Algérie

Mémoires vives



Mémoires vives
Les ombres de la guerre civile planent toujours sur le cinéma libanais...Ces dernières années, plusieurs cinéastes sont revenus, avec des expressions et formes diverses, sur cette période tragique de l'histoire contemporaine du Liban. Waynoun (Où sont-ils'), projeté en compétition officielle au Festival de Annaba du film méditerranéen, clôturé mercredi soir au Théâtre régional Azzedine-Mihoubi, est réalisé par sept jeunes cinéastes sortis de l'université de Notre-Dame-de-Louaizé en 2013.A travers le récit de la journée de six femmes d'âges différents, le long métrage, pareil à une recomposition de puzzle, évoque la question des disparitions forcées de la guerre civile. Dix sept mille Libanais, selon des organisations des droits de l'homme. Les personnages parlent avec émotion et amertume de leurs proches, partis dans la tourmente du conflit. Ont-ils été tués' Ont-ils quitté le pays ' Qui est responsable 'Une mère attend chaque jour le retour de son fils, parle comme s'il était avec elle, lui prépare le repas. Une fille pleure l'absence du père. Et une femme entre deux âges comble le vide laissé par son mari par une aventure amoureuse avec un jeune homme. Les gros plans dominent dans ce film puisqu'il est question d'explorer toutes les expressions de douleur. L'atmosphère est mélancolique, tout ou presque se passe à l'intérieur. Le soleil a peu de place dans ce film au rythme lent mais régulier.Au montage, tout ce qui sert la thématique du long métrage est gardé. Le scénario de Georges Khabbaz (également metteur en scène au théâtre et comédien) est saisissant, bouleversant. La guerre n'est jamais évoquée ouvertement, ni les protagonistes du conflit. Aucune responsabilité n'est située. Seuls les sentiments humains et les déchirements provoqués par l'absence des proches sont mis en valeur. Le film montre le célèbre rassemblement des familles des disparus de la place du Parlement à Beyrouth, un des plus anciens au monde.Il est organisé depuis le retrait de l'armée syrienne de Beyrouth en 2005, cinq ans après le départ de l'armée israélienne. Il rappelle le sit-in des Mères du Samedi de Buenos Aires et le rassemblement des familles des disparus à Alger, lequel était souvent empêché par la police. «Nous posons la question : Où sont-ils ' C'est une manière pour nous de sauvegarder la mémoire des victimes des disparitions forcées. Personne ne s'intéresse à leur sort actuellement au Liban», déclare Salim Habr, l'un des réalisateurs.L'enseignant en art cinématographique, Sam Lahoud, producteur du film, a estimé qu'il était important de soumettre un tel sujet à des étudiants fraîchement diplômés pour les inviter à explorer le grenier tourmenté du Liban. «Je fais confiance aux jeunes. Je trouve géniale l'idée de donner l'occasion aux jeunes de réaliser collectivement leur premier long métrage de fiction. J'ai créé avec Nicolas Khabbaz (coproducteur), un festival qui s'appelle Qowatou al chabab (La force des jeunes). Nous avons choisi de traiter le drame de la disparition à travers le regard des femmes. Dans les pays arabes, les femmes expriment le mieux les sentiments et les douleurs.La femme gère la société, mais elle n'est pas respectée. Ses droits sont souvent bafoués. C'est un paradoxe», a-t-il souligné. Dans Waynon, l'homme est presque à la marge, ne parle presque pas. La guerre est d'abord une affaire d'hommes. Et ceux qui torturent sont presque uniquement des hommes. Alors coupable ' Oui. Coupable et responsable. L'homme dans Waynon est dans une posture attentiste, réagit à la douleur mais pas au point de refaire la géographie du monde. Les femmes attendent également, mais leur souffrance est plus vivace, plus tenace.Aucune mère ne peut oublier son enfant. Et aucune force au monde ne peut effacer de sa mémoire un enfant porté pendant neuf mois. Selon Sam Lahoud, l'influence syrienne au Liban a empêché tout débat sur la question des disparitions. Les milices pro-israéliennes ou pro-syriennes portent, selon lui, une certaine responsabilité. «Les femmes qui manifestent devant la place du Parlement n'ont reçu à ce jour aucune réponse», relève-t-il.Salim Habr explique que des images réelles sont ajoutées au dernier chapitre du film. Les femmes du rassemblement ont accepté d'être filmées et de s'exprimer. «Nous avons fait une fiction, mais ces femmes ont vécu réellement cette situation avec leurs pères, frères, fils ou maris», a-t-il noté. «Au Liban, la vie reprend après une explosion. C'est quelque chose qui est dans la culture. Le Liban a un passé phénicien.En dépit de tous les problèmes, nous continuons de vivre», appuie Sam Lahoud. Ce film récent fait partie des productions du cinéma indépendant libanais toujours en quête de financement. Waynon est sélectionné au nom du Liban pour l'Oscar du meilleur film étranger en 2016. Le film a été primé dans plusieurs festivals aux Pays-Bas, en Suède, aux Etats-Unis, au Maroc et en Egypte. Pour sa part, Rana Salem offre dans Al Tariq (La route), une autre lecture de la guerre civile et des événements douloureux que le Liban a vécus et qu'il continue à vivre par intermittence.Dans ce film aussi, il est question de départ. Les Libanais sont de grands voyageurs. Les jeunes ont tendance à quitter le pays vers d'autres destinations (Moyen-Orient, Golfe, Asie et Europe) pour poursuivre leurs études ou s'y installer. Il y a peu de dialogue dans Al Tariq, l'histoire d'un couple qui vit à Beyrouth. Rana abandonne son poste de travail et plonge dans le spleen, alors que Guy s'active dans l'agriculture et dans l'animation de soirées branchées. Il veut croire à la possibilité d'avancer, de sortir des lourdeurs du passé, de dépasser les blocages.Mais Rana, portée par une force négative, semble ne croire plus à rien. Elle décroche un tableau dans sa chambre pour se mettre devant l'appareil photo et prend des clichés d'elle-même sur fond blanc. Crise d'identité ' Rana parle peu. Une caméra curieuse et voyeuriste filme tout cela. Une caméra qui tente même de dévoiler le passé.Le silence est le personnage principal de cette fiction qui sort des codes habituels de la dramaturgie. La bande son est un autre élément esthétique de ce film qui frôle les murs bas du surréalisme. Comme Waynon, Al Tariq est un travail sur la mémoire. En cours de route, le couple reconstitue une mémoire perdue, mais pas totalement. Puisque Rana et Guy paraissent toujours tourmentés. Le passé enchaîne parfois le présent. «Le couple symbolise la ville. Si j'avais à décrire Beyrouth ou le Liban, ça serait un puzzle.C'est un pays difficile à décrire ou à cerner et qui est beaucoup de choses à la fois. Le film porte des questionnements : qu'est-ce qu'être libanais aujourd'hui au Liban, un pays de guerre continue 'En moyenne, nous avons une guerre tous les dix ans. Et entre chaque guerre et une autre, il y a les attentats et les explosions. Il est difficile d'imaginer le futur du Liban. Nous sommes qui ' Quoi ' On est Arabes, chrétiens et musulmans. Nous parlons trois langues. Nous sommes à la fois modernes et traditionnels», explique Rana Salem, l'une des étoiles montantes de la mise en scène et du jeu d'acteurs au Liban.La cinéaste appelle à explorer d'autres terres. Pour elle, Beyrouth, dans son exiguïté, est devenue stressante, étouffante. Rana Salem se libère en laissant la caméra balayer collines, plaines et forêts. Besoin d'évasion ' «Le silence est nécessaire. Cela fait bien longtemps que nous n'avons cessé de parler.Il faut observer un peu de silence pour mieux réfléchir et comprendre les choses, ce qui nous entoure. Après la guerre, il y a eu un pardon. On ne parle pas de la guerre, du passé. Pour moi, c'est un problème. Il est important de revenir au passé pour pouvoir se réconcilier avec soi-même», a conclu Rana Salem. Deux films, deux versants d'une même réalité où les douleurs accumulées rejaillissent sous une forme ou une autre.




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