Il y a 20 ans, le 24 mars 1992, en plein mois de Ramadhan, au petit matin, à 6 h 40 minutes, deux véhicules de type 4x4 et une petite Fiat s’immobilisent devant le domicile de Mellouk, à Blida. En descendirent onze hommes armés. Neuf d’entre eux, habillés de tenue de combat, étaient munis d’armes de guerre.
Les deux autres étaient des policiers en civil de Blida : le directeur de la sûreté de la wilaya et le commissaire des renseignements généraux (RG). Le domicile fut rapidement encerclé et trois «ninjas» escaladèrent lestement les murs de la maison. Ils poussèrent leur brutalité jusqu’à trouer le toit de la maison. Au moment où deux soudards sautaient dans la cour, Mellouk se hâta d’aller ouvrir pour que ceux qui tambourinaient avec rage sur la porte ne la fracassent pas.
Panique
Les enfants, une fillette de 5 ans et un garçon de 15 ans, hurlaient leur terreur. La famille ne savait pas ce qui se passait et Mellouk en vint à penser avec horreur à une attaque terroriste. Les civils pénétrèrent dans la maison sans daigner montrer un document prouvant la légalité de leur intrusion. «Ils me demandèrent immédiatement où je cachais les originaux des documents qui accusent les magistrats faussaires», se souvient Mellouk. Il leur avait répondu qu’il les avait remis à son avocat. Ils se saisirent d’une mallette contenant 120 copies de dossiers et enjoignirent à Mellouk d’embraquer dans la Fiat qui fut escortée jusqu’au siège de la police par les deux autres véhicules.
La veille, Mellouk avait annoncé une conférence à la maison de la presse d’Alger et affichait sa volonté de parler, preuves à l’appui, des falsificateurs. L’avant-veille, il avait reçu un avis lui enjoignant de se présenter devant le juge mais sans précision de date. Plus tard, les avocats trouveront dans son dossier une autre convocation pour le 29 mars, mais celle-ci ne lui avait pas été notifiée. Il est ensuite pris en charge par une équipe d’hommes en armes commandés par un officier. Ceux-là viennent d’Alger. Les transports, des véhicules de pompiers, filèrent à vive allure dans la Mitidja. Destination, le commissariat central d’Alger. Là, on le laisse mijoter durant plusieurs heures.
L’homme, qui est ainsi victime d’un quasi kidnapping, ne sera présenté à Malek Benhamou, le procureur général-adjoint et à Hellali Ali, le juge d’instruction qu’assez tard, une fois le tribunal d’Alger entièrement déserté. Lorsque les responsables des juridictions agissent dans l’illégalité pour commettre des infractions, voire un crime, comme l’aura qualifié en ce moment maître Miloud Brahimi, puisqu’ici leur action tombait sous le coup de l’article 107 du code pénal, ils n’hésitent pas à agir aux heures entre chien et loup et même durant le week-end. L’entrevue avec Malek Benhamou fut plutôt brève.
Kidnapping
Le kidnappé est confié aux bons soins d’un juge d’instruction. Voyant que ce dernier n’avait point l’intention de respecter la procédure, Benyoucef Mellouk remarqua : «Vous allez m’interroger sans la présence d’un avocat '». «J’ai des instructions pour le faire et je le ferai, sinon…», lui fut-il répondu. «J’ai compris, dit l’accusé, qu’il avait pour instruction de monter un dossier en piétinant la loi et ses procédures». Et, d’ajouter : «Je reconnaissais dans cette démarche la main de Abdelmalek Sayah, le procureur général d’Alger. Ce dernier est actuellement (2012) chargé de l’observatoire des drogues». Les hommes qui dirigeaient d’une main de fer les juridictions n’étaient pas les seuls à le vouer aux gémonies.
Tout le corps des magistrats était en émoi. Un peu plus tard, les premiers responsables du syndicat des magistrats, en l’occurrence son président Berime et son vice-président Tayeb Louh, (actuellement ministre du Travail), bientôt suivis par l’association des magistrats dirigée par Fentiz, ainsi que par la section syndicale de la Cour suprême signèrent des communiqués dans la presse pour dénoncer la publication du dossier. Certaines de ces organisations déposèrent plainte contre Mellouk, rejoignant ainsi le conseiller à la Cour suprême, Kherroubi Abderrahim, qui était le premier à ester en justice Mellouk et le journaliste Aderrahmane Mahmoudi, alors directeur du périodique L’Hebdo libéré, suite à la publication des documents qui prouvaient les forfaitures commises par des hommes censés être les premiers remparts de la défense de la justice. C’est devant Abderrahmane Mahmoudi, le premier que s’ouvre la porte de la prison. Il y restera pendant près de trois semaines et ne sera relâché, en même temps que Mellouk, que le 1er avril 1992.
Ce dernier était loin de se douter qu’il entrait dans une nouvelle vie faite de poursuites judiciaires, de séjours en prison, d’interdiction de sortie du territoire, d’incessantes pressions et de menaces de mort à son encontre et à l’encontre des siens. La machinerie mise en branle par les pouvoirs publics pour défendre tous les faussaires sera impitoyable et elle n’a, depuis ce mars 1992, jamais ralenti ses terribles engrenages. Objectif : broyer cet homme qui osa pousser son outrecuidance jusqu’à remplir scrupuleusement la mission que lui avait confiée, 17 ans auparavant, en 1975, son employeur et garde des Sceaux, B. Benhamouda. En 1975, ce dernier avait sorti une liste établie par Mustapha Taybi qui était alors directeur du personnel et de l’administration ainsi que des coupures de journaux des années cinquante qui citaient de très nombreux noms d’employés des juridictions coloniales pour demander à Mellouk de «virer tout ça». Lorsque le scandale éclata et que Mellouk fut envoyé au trou, Benhamouda oubliant qu’il était le donneur d’ordre, ferma les yeux, se boucha les oreilles et se détourna de son ex-subalterne. Quel courage !
L'état contre le droit
En 1992, Mellouk est inculpé et embastillé. Son passeport sera confisqué durant 16 ans et ne lui sera restitué qu’en 2008. Ce n’était cependant pas le plus dur. Son employeur va d’un trait effacer tout simplement les 27 ans durant lesquels il a été fonctionnaire. Il n’a même pas eu droit à un licenciement réglementaire. Ce fut comme ça, pffft…, d’un simple geste, sur décision du prince, verbalement, cyniquement, cruellement. Son salaire est suspendu, les allocations familiales de ses enfants, l’accès aux soins couverts par la Caisse nationale de sécurité sociale et même son droit à la liquidation de sa retraite sont, tout bonnement, gommés. C’était pour ce ministère, pour la justice algérienne et pour l’Etat algérien comme si Mellouk n’a jamais existé.
Les tribunaux le poursuivirent durant deux décennies. Il est encore arrêté en 1997 et emprisonné durant trois jours pour le préparer au procès sur plainte du faussaire Abderrahime Kherroubi et le syndicat des magistrats. Dans le même procès, poursuivi par les mêmes plaignants, Abderrahmane Mahmoudi était accusé de diffamation. En 1999, nouvelle incarcération durant deux nuits à Serkadji. Il est, à l’issue du procès, condamné à trois ans de prison avec sursis. Mahmoudi est, pour sa part, relaxé. Le petit homme (il ne doit pas faire plus d’un mètre soixante pour juste un peu plus d’une cinquantaine de kg) est, pourtant, un phénomène de la nature, résistant comme un os, un véritable Little big man.
Malgré tout ce qu’il a subi à partir de 1992, il n’a jamais lâché. Il reste sur la brèche, occupe l’espace médiatique, se défend, fait des déclarations, fait appel à ceux qui travaillaient avec lui pour leur rappeler leurs devoirs et les inciter à prendre leur courage pour restituer sa dignité à la justice. Il a tenté de sensibiliser tous ceux qui ont occupé le poste de chef d’Etat, tous les chefs de gouvernement et tous ceux qui pouvaient intervenir d’une façon ou d’une autre. Seul feu Mohamed Boudiaf, auquel il doit sa libération, le 1er avril 1992, avait donné une suite à ses doléances. En 2001, presque dix ans après le début du premier procès, l’ex-ministre de l’Intérieur, Mohamedi, et Djeghaba, l’ex-ministre des Moudjahidine, portent de nouveau l’affaire en justice. Le père du premier et le gendre du second étaient aussi des magistrats faussaires, selon les documents rendus publics en 1992. Cette fois-ci, et malgré la prescription, il est attaqué en diffamation. L’affaire ne sera jugée qu’en 2010. Le verdict de la présidente Latifa Kesanti le sanctionne de six mois de prison ferme. Elle sera mise à la retraite deux semaines plus tard et se couvrira du noir voile intégral comme pour conjurer le sort après ce qu’elle avait prononcé contre Mellouk.
Aujourd’hui, l’affaire est encore pendante devant la Cour suprême. Melouk, malgré quelques soucis de santé dus au stress provoqué par les incessantes pressions qui pèsent sur lui, reste dans la détermination qui a toujours été la sienne. A lui seul, il aura défendu avec abnégation, courage et ténacité la mémoire de ceux qui se sont battus et ont perdu leur vie pour l’indépendance du pays. On ne peut pas en dire autant pour l’Organisation nationale des moudjahidine et autres regroupements d’intérêts gravitant, les bouches ouvertes, dans ce conglomérat qui se fait dénommer «la famille révolutionnaire».
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Posté Le : 24/03/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ahmed Ancer
Source : www.elwatan.com