Algérie

Mémoires de fossoyeurs de Nourdine Ouchfoun L’histoire du cimetière El Kettar



Publié le 11.08.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
MERIEM GUEMACHE

A travers cet ouvrage, le lecteur découvre comment l’un des plus anciens cimetières d’Alger «le cimetière El Kettar» a été créé. Cette nécropole, coincée entre Bab-El-Oued et la Haute Casbah, est un haut lieu de mémoire.
Dans son livre intitulé Mémoires de fossoyeurs, publié avec le soutien du ministère de la Culture et des Arts, Nourdine Ouchfoun nous entraîne dans la vie algéroise du XIXe siècle. Un récit historique et familial.
Dès les premières pages, le lecteur plonge dans l’ancienne médina : «La Casbah, ville protégée par des murailles, avait plusieurs portes desservant différentes directions. Les Kasbadji étaient chargés de l’ouverture de ces portes qui assuraient la sécurité de la ville.» La cité millénaire dévoile ses charmes. «Les fontaines ombragées, par le jasmin, mesk el leil, les porteurs d’eau livrant le précieux liquide dans des jarres rutilantes (...) Les senteurs qui s’échappent des marmites dans lesquelles des plats de la cuisine algéroise viennent chatouiller les sens. La vie à l’intérieur des maisons, les cris d’enfants, le son régulier du Mahraz (pilon).»
A 18 ans, Mhamed cultive les terres de ses ancêtres sur les hauteurs d’Alger, à Bouzaréah. Ali, son père, lui a appris tous les secrets de ce dur métier. Le jeune cultivateur écoule les fruits et légumes qu’il produit, auprès des commerçants de la Casbah : «Il a fait de nombreux voyages avec son père au cours desquels il a appris la manière de mener une discussion, de négocier avec les clients.»
Lorsqu’il fait un tour à la Casbah, Mhamed ne rate jamais l’occasion d’aller saluer Si Larbi, l’ami de son père qui tient une auberge dans la vieille cité. Larbi offre un café chaud aromatisé d’eau de fleur d’oranger au jeune paysan. Il fait part de son inquiétude à son invité : «La Baie d’Alger est encombrée de navires depuis plusieurs jours sans que personnes n’en sache la raison. Certains bateaux s’éloignent, d’autres sont de retour ; l’air est pollué par la combustion des machines à vapeur, le ciel est assombri et le soleil est caché par d’épais nuages de fumée. Nul ne connaît leur provenance. La population inquiète cherche des explications. L’armée ottomane reste cantonnée dans les casernes.»
La vie des Kasbadji sera complètement chamboulée avec l’expédition coloniale de 1830. Mhamed épouse Khdaoudj, la fille de Si Larbi, en 1840. A la Basse Casbah, de gigantesques travaux sont lancés par le génie militaire français. Des quartiers sont rasés. Des mosquées démolies. Une partie du cimetière de Sidi Abderrahmane est détruit. Il faut trouver un autre espace pour enterrer les défunts ordonne le colonisateur. «L’administration décide de créer un cimetière pour la ville à l’extérieur des murs. Le choix s’est donc porté sur le terrain de Si Larbi, trois hectares d’arbres fruitiers, une distillerie et une auberge relais.» Larbi est dépité. Il doit renoncer à son métier sous la contrainte de l’administration coloniale et devenir fossoyeur et conservateurs des gisants. «Hier, mon métier c’était la distillerie, la fabrication des essences, des parfums, la production de miel et maintenant je me retrouve à accueillir les morts.» Il propose alors à Mhamed, dont le père vient de passer de vie à trépas, de travailler avec lui. C’est ainsi que dès le début de l’année 1847, Si Larbi et Mhamed, épaulés par des habitants de Bab-Jdid, lancent les travaux de ce qui deviendra le cimetière El Kettar. «El Kettar est devenu le cimetière de la ville d’Alger. Mhamed y plante des arbres, les carrés sont numérotés afin de faciliter la recherche des tombes et un registre est créé pour la bonne gestion du lieu.»
Si Larbi quitte son travail au cimetière pour celui d’ébéniste à la Casbah. Il est remplacé par Mhamed qui endosse le costume de conservateur et fossoyeur officiel de cette nécropole. Sa demeure à la Bridja où il vit avec femme et enfant lui plaît.
«Au fond de la cour, une source coule dans un bassin à l’ombre d’une treille. Le cadre est calme, silencieux. Les seuls voisins dorment pour l’éternité (...) Sa famille est à l’abri des roumis qui n’osent pas venir roder dans les cimetières (...) On vit bien à El Kettar, les enfants, les adultes aiment leur Bridja, la cour, le cimetière avec ses chemins en zigzag et pentus, ses escaliers.»
La saga familiale racontée par Nourdine Ouchfoun inclut les grands événements historiques qui ont marqué notre pays comme la guerre de libération nationale, les Première et Seconde guerres mondiales, la Bataille d’Alger, l’indépendance....
Le cimetière El Kettar porte le nom du chahid Hassen Ouchfoun.
Nourdine Ouchefoun est né à Alger en 1944. Il a passé son adolescence dans la banlieue ouest de la capitale. En 1975, il est diplômé de la Faculté de médecine d’Alger.
Passionné d’histoire, de civilisation et de culture en général, il décide de se lancer dans l’écriture en publiant son premier livre intitulé Mémoires de fossoyeurs, un récit historique avec une petite part de fiction.
Meriem Guemache
Mémoires de fossoyeurs. Nourdine Ouchefoun. 2024. 181p. 600 DA.
MERIEM GUEMACHE





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