'ils persistent deviennent obsolètes. Cette transgression
par la mère célibataire pose le problème du statut de la femme en tant
qu'individu autonome dans la société et dans ses relations avec autrui». Selon
un sociologue, «beaucoup pensent que les relations affectueuses sont la raison
exclusive de la grossesse, ce qui est en réalité totalement faux, puisque dans
une grande partie des cas, les mères célibataires ne sont que des victimes. Certaines
ont été violées et sont nombreuses qui par peur ou par ignorance renoncent à
dénoncer et préfèrent fuir le foyer familial, et mettre au monde leur enfant et
l'abandonner par la suite».
54 MERES CELIBATAIRES ONT RECUPERE LEURS ENFANTS
L'étude de Mme Rahou ajoute que «la plupart des
mères célibataires abandonnent leurs enfants, celles qui décident d'assumer
leur maternité à savoir d'assumer leur rôle de mère célibataire subissent une
double discrimination: celle d'un individu ayant transgressé un interdit à
savoir enfanter en dehors du mariage légalement établi, celle de femme désirant
assumer sa responsabilité seule vis-à-vis de son enfant, en dehors de la
reconnaissance paternelle. Cela dit, elle est sanctionnée pour ne pas avoir
respecté les règles et les normes établies en matière de grossesse et
sanctionnée pour avoir respecté sa mission de mère.
Par ailleurs celles qui tentent d'entamer une procédure de reconnaissance
en paternité, sont souvent déboutées car la loi ne leur permet pas de
poursuivre le géniteur en justice. La filiation de la mère est attribuée à
l'enfant au cas où cette dernière reconnaît l'enfant, car il existe des enfants
nés sous X. Le géniteur n'a aucune obligation à reconnaître l'enfant sauf dans
le cas où la mère est mineure. Certes la grande majorité des jeunes filles, femmes
ayant eu des enfants hors mariage, finissent par abandonner ses nouveau-nés car
dans la plupart des cas elles n'ont pas désiré leur grossesse et aussi faute de
soutien et de prise en charge.
Mais, il existe des femmes et des jeunes devenues enceintes et souvent
rejetées par leur partenaire mais qui décident
d'assumer la garde de l'enfant. Elles font preuve d'une conscience aiguë de
leur responsabilité et d'un niveau de maturité élevé. Elles disposent aussi
d'un emploi pour pouvoir assurer l'entretien de leurs enfants. Ces femmes
assument leurs rôles de mères malgré l'hostilité de la famille, de la société
et malgré leur négation par la législation». Durant les deux dernières années, 54
femmes célibataires ont récupéré leurs enfants.
Les mères qui abandonnent leurs enfants ont trois mois pour revenir sur
leur décision si elles émettent le vÅ“u de les récupérer dès le premier mois de
l'abandon. Une fois le délai expiré, l'enfant sera systématiquement placé en
milieu familial… Les services concernés (pouponnière ou centre d'accueil) se
portent garants de la discrétion pour tout ce qui touche à l'identification de
la mère biologique. D'autre part, 236 enfants ont été pris en charge par des
familles d'accueil, dans le cadre de la «kafala », durant
la même période. Selon une source de la direction de l'Action sociale «la
demande de kafala exprimée par les couples est plus
importante que le nombre d'enfants abandonnés». Sur plus de 400 demandes
exprimées en moyenne annuellement, quelque 150 cas aboutissent. La famille «kafila» a toujours le libre choix du sexe et de l'âge de
l'enfant. Le travail ne s'arrête pas là car une enquête sociale, économique et
psychologique doit se faire d'abord sur les lieux pour s'assurer que l'enfant
grandira dans des conditions favorables et que le couple est vraiment prêt à
ouvrir ses bras à cet enfant pour lui offrir le lien de parenté, dont il a été
privé par ses parents biologiques, pour le reconstruire et le vivre pleinement
avec ses parents adoptifs. Une fois l'enquête bouclée, les dossiers présentés
doivent passer par une commission présidée par le directeur de la DAS qui décidera, au cas par
cas, du placement de chaque bébé. Toutefois, pour une grande partie des
personnes nées hors mariage, vivre dans une société qui les rejette pour être
nées sous X n'est guère facile à supporter. C'est souvent cette
injuste attitude adoptée par la société envers les enfants nés sous X qui est à
l'origine de la souffrance et de la majorité des traumatismes psychologiques
que subissent les enfants abandonnés par leurs parents biologiques.
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Posté Le : 27/02/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : J Boukraâ
Source : www.lequotidien-oran.com