Durant une journée entière, des milliers de personnes ont été obligés de quitter leurs masures, éparpillées sur les montagnes entre Tichy et Kherrata sur un rayon de 50 km, pour se rassembler de force sur la plage de Takhlewit El marsa en vue d'assister à une parade militaire devant matérialiser la fin de la révolte dans les Babors et la pacification de toute la région.
L’épisode a donné lieu à des dizaines de morts, notamment les personnes âgées, les bébés et les femmes enceintes, qui n’ont pu supporter les affres du voyage et ses facteurs accablant faits de manque de nourriture, de soif et de violences des soldats.
Beaucoup, selon les témoignages recueillis, n’ont jamais atteint le littoral et ont dû succomber dans les montagnes durant cette marche forcée à pied. Et ceux, parvenus à dos d’âne ou à cheval pour les plus nantis, ont péri sur le sable, assaillis de fatigue et de peur en suivant le défilé spectaculaire des militaires qui avaient saisi l’occasion, à dessein, pour jouer la démonstration de force et exhiber la puissance de feu de la France coloniale.
Pour se faire, quelque 10.000 soldats, des cohortes de Caïds et Bachaghas et une flopée d’officiers, à leur tête, les généraux Raymond Duval et Henri Martin s’étaient, en effet, mobilisés pour exécuter, selon les témoignages, une pièce de théâtre sordide voire macabre, durant laquelle, le jeu a consisté à louer la grandeur de la France et à menacer de mort, tous les velléitaires tentés de menacer "la paix du pays".
Dans leur harangue et s’adressant à un auditoire peu enclin à l’écoute, malgré l’effort zélé des interprètes, le discours ciblait avec force les "porteurs de bâtons" accusés d’être "les fauteurs de troubles et les empêcheurs de tourner rond."
"C’est la fin de la guerre des bâtons", s’exclamait Henri Martin depuis sa tribune, nichée sur une butte surplombant toute la plage, reprochant, de surcroît, aux révoltés d’avoir été les auteurs de la tuerie "d’hommes, femmes et enfants" survenue depuis le 08 mai 45.
"Ils ont profané leurs cadavres", a-t-il dit, appelant, toute honte bue, à "ne pas les suivre" et à rester, en conséquence, dans "la voie droite pour faire de l’Algérie française un pays ou les hommes libres peuvent travailler en paix. Et vous vivrez longtemps s’il plait à Dieu". Puis pour se donner plus de consistance il évoquera son statut de chef militaire écouté, et soulignera sa détermination à vouloir aider pour retrouver la paix car, selon sa perception des choses, "satan a égaré les esprits de certains".
Ainsi durant toute la journée, les discours alliant la carotte et le bâton se sont multipliés, amplifiés, dans leurs échos, par une parade militaire des plus spectaculaire, animée par un défilé et un déploiement de toute la mécanique coloniale de la mort.
Chars, blindés et avions, tous ont campé des rôles dévolus, appuyés sporadiquement par des salves de tirs depuis les bateaux de la marine au milieu desquels trônait en maître, le croiseur "Duguay Trouin", un des plus importants navires français, qui avait servi autant durant la 2eme guerre mondiale qu’en Indochine et qui avait stationné, pour l’occasion, non loin de la zone des falaises à la sortie de Melbou. Depuis son bord, il a tiré plusieurs obus en direction des villages environnant, atteignant même la région mitoyenne de Ziama (Jijel).
Ce bal démonstratif et de peur a duré jusqu’au crépuscule, laissant derrière des cohortes de cadavres dont une douzaine de personnes passés par les armes dans la zone des falaises pour avoir "traîné le pas" dans leur mouvement vers la plage. Horrible journée dont le souvenir reste prégnant dans les esprits.
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Posté Le : 18/09/2024
Posté par : patrimoinealgerie
Source : bejaia-guidedepoche.com